« Probablement la plus grande catastrophe agronomique de ce début de XXIe siècle » pour le ministre français de l’agriculture Julien Denormandie. Ces gelées tardives ont causé une perte estimée à un tiers de la production viticole française, soit environ deux milliards d’euros de chiffre d’affaires pour la filière, selon le syndicat agricole FNSEA.
Après des records de chaleur… des gelées tardives
Début avril, en Europe, les températures ont chuté pendant quelques jours, parfois jusqu’à -5°C. Pile au mauvais moment : les vignes et les arbres fruitiers, entre autres, venaient de se parer de fragiles bourgeons. Mauvais moment également, car la semaine précédente connaissait des records de chaleur favorisant l’éveil des arbres, plantes et arbustes.
La crise climatique s’accélère
En l’état, il y a environ 60 % de chance qu’un tel événement survienne en période de bourgeonnement, explique Robert Vautard, directeur de l’Institut Pierre et Simon Laplace de recherche en sciences de l’environnement, un des auteurs de l’étude. Et le phénomène risque de « s’amplifier dans le futur ». Un réchauffement de 2°C par rapport à l’ère préindustrielle, soit l’objectif de réchauffement maximal de l’accord de Paris, qui semble pour l’instant hors de portée, verrait « encore 40 % d’augmentation de la probabilité de ce type d’événement », souligne le scientifique.
Outre le phénomène de fortes gelées printanières rencontré dernièrement, nous faisons déjà face à des épisodes récurrents de sécheresse et ou de très fortes chaleurs, comme à la fin juin 2021 au Canada ou dans le nord des États Unis. Le nombre de jours de sécheresse ou forte chaleur va exploser partout dans le monde et la France y est mal préparée selon le Haut Conseil pour le Climat.
Parmi les plus touchés, on retrouve les agriculteurs et les agricultrices qui voient leurs récoltes mises en péril dès qu’un phénomène extrême se produit soudainement, comme au Canada : « Dans les prochains jours, s’il ne pleut pas, dans plusieurs régions, il y aura des pertes qui seront irrécupérables à mesure que la saison va progresser » a souligné Marcel Groleau, président de l’Union des Producteurs Agricoles.
L’enjeu du dérèglement climatique est réel et nécessite d’être traité comme tel. Les autorités politiques se doivent d’agir en amont plutôt que de tenter vainement de guérir a posteriori des phénomènes que l’on ne peut plus maîtriser.
Qu’on le souhaite ou non, l’agriculture que nous connaissons aujourd’hui ne sera plus la même en 2050, le besoin d’adaptation devient de plus en plus évident et incontournable. Ces adaptations peuvent être incrémentales, comme le décalage des dates de semis (qui n’est possible que si les parcelles ne sont pas détrempées, et si le printemps n’est pas trop sec), la sélection variétale, l’amélioration de l’efficacité de l’irrigation (irriguer la nuit par exemple, pour éviter l’évapotranspiration). Les solutions d’adaptation peuvent également être systémiques : reconception des systèmes de culture, remplacement d’espèces, diversification intra-parcelle, agroforesterie… Ou bien transformantes, en prenant la forme de nouvelles domestications d’espèces, d’abandon de productions à l’échelle régionale ou locale, ou d’une délocalisation de certaines productions, explique Thierry Caquet. Même si les tenants de l’agriculture conventionnelle préfèrent le statu quo au détriment du climat et de la biodiversité, beaucoup de choses sont possibles, le mieux étant de passer massivement à une agriculture moins industrialisée, plus résiliente et biologique, de manière rapide à l’échelle de l’Europe et de la planète.
Par ailleurs, le dérèglement climatique accentue les inégalités économiques et sociales déjà existantes, notamment puisque les populations précaires sont davantage touchées par les fluctuations du prix des matières premières et de surcroît par les périodes de pénurie. L’adoption d’un modèle d’agriculture favorisant la diversité des espèces est plus que nécessaire, puisqu’il en va de notre sécurité alimentaire. Pourtant, aujourd’hui, outre l’effondrement de la biodiversité, le nombre de variétés a été divisé par plus de 1000 en Europe depuis 60 ans.
Dans une fuite du dernier rapport intermédiaire du GIEC, les conclusions provisoires sont catastrophiques. Non seulement nous pourrions dépasser les 1,5° à l’horizon 2030 et non pas à la fin du siècle, mais l’accentuation des phénomènes violents risque de précipiter à court terme des centaines de millions de personnes dans la pauvreté et compliquer radicalement les récoltes. Les phénomènes attendus et déjà observables résultent principalement d’une accentuation de l’intensité et de la fréquence de ce que nous connaissons déjà. Ainsi l’épisode de grêle dans les Vosges ou les records de température (49,6° !au canada) en sont des illustrations et les prémisses de conséquentes encore plus graves à l’avenir. Le rapport du GIEC évoque la possibilité « d’effondrement imprévu » localisé de récoltes, de manière récurrente et partout dans le monde.
L’agriculture sait comment s’adapter pour limiter le réchauffement climatique. Le CNRS a publié un rapport montrant qu’une Europe 100 % bio et autosuffisante tout en maintenant les exportations était possible d’ici 2050, à condition de revoir nos régimes alimentaires pour tendre vers le modèle méditerranéen.
Passer en bio n’évitera pas les épisodes de grêle, de sécheresse ou de gel, mais contribuera à limiter le réchauffement climatique.
Pour le moment, l’Europe et la France prennent le chemin inverse, en baissant les aides à l’agriculture biologique et en n’investissant pas massivement dans la transition agricole, écologique et alimentaire. Nos enfants et nos petits enfants pourront les remercier, car ce seront les pre-mières victimes directes. En effet, dans les 30 prochaines années, avec ce qui va se passer « On ne va plus pouvoir regarder nos enfants dans les yeux», s’alarme Nicolas Hulot.
Pour aller plus loin :
France Inter – LA TERRE AU CARRE : L’été sera chaud ou très chaud : faut-il s’attendre à une sécheresse estivale ?
Radio Canada – INFO : Le Malheur s’acharne sur les agriculteurs du Québec
Terre-net – EL DEVASTATEUR : Le réchauffement climatique suspect numéro 1
CNRS – ENVIRONNEMENT : Une agriculture biologique pour nourrir l’Europe en 2050
Vosges matin – ENVIRONNEMENT : Violent orage de grêle dans les Vosges : du jamais vu à Plombières-les-Bains
Reporterre – CLIMAT : La hausse de 2°C de la température mondiale serait apocalyptique, prédit un rapport du Giec
Reporterre – POLITIQUE : La France se prépare mal au choc climatique, alerte le Haut Conseil pour le climat