Le ministre de l’agriculture a annoncé le 15 mars le lancement d’un programme de recherche internationale sur une agriculture intelligente pour le climat. L’agroforesterie pourrait répondre à cet enjeu, tout en nourrissant les hommes et en protégeant le sol.
Des radis, oignons et salades qui s’épanouissent sous des noyers. Des vaches qui broutent sous des pommiers. Des cochons noirs qui fourragent, en quête de glands, sous des chênes. Le point commun de ces exemples? L’agroforesterie, à savoir des arbres et une production agricole sur une même parcelle. L’intérêt ? Il y en a pléthore.
Fourrage, paillage, bois de construction et de chauffe, fruits, mais aussi légumes et viande, oeufs, miel… La productivité d’une parcelle en agroforesterie est souvent meilleure que si cette parcelle n’accueillait qu’une seule culture ou seulement des arbres. Ainsi un hectare en agroforesterie équivaut, en termes de quantités de céréales et de bois fournies, à cultiver 0,8 hectare en agriculture et à gérer 0,6 hectare de forêt, d’après Christian Gary, chercheur en systèmes associés agricoles méditerranéens à l’Université de Montpellier.
Vie, protection, nourriture
Pourquoi les systèmes agroforestiers sont-ils remarquablement productifs ? D’abord, dans une exploitation agroforestière, les arbres s’enracinent plus profondément : les nutriments et l’eau des couches profondes du sol remontent et sont retenus, plus facilement utilisables par les plantes cultivées. Ensuite, les cultures agroforestières peuvent bénéficier d’un décalage entre leur cycle de vie et celui des arbres. Exemple : une céréale d’hiver associée à des arbres qui débourrent au printemps (comme les peupliers), vont intercepter les rayons du soleil toute l’année. Ce qui entraîne un cercle vertueux dans lequel le sol, mobilisé pour faire pousser la plante, s’enrichit en humus, ce qui contribue à faire pousser les plante, etc. « Sur un seul chêne, il y a des centaines de mètres carrés de photosynthèse», décrit Alain Canet, directeur de l’association Arbres et paysages 32 et président de l’Association française d’agroforesterie. Aussi, l’agroforesterie rend les cultures moins sensibles aux aléas climatiques, tels que sécheresse et chaleur, car la présence d’arbres crée un microclimat –qui rafraîchit et donne de l’ombre aux animaux. Notons aussi que les arbres au sein des parcelles agroforestières sont plus résilients face aux événements climatiques extrêmes (tempêtes, inondations) que les autres. Quant à la biodiversité, elle trouve le gîte et le couvert. D’après Alain Canet, « partout où il y a de l’agroforesterie, la production de miel est multipliée par deux, parce que les arbres et le couvert végétal nourrissent les abeilles, y compris l’hiver».
Donner une plante au sol en permanence
La clef de l’agroforesterie réside véritablement dans le nourrissage et la protection permanentes du sol par les plantes. Grâce à la faune, la flore, les champignons et aux micoorganismes qui leur sont associés, arbres et végétation spontanée régénèrent et fertilisent le sol, tout en limitant l’érosion. C’est d’ailleurs ce couvert végétal dans son ensemble, avec le moins de travail possible du sol, qui fait l’agroforesterie, et non les arbres seuls. Or, l’arbre a été mis au ban des politiques agricoles successives depuis les années 50. Aujourd’hui encore, seulement 200 000 hectares de cultures sont réalisées avec des arbres, ce qui équivaut à 1% de la surface agricole utile. « L’énorme majorité de l’agriculture actuelle – y compris bio – fait diminuer le taux de matière organique dans le sol, avec les problèmes de fertilité et de manque d’humus qui s’ensuivent », explique Alain Canet. « Cette agriculture-là va droit dans le mur ». Le problème, c’est que le sol nu, surtout s’il est souvent travaillé mécaniquement (bineuses, herses, etc.) et nourri aux engrais, laisse filer sa matière organique, qui aboutit… dans les rivières, provoquant algues vertes et pollution. « Seules 5% des agricultures stockent durablement le carbone dans le sol en France, c’est-à-dire sans pollution », déplore Alain Canet. Un point de vue que rejoint Fabien Liagre, responsable R&D à Agroof, dans une interview pour la revue Terre et humanisme en 2014 : « Même le bio « classique » abîme les sols en labourant ou en binant de manière répétitive ! L’idéal serait une agroforesterie biologique et sans travail du sol ».
Stocker le carbone
C’est justement parce qu’ils rendent le sol particulièrement fertiles, riches en carbone organique, que les arbres ont un potentiel important d’atténuation du changement climatique. Grâce à l’immense biodiversité à laquelle ils sont associés, les arbres et la végétation spontanée séquestrent le carbone dans le sol et dans la biomasse qui y vit (vers de terre, insectes, champignons et des millions de micro-organismes). Ces sols agroforestiers contiennent plus de carbone organique que les autres. « Avec l’agroforesterie, on pourrait augmenter le stockage naturel de carbone dans les sols de 0,4% par an pour compenser l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre mondiales », selon Tiphaine Chevallier, pédologue à l’Institut de recherche pour le développement, d’après une étude menée sur des exploitations en agroforesterie dans le cadre du projet Agripsol de l’Inra. « Même si c’est difficile à mesurer », tempère-t-elle. Un programme de recherche agronomique internationale, « 4 pour mille », vient d’être lancé sur le sujet. L’agriculture devrait faire l’objet d’une prise en compte spécifique lors de la prochaine conférence sur le climat, qui se tiendra à Paris en décembre 2015.
Crédit photo: agroof