Gaza affamée
Quand la famine devient une arme de guerre, regard sur Gaza.
Il semble compliqué, à ce jour et depuis près d’un an et demi, de ne pas prendre la parole sur Gaza et sur le génocide palestinien. De nombreuses associations, collectivités et collectifs, qui constituent l’écosystème qu’est le nôtre, s’engagent quotidiennement dans l’accès à une alimentation saine, accessible et respectueuse, et affirment l’urgence d’un tel combat. Alors parlons de Gaza.
Une famine organisée
La famine gazaouie est organisée par l’état israélien depuis de nombreuses années, et s’impose comme la conséquence lente et directe du contrôle de l’ensemble de Gaza – des produits qui y sont importés, des flux de marchandises diverses, de son économie. Lorsqu’en 2007, à la suite des élections qui ont nommé le Hamas au pouvoir, le blocus de Gaza se met en place, c’est l’escalade de l’horreur et de la violence, et sous toutes leurs formes : militaire, sanitaire, citoyenne, mentale, physique, écologique1… L’affaiblissement de Gaza par le gouvernement israélien répond entre autres au calcul, aussi erroné que pervers, des besoins caloriques par personne – lequel permettait aux autorités israéliennes de contrôler l’alimentation des Palestiniens et des Palestiniennes. Dès 2006, l’intention israélienne était claire, et la famine était pour les autorités un mode opératoire politique qui devait mener les Palestinien.nes à s’opposer au Hamas :
« « L’idée est de mettre les Palestiniens au régime, mais pas de les faire mourir de faim ». Les douleurs de la faim sont supposées encourager les Palestiniens à forcer le Hamas à changer son attitude envers Israël ou à forcer le Hamas à quitter le gouvernement. » 2
Un plan qui n’était pas inconnu des puissances extérieures, notamment des États-Unis qui avaient été prévenus par Israël, dès 2008, de ses intentions : « tout en prenant des mesures pour prévenir une crise humanitaire, [Israël] a l’intention de maintenir l’économie de Gaza au bord de l’effondrement 3».
À la suite du 7 octobre 2023, la stratégie israélienne – mettre dehors et à genoux le peuple palestinien – s’intensifie encore et prend la proportion génocidaire que l’on connaît (et reconnaît4) aujourd’hui. Ainsi, début mars, le blocus total de Gaza est mis en place, la nourriture fournie par les aides humanitaires ne passe pas les frontières, et ce que Catherine Russell, directrice générale de l’UNICEF pressentait : « Nous avons mis en garde à plusieurs reprises contre cette évolution et appelons une nouvelle fois toutes les parties à empêcher cette catastrophe » se réalise finalement.
En novembre 2024, la Cour pénale internationale elle-même accuse l’État israélien d’user de « la famine comme d’un moyen de faire la guerre ».5
Ces opérations, criminelles puisqu’ainsi définies par la Cour pénale internationale, ont mené à des situations cauchemardesques et génocidaires, dont nous sommes spectateurs et spectatrices, et dont les aides humanitaires nous parlent douloureusement : le directeur exécutif adjoint de l’UNICEF déclare le 18 janvier 2024 avoir été témoin, lors de sa visite de la bande de Gaza, des « conditions les plus horribles [qu’il ait] jamais vues ».
La directrice exécutive du Programme alimentaire mondial des Nations unies, Cindy McCain, déclare à son tour : « Les familles de Gaza meurent de faim alors que la nourriture dont elles ont besoin est bloquée à la frontière. Nous ne pouvons pas leur apporter une aide vitale en raison de la reprise du conflit et de l’interdiction totale de l’entrée de l’aide humanitaire imposée début mars. ». Sur les réseaux sociaux, depuis quelques semaines, les vidéos d’enfants affamés défilent les unes après les autres : le génocide en cours démultiplie les violences et les privations de droits fondamentaux. Les femmes font du pain avec des pâtes, les enfants, en dénutrition et déshydratation, meurent en quelques jours. Un rapport de l’OMS6 nous apprend qu’au moins 57 enfants sont morts de faim depuis le 2 mars dernier. Le représentant des peuples palestiniens pour l’ONU, déclare la famine palestinienne comme « l’une des pires crises de la faim au monde » marquée par des pénuries « de denrées alimentaires et de fournitures médicales » – et l’OMS alerte sur les conséquences à long terme d’une telle malnutrition : une génération entière est menacée – si tant est qu’elle survive aujourd’hui.7
C’est donc malgré les alertes d’ONG diverses, de l’ONU, de la Cour pénale internationale, de militants et militantes, malgré les images qui déferlent sur les réseaux sociaux, tandis que les médias français mainstream se déplacent le sujet en tergiversant inutilement autour de polémiques sémantiques, que le blocus humanitaire continue et que Gaza atteint le taux de malnutrition infantile le plus élevé au monde8. Kazem Abou Khalaf, porte-parole de l’UNICEF en Palestine, compare les taux de malnutrition du premier trimestre 2025 avec ceux du premier trimestre 2024 et déclare que “le taux de malnutrition chez les enfants a augmenté de 172 % au premier trimestre de 2025”. Les enclavé.es meurent de faim, ce qui n’empêche, ni Tamir Hayman de nier la responsabilité du gouvernement et de l’armée israéliennes en la matière : « Nous savons que si les gens n’ont pas de nourriture à Gaza c’est parce que c’est le Hamas qui détient les entrepôts de nourriture et c’est lui, le Hamas, qui vend la nourriture à gaza, qui tente de gagner le plus d’argent possible […] »9, ni Guillaume Erner de l’inviter sur France Culture.
En tant qu’association d’intérêt général, qui définit le droit à l’alimentation comme un droit fondamental, qui se bat pour sensibiliser et mobiliser autour des enjeux alimentaires, et en tant qu’humains et humaines, il était temps que l’on prenne la parole sur la famine en cours en Palestine, et que l’on s’exprime sur le génocide. Nous condamnons fermement les opérations des autorités israéliennes à Gaza, le recours aux bombes comme le recours à l’état de siège. Ni la guerre, ni les discours coloniaux et militaristes, ni la négation des droits fondamentaux, ni le blocus des aides humanitaires ne feront un jour partie de notre répertoire citoyen et militant.
1 https://reporterre.net/Guerre-a-Gaza-l-environnement-une-victime-silencieuse
2 https://www.theguardian.com/world/2006/apr/16/
3 https://fr.wikipedia.org/wiki/Famine_dans_la_bande_de_Gaza#cite_note-26 / https://www.reuters.com/article/idUSTRE7041GH/
4https://en.wikipedia.org/wiki/Gaza_genocide
5 Pour en savoir plus : https://www.hrw.org/fr/news/2023/12/18/israel-la-famine-utilisee-comme-arme-de-guerre-gaza
https://issafrica.org/fr/iss-today/la-faim-une-arme-dans-les-conflits-en-afrique
7 https://news.un.org/fr/story/2025/05/1155476
8 https://web.archive.org/web/20240206025503/https://thehill.com/policy/international/4417536-gaza-un-warns-viruses-spreading-poor-conditions/
9 https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/france-culture-va-plus-loin-l-invite-e-des-matins/eva-illouz-comment-les-crises-internationales-deviennent-elles-intimes-6042952