L’Assemblée nationale a voté le 19 mars l’interdiction de tous les pesticides néonicotinoïdes, jugés toxiques pour les abeilles, à partir de janvier 2016. Le Sénat doit encore rendre son avis avant que l’interdiction soit actée. Les néonicotinoïdes ne sont cependant qu’une des causes multiples du déclin des abeilles. Parmi elles, la perte d’habitats et de ressources alimentaires.
L’interdiction de l’ensemble des pesticides néonicotinoïdes, adoptée par l’Assemblée nationale le 19 mars dernier, serait une avancée majeure. Pour les abeilles, sauvages comme domestiques, et aussi pour tous les autres pollinisateurs moins médiatisés (bourdons, guêpes, frelons, fourmis, syrphes, cétoines, papillons…). Mais l’épandage de produits chimiques est loin d’être la seule cause vraisemblable expliquant la mortalité des abeilles.
«Le dossier abeilles n’est aujourd’hui pas du tout axé sur la prévention» faisait remarquer Alain Canet, président de l’Association française d’agroforesterie lors d’un petit-déjeuner de presse le 19 mars à Paris. Outre les pesticides, la perte et la fragmentation des habitats jouent un rôle important dans le déclin des abeilles. Urbanisation, monoculture, disparition des haies, bosquets, bandes enherbées, lisières, chemins, prairies naturelles et autres couverts végétaux, ont réduit la diversité des fleurs. Ce qui a appauvri les ressources alimentaires pour les abeilles, à la fois dans l’espace et dans le temps.
Une nourriture abondante en été, la famine l’hiver
La situation de l’abeille domestique donne une idée de celle de ses comparses sauvages moins connues. En 2014 la production de miel a été de 10 000 tonnes, contre 32 000 tonnes en 1995, malgré un nombre de ruches quasiment égal, d’après l’Union nationale des apiculteurs français. Côté sauvage, une étude de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), publiée le 19 mars, montre que 9,2% des 1965 espèces d’abeilles sauvages sont menacées d’extinction. Chez les bourdons, ce nombre grimpe à plus de 25%. L’ONG souligne que «la production intensive de cultures d’ensilage aux dépens de cultures fourragères entraîne des pertes de prairies riches en herbes qui constituent une importante source de fourrage pour les pollinisateurs». Or, mieux nourrir les abeilles leur permettrait peut-être de résister à d’autres facteurs tels que les parasites ou les pesticides. Une étude de Wahl et Ulm montrait en 1993 que les carences alimentaires augmentaient la sensibilité des abeilles aux herbicides et insecticides ; et qu’en l’absence de pollens variés, les larves devenaient des abeilles plus faibles donc plus enclines à être touchées par d’autres facteurs.
Que faire alors ? Selon Alain Canet, se tourner vers l’agroforesterie permettrait de recréer des garde-manger pour abeilles. «C’est bien de vouloir interdire des pesticides, mais avant, il faudrait peut-être se poser la question de savoir comment on nourrit une abeille toute l’année». Car dans les zones de grandes cultures, notamment de colza et de tournesol, très mellifères, les abeilles se régalent l’été. Mais l’hiver, après l’abondance, souffrent de famine. Des paysages agroforestiers, c’est-à-dire avec arbres et haies champêtres, pourraient aider les pollinisateurs. Ils y trouveraient une importante variété et quantité de pollen et de nectar, sur une période étendue dans l’année, grâce à des floraisons successives, y compris l’hiver avec le lierre, le saule, le noisetier ou encore l’aulne glutineux, peut-on lire dans le livret « Arbres, territoires et pollinisateurs » d’Arbres & Paysage 32.
Une abeille butine 30 heures durant pour produire 1 gramme de miel
On dénombre plus de 25 000 espèces d’abeilles dans le monde, dont 866 en France. Une seule, l’abeille domestique, Apis mellifera, est élevée en colonies et produit du miel pour l’homme. Les autres vivent, pour la majorité d’entre elles, en solitaires et ne produisent pas le miel dont nous nous régalons. Pourtant, toutes ces espèces d’abeilles sont des pollinisateurs majeurs : 80% des espèces de plantes à fleurs peuvent se reproduire grâce à elles.
Un repas sans abeille, c’est se priver de : cerises, fraises, pommes, poires, prunes, abricots, amandes, pêches, tomates, poivrons courgettes, melons, pastèques, kiwis. Mais aussi d’huile de colza et de tournesol, d’artichaut, de scarole, de frisée, de chou, de fenouil, d’oignon, de persil, de poireau… et la liste n’est pas exhaustive. Même nos élevages ne pourraient pas tenir sans abeilles: le trèfle et la luzerne, cultures fourragères, ce sont elles qui les pollinisent. Il faut 7 500 fleurs pour fabriquer un gramme de miel, d’après l’Office national des forêts (ONF). L’abeille domestique butine 250 fleurs par heure, il lui faut donc 30 heures pour produire un seul gramme de miel. L’étude de l’UICN chiffre à 22 milliards d’euros par an ce que rapporte à l’Europe la pollinisation des abeilles. On a donc tout intérêt à les sauver, en adoptant de nouvelles pratiques agricoles écologiques. Une bio exigeante, intégrant de l’agroforesterie (haies, couverts végétaux, prairies, arbres), aiderait les abeilles, les autres pollinisateurs… et nous-mêmes.