Et si tout n’était qu’une question de liens ? Alors que la biodiversité n’a jamais été aussi violentée, que les reliefs s’aplatissent comme des champs de betteraves, et que partout la pluralité des individus, des peuples et des territoires est sacrifiée sur l’hôtel du développement économique, les auteurs du livre « Toutes les couleurs de la terre » proposent une nouvelle voie pour penser dans un seul et même horizon cause sociale et cause environnementale : construire une société de la relation.
Combattre l’uniformisation des mondes
« Fils de la fin du vingtième siècle, nous sommes la génération qui a été la plus connectée à la diversité du monde et celle qui a vécu avec la plus grande intensité sa destruction massive et immédiate. Nous sommes les enfants de l’uniformisation, nous sommes une génération écrasée et brisée ». C’est en ces mots que les auteurs se livrent dans l’introduction de leur essai. Après avoir arpenté les routes du monde, les chemins de l’écologie, de la géographie et de l’anthropologie, Damien Deville et Pierre Spielewoy proposent dans leur travaux de décentrer le regard des crises que nous connaissons aujourd’hui pour essayer d’en comprendre la source : celle de l’uniformité des mondes. En revenant avec un œil critique sur la compétitivité des territoires, le capitalisme, le phagocytage culturel, tout comme la dualité occidentale entre nature et culture, les auteurs expliquent qu’uniformité et précarité deviennent les deux moments d’un seul et même processus « qui n’a jamais autant percé le rideaux de nos vies ».
Construire en effet une société dans une opposition permanente entre nature et culture, c’est légitimer l’instrumentalisation des êtres vivants non-humains et de fait participer à l’érosion de la biodiversité. Construire une société sur une seule vitesse ensuite, celle de la quête du profit individuel, c’est également laisser sur le bas-côté tous les individus qui ne peuvent ou ne veulent suivre cette vitesse. De l’emballement climatique à la chute drastique de la biodiversité, en passant par les fractures criantes entre territoires et pays du monde, nous n’avons jamais autant parlé d’insécurités, de fissures, de cicatrices et de potentiels scénarios ténébreux à venir.
Opposer résistance et recréer du lien : la voie de l’écologie relationnelle
Les auteurs proposent dans la seconde partie de leur livre, de contourner les déficits sociétaux à l’œuvre et de remettre en perspective la critique de l’uniformisation des mondes pour cheminer vers un nouveau champ de compréhension du monde et d’engagement. Soit la découverte et les potentialités offertes par l’étude des relations que nous pouvons construire les uns avec les autres, entre l’humain d’abord et avec le non-humain ensuite. Cette voie, les auteurs la nomment « l’écologie relationnelle ». En renouvelant notre façon d’habiter la Terre et en définissant avec justesse la place de l’humanité dans la grande fresque du vivant, l’écologie relationnelle devient une ode à la diversité et une ode à la solidarité.
Les auteurs proposent alors de forger les contours sociétaux de ce que pourrait être « une société de la relation » à travers trois moments qu’ils jugent fondateur : assumer la vulnérabilité, penser la rencontre et cultiver de nouveaux espaces de justice. A grands renforts d’enseignements et de ressources théoriques en anthropologie, en géographie, la société de la relation qu’appellent de leurs vœux les auteurs constituent une proposition pour réintroduire, dans la pensée et dans l’action, des espaces de compréhension et de partage entre humains et non-humains. Ce faisant, elle permet de renouveler les connaissances sur les liens qu’entretiennent les sociétés à leurs milieux, tout en proposant de miser sur la diversité territoriale pour apporter des réponses pertinentes aux crises sociales et écologiques. L’écologie relationnelle devient le point de départ d’un projet théorique et politique qui porte en fierté des métissages territoriaux par-delà les individus et par-delà l’Occident.
A lire : Toutes Les couleurs de La Terre. Ces liens Qui Peuvent Sauver Le Monde, de Damien Deville et Pierre Spielewoy, Editions Tana, Janvier 2020.