Comment en sommes-nous arrivés à manger de la viande tous les jours ? Quelles en sont les conséquences, sur notre santé, sur notre environnement, sur les habitants des pays pauvres ? Et sur les animaux eux-mêmes ? Cet excellent documentaire est à voir par tout public désireux de comprendre tous les enjeux liés au plaisir de la chair animale.
Alors qu’il y a un siècle, la viande était un plat du dimanche, aujourd’hui c’est un produit banal, incontournable dans les assiettes de la majorité des humains vivant dans les pays occidentaux : nous en mangeons 800 grammes par semaine. Et les habitants des pays émergents nous emboîtent le pas. Le documentaire LoveMeatEnder, réalisé en 2011 par le Belge Manu Coeman, replace dans un contexte historique et sociologique, cette banalisation. A travers ses nombreuses interviews, schémas dessinés au crayon et sa musique décalée, le message est explicite : notre modèle occidental de consommation de viande est impossible à généraliser.
Tout a commencé juste après la seconde guerre mondiale et ses famines. Pour pouvoir nourrir la population à moindre coût, l’élevage a été industrialisé, rationalisé, s’est détaché du sol pour concentrer au maximum les animaux, alors réduits aux simples rouages d’une énorme machine. Pour nourrir les bêtes, les industriels sont allés chercher du soja outre-atlantique et ont déployé les cultures de maïs. Ces dernières, très demandeuses en produits phytosanitaires, sont, comme par hasard, sources de profit pour les entreprises de l’agrochimie. Aujourd’hui, en Europe, nous restons dépendants à 75% des Etats-Unis et du Brésil pour l’alimentation en protéines de nos animaux. Résultat de toutes ces économies d’échelle: beaucoup de viande (et d’autres denrées comme le lait) pas chère. Trop, même.
Les agriculteurs ne savent plus que faire de leur lisier
Ce surplus, il est envoyé dans des pays pauvres comme l’Afrique, où il concurrence (car pas cher, rappelons-le) les produits locaux. Résultat là-bas : les agriculteurs ne peuvent vivre de leur métier. Ils migrent alors vers les villes où ils grossissent les bidonvilles. Adieu l’autosuffisance alimentaire. En Amérique du Sud, c’est non seulement les petits paysans qui pâtissent de l’élevage industriel, mais aussi la forêt amazonienne : 18% de la surface de celle-ci a disparu depuis les années 50. Et ce déboisement a été fait pour 80% dans le but de monter des élevages industriels, et pour 5% pour des cultures de soja », affirme Marcio Astrini, de Greenpeace Brésil.
Autre effet de la banalisation de la viande : les impacts directs sur l’environnement. Un exemple parmi d’autres, pointé par André Pochon, agriculteur breton retraité : la pollution aux nitrates sur les côtes bretonnes, dues en grande partie aux élevages de porcs industriels de la région et causant les floraisons d’algues vertes. Pourquoi ? A cause du lisier, ces déjections pures de cochons. Ces derniers sont élevés en nombre sur de petites surfaces et sur caillebotis, juste au-dessus de leur caca. Lisier invivable, puisqu’il pourrait asphyxier les cochons au bout de deux heures s’il n’y avait pas de ventilation dans la porcherie. Et surtout, lisier dont les agriculteurs ne savent plus que faire… sinon le mettre sur leurs terres. « On a mis, pendant 30 ans, deux, trois, quatre, cinq fois plus de lisier que nécessaire à la pousse des plantes. Or le lisier ne se stocke pas du tout dans le sol ; dès qu’il y a une grosse pluie, les nitrates vont dans l’eau, puis dans la baie… et au printemps, hop ! C’est l’explosion des algues vertes ».
Un hamburger qui devrait coûter 200 dollars au lieu de 4 ou 5
Le film explique également que l’élevage est la cause de 18% des émissions de gaz à effet de serre. En cause : non seulement les transports et l’utilisation des produits phytosanitaires (l’agriculture industrielle est dépendante des énergies fossiles, à tel point qu’on pourrait se demander si notre chaîne alimentaire ne démarre pas dans les champs de pétrole du Moyen-Orient, dit-on dans le film), mais aussi des émissions de méthane par les ruminants. Emissions qui auraient explosé en introduisant du soja dans les rations (par rapport à une nourriture à l’herbe seule).
Ce n’est pas fini : consommation d’eau exorbitante, diminution des omega 3 dans la viande due au mélange soja/maïs, risques d’épidémies dues à la proximité et à l’homogénéité génétique… Bien d’autres enjeux environnementaux et sanitaires sont abordés. Selon le rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation à l’Onu Olivier De Schutter, « si les prix reflétaient les coûts réels de ce que nous achetons et produisons, un hamburger devrait coûter non pas 4 ou 5 dollars mais 200 ».
La nourriture: du sexe entre l’environnement et nous
Sans oublier notre rapport à l’animal et à l’éthique, pointé à la fois par des agriculteurs et des chercheurs à l’Inra. « La grande majorité des éleveurs que j’ai rencontrés travaillent avec des animaux pour vivre avec eux, c’est-à-dire que leur but n’est pas de gagner de l’argent, mais de vivre avec des animaux et donc pour cela, il faut gagner de l’argent. Ca met en évidence la différence entre élevage et production animale, laquelle a pour but le profit », souligne Jocelyne Porcher, docteur en sciences animales.
Des solutions sont apportées. A commencer par une réflexion sur notre rapport à la viande, et plus généralement à l’alimentation. Sommes-nous prêts à mettre davantage d’argent dans notre nourriture, qui, comme le dit si bien l’écologue David Waltner-Toews, professeur au département de médecine des populations à l’université de Guelph, est entre notre environnement et nous-même «ce qu’est le sexe pour deux individus », c’est-à-dire la façon la plus intime d’être en contact ? Nous faisons nôtre l’environnement. Il est temps de s’en rendre compte et d’agir en conséquence. Car comme insiste André Pochon, « le consom’acteur tire la machine dans le bon ou mauvais sens. S’il tolère les poules en cage, les porcs sur caillebottis, ça continuera. Sinon le producteur s’adaptera à la demande. Il n’y a pas de mystère».
LoveMeatEnder, de Manu Coeman, 2011, 52 min.
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