Gilles Luneau nous invite à la rencontre de grands ou de petits agriculteurs, éleveurs, viticulteurs… Il leur donne la parole pour que nous comprenions comment le chaos climatique est une réalité concrète, quotidienne.
Le temps change. Les temps changent. Les agriculteurs sont aux premières loges pour observer au jour le jour, de manière très concrète, les conséquences du dérèglement climatique. Comment s’y adaptent-ils ?
Grandes ou petites exploitations, éleveurs, vignerons, arboriculteurs…, le constat est unanime : tous affrontent un chaos climatique inquiétant pour les volumes et la qualité des productions, et par conséquent pour notre diversité et notre sécurité alimentaires.
Le livre est construit autour d’une vingtaine de témoignages de femmes et d’hommes, organisés par région et type de production, pour que chacun comprenne que c’est aujourd’hui que tout se joue.
Les acteurs de ce livre vivent en Bourgogne-Franche-Comté, Bretagne, Centre-Val de Loire, Grand Est, Hauts de France, Normandie, Nouvelle Aquitaine, Occitanie, Paca, Pays de la Loire.
Le constat qu’il nous livre, à travers les 19 témoignages d’agriculteurs recueillis dans son livre, est sans appel : « quels que soient les types de production, élevage, céréales, polyculture, arboriculture, viticulture…et sous toutes les latitudes c’est l’agriculture dans son ensemble qui est impactée par le changement climatique. Un défi inédit dans l’histoire de l’humanité sur lequel il est urgent de se pencher pour conserver une certaine sécurité alimentaire ».
Printemps plus précoces, avec gelées et fortes pluies
Aujourd’hui, par exemple les printemps sont plus précoces et les plantes bourgeonnent plus tôt. Mais les gelées sont toujours bien présentes (les saints de glace) et brûlent les bourgeons. Les premiers impactés sont surtout les viticulteurs et les arboriculteurs.
A cette même époque le régime des pluies, qui a lui aussi changé ces dernières années, diluviennes et plus fréquentes, est très néfaste pour les semis de printemps. L’excès d’eau entraine le pourrissement des graines, il oblige donc les agriculteurs à ressemer leurs parcelles. Ce qui entraine un surcoût pour les céréales et les cultures en général.
Les pluies diluviennes peuvent aussi créer des croutes de battance. Croûte superficielle compacte formée par l’action des gouttes de pluie et le fractionnement des agrégats à la surface du sol. Celles-ci forment un obstacle infranchissable pour la végétation. Le paysan doit alors retravailler la terre.
Absence d’hivers rigoureux
L’absence d’hivers rigoureux fait lui apparaître des problèmes de dormance sur les végétaux. Les végétaux pour se renforcer et favoriser la floraison ont besoin de ce repos. Or des températures trop clémentes empêchent cette dormance. Aujourd’hui tous les producteurs sont unanimes : sans période de dormance les arbres et les végétaux se fragilisent, et l’agriculture la plus écologique est la plus menacée car elle respecte les cycles naturels.
Autre conséquence de ces hivers plus doux, l’absence de destruction de certains ravageurs. Par moins cinq degrés, œufs et insectes sont éliminés naturellement. Ces températures plus clémentes favorisent encore l’arrivée de nouveaux insectes ou ravageurs qui traversent la méditerranée et touchent les troupeaux de bétails, comme c’est le cas dans les Pyrénées avec une mouche qui attaque la cornée des bovins.
Des pics de chaleurs estivaux
Les pics de chaleurs l’été ont aussi des conséquences sur les troupeaux de vaches. En Bretagne et partout dans l’Hexagone le lait est principalement produit par une race de vache, les Holstein, très performante. Problème cette race ne supporte pas bien les pics de température dépassant 30°. Elles refusent de sortir quand il fait trop chaud, et donc ne vont pas brouter. Un agriculteur dans le Jura a trouvé la solution, il fait brouter ses vaches la nuit et elles apprécient. Problème ces pics de chaleurs seront de plus en plus fréquents, selon les spécialistes du climat. Il faudra alors s’adapter et trouver d’autres races de vaches. Les Limousines par exemple sont moins sensibles à ces pics mais elles produisent moins de lait.
Autre souci de ces étés secs, ils sont très redoutables sur les cultures d’herbes (herbe grillée) et fatiguent les vaches. Des pics de chaleur qui ont également des conséquences dans les gros élevages industriels hors sol, comme c’est le cas en Bretagne. Un éleveur de volailles breton, en Ille-et-Vilaine, témoigne dans ce livre : « Les mortalités sont beaucoup plus nombreuses, et ça ce n’est jamais agréable de ramasser ses bêtes mortes ». La solution est de les faire sortir pour qu’elles puissent se réfugier à l’ombre. Mais les bâtiments industriels n’ont pas été conçus pour cela. Il est temps de repenser nos modes de productions, si on va vers des bâtiments plus « climatisés » on aura du mal à répercuter le surcoût sur les prix. Il faut désormais penser aux zones d’ombres et pouvoir laisser les gallinacées sortir des élevages.
La sécurité alimentaire est-elle menacée ?
A cette question Gilles Luneau répond sans hésiter : « oui la sécurité alimentaire est menacée par ce chaos climatique. Car au-delà des pertes de rendement et de revenus ce changement climatique impacte également l’organisation des filières industrielles. » Aujourd’hui les grandes productions ne sont plus destinées à alimenter un territoire, elles circulent dans le monde entier. C’est l’exemple du soja importé du Brésil pour nourrir une partie des élevages laitiers en Bretagne et en France. Il n’y a plus de logique géographique et humaine. Vous retrouvez cela pour la production de blé dur dans le sud. Si sa culture devient difficile ce sont les pays du nord du Maghreb qui vont en pâtir, car une bonne partie de ce blé est exportée vers ces pays. Donc si le premier maillon déraille, par ricochet toute la filière en subit les conséquences.
Plus la filière produit de gros volumes et exporte un peu partout dans le monde, comme c’est le cas aujourd’hui, plus elle est fragile. Les aléas de production empêchent de sécuriser l’approvisionnement de certains pays. Il faut absolument développer les circuits courts, pour aller vers une autonomie alimentaire.
Si aux aléas de production vous vous trouvez face à une pandémie ou des tensions internationales, la sécurité alimentaire est bien menacée.
Gilles LUNEAU est journaliste, essayiste, réalisateur.
Il a été collaborateur régulier du Nouvel Observateur pendant plus de vingt ans, pour le service politique étrangère, avant de rejoindre Géo. Il a travaillé avec la plupart des grands titres de la presse écrite française de Libération à Paris-Match.
Date de sortie : 24 février 2022, chez Impacts Editions.