Continue-t-on à vendre illégalement des OGM en France ?

Nous relayons cet article d‘inf’OGM pour faire le point sur les ventes illégales d’OGM en France. 

Certaines variétés végétales génétiquement modifiées sont illégalement commercialisées dans l’Union européenne. Jusqu’en juillet 2018, les gouvernements européens pouvaient encore plaider le malentendu. Mais à cette date, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a remis les pendules à l’heure : toutes les techniques de mutagénèse apparues ou principalement développées après 2001 donnent des OGM réglementés. Le Conseil d’État a précisé que cette décision s’appliquait aux techniques de mutagénèse dirigée et de mutagénèse aléatoire appliquées sur des cellules végétales isolées cultivées in vitro. Conséquence : une cascade de variétés auraient dû, en l’absence « d’autorisation OGM  », être radiées du Catalogue officiel, interdites à la culture et à la commercialisation ou refusées à l’importation. Il n’en n’a rien été. Ni en France, ni ailleurs…

L’imbroglio juridique sur les OGM non transgéniques en France, mais aussi dans l’Union européenne, n’est pas terminé. Depuis que la Cour de justice de l’Union européenne a répondu au Conseil d’État français que certaines variétés végétales commercialisées dans l’UE sont des OGM réglementés [1], le gouvernement français aurait dû les radier de son catalogue officiel national et la Commission européenne aurait dû harmoniser les décisions des autres États membres concernant leurs propres catalogues. Or, à notre connaissance, il n’en a rien été, dans aucun pays européen, même si certains d’entre eux, dans leur réponse à un questionnaire de la Commission, plaidaient pour l’application de l’arrêt de la CJUE [2]. La Slovaquie avait même annoncé vouloir changer ses formulaires de demande d’inscription au catalogue, pour faire apparaître le caractère OGM des variétés [3], confirmé par l’arrêt de la CJUE, mais nous n’avons pu obtenir davantage d’informations à ce sujet…

Quelles variétés concernées par le Conseil d’État ?

Récemment, l’Anamso (Association nationale des agriculteurs multiplicateurs de semences d’oléagineux), a déclaré à La France agricole que « les variétés concernées par la loi sur la mutagénèse maintenant considérées comme des OGM ont été retirées du marché et sont interdites à la commercialisation » [4]. Dans l’absolu, l’Anamso a raison d’affirmer que des « variétés concernées par la loi sur la mutagenèse [sont] maintenant considérées comme des OGM », ce qu’a confirmé la décision du Conseil d’État de février 2020 [5]. Mais les opérateurs qui n’appliquent pas cette décision peuvent toujours s’abriter derrière les textes actuels de la loi française qui, eux, n’ont toujours pas été modifiés.
De ce fait, plusieurs questions se posent peu de temps avant les semis de colza en France : i) pourquoi ces variétés sont-elles encore inscrites au Catalogue officiel ? ; ii) ces variétés sont-elles encore en vente en France ou dans d’autres pays de l’Union européenne ? ; et, en amont de ces deux questions, iii) peut-on savoir quelles sont les variétés concernées ?

Identifier les variétés concernées par la décision du Conseil d’État n’est pas une mince affaire. En effet, déclarer les modes d’obtention d’une variété lorsqu’elle celle-ci n’était pas assimilée à un OGM n’a jamais été obligatoire en France ni dans aucun autre pays européen. Ce n’est que récemment que, en France, le CTPS a prévu cette déclaration dans ses formulaires, mais de façon facultative [6]…

Enjoint par le Conseil d’État de dresser une liste de ces variétés à retirer du Catalogue officiel, le gouvernement a produit entre autres un projet d’arrêté [7] avec deux listes en annexe : la « liste des variétés dont l’inscription au catalogue [sera] annulée du fait de leur obtention par une technique de mutagénèse aléatoire in vitro », qui concerne sept variétés de colza inscrites en France ; et la liste des variétés « qui satisfont aux conditions d’une annulation d’inscription au catalogue du fait de leur obtention par une technique de mutagénèse aléatoire in vitro », qui concerne 96 variétés de colza inscrites par d’autres pays européens [8].

Dans un précédent article [9], Inf’OGM s’interrogeait sur la façon dont le gouvernement avait identifié ces variétés : uniquement via un plongeon dans la bibliographie ? En interrogeant des entreprises ? Nous n’avons toujours pas de réponse sur ce point, malgré nos relances auprès du bureau des semences du ministère de l’Agriculture. En tout cas, rien ne nous dit que ces listes soient exhaustives. Plusieurs communications publiques de la Confédération Paysanne [10], d’ONG ou encore de Faucheurs Volontaires ont fourni des références bibliographiques et juridiques.

Ces variétés ont-elles été retirées du marché français ?

Le fait est là : le projet de décret est resté… à l’état de projet. Ces explications préliminaires nous permettent maintenant de comprendre la réponse du ministère de l’agriculture à Inf’OGM, quand nous cherchions à vérifier l’affirmation de l’Anamso sur le retrait du marché des « variétés concernées par la loi sur la mutagenèse maintenant considérées comme des OGM ».

Selon le ministère de l’Agriculture, « ces variétés ne sont pas formellement interdites à la commercialisation, mais elles ont de fait été retirées du marché : en effet, les projets de texte (décret et arrêtés) préparés pour répondre à la décision du Conseil d’État du 7 février 2020 et notifiés à la Commission européenne ne sont pas publiés ». Et le ministère de rappeler le contexte des « avis circonstanciés qui expos[e]nt la France à un contentieux si elle les adoptait ». Il n’omet pas de rappeler que « le Conseil d’État a été saisi, par les organisations à l’origine du contentieux initial, d’un nouveau recours visant à obtenir l’exécution des injonctions de la décision du 7 février 2020. Il devrait se prononcer sur ce recours courant 2021 » [11]. Enfin, il rappelle qu’en cas de publication du décret, les variétés concernées « seraient interdites à la commercialisation et à la mise en culture en France ». D’où finalement l’information sur la déclaration de l’Anamso : « Par anticipation de la publication des textes, les représentants de la filière semences nous ont indiqué, qu’à leur connaissance, il n’a pas été semé en France en 2020 de colza Clearfield, qui a été obtenu avec cette technique ».

Inf’OGM a tout de même interrogé Bayer sur la première des variétés de colza apparaissant sur une des deux listes, la variété DK Imagine CL, et Bayer confirme : elle n’est pas disponible en France. Par contre, cette variété vient de faire l’objet d’un arrêté [12] paru au Journal Officiel du 24 décembre 2020 signifiant que « le responsable du maintien de la variété en sélection conservatrice est remplacé par Bayer Seeds SAS (FR) » : donc non seulement cette variété est toujours enregistrée dans le catalogue officiel [13], mais Bayer en revendique la maintenance… Interrogée, l’entreprise Bayer nous confirme qu’elle « ne commercialise pas de variétés Clearfield sur le marché Français. [Mais qu’en] Angleterre, en Bulgarie et en Roumanie, pour répondre à des problématiques locales de flores adventices complexes (exemple de l’orobanche), ou de rotation entre colza érucique et colza classique, Bayer commercialise du colza Dekalb Clearfield ». De même, l’entreprise KWS Momont a gardé sur le catalogue de son site le colza Clearfield « Himona Cl », variété pourtant listée comme devant être radiée du catalogue dans un des projets d’arrêtés du gouvernement.

Mais que ces variétés soient ou non commercialisées en France, rien n’interdit aux agriculteurs d’en acheter des semences dans d’autres pays européens, de les cultiver et d’en vendre la récolte sans aucune obligation de déclaration.

Qu’un arrêt de la CJUE, suivi d’une décision du Conseil d’État, dépende uniquement, pour son application, du bon vouloir des entreprises privées et des agriculteurs, sans aucun contrôle des pouvoirs publics qui reconnaissent se contenter des seuls dires des semenciers, en dit long sur l’état de notre démocratie…

 

[1] Inf’OGM, « Europe – Les nouveaux OGM sont des OGM comme les autres », Charlotte KRINKE, 25 juillet 2018

[2] Notamment l’Autriche, la Hongrie et la Pologne. Inf’OGM, « Nouveaux OGM : la position des États membres de l’UE », Eric MEUNIER, 4 décembre 2019

[3] Inf’OGM, « Inscrire un « nouvel OGM » au catalogue des variétés », Frédéric PRAT, 20 juillet 2020

[4] Des Faucheurs volontaires détruisent des sacs de semences, La France agricole, 17 juin 2021.

[5] Inf’OGM, « OGM : le Conseil d’État suit les organisations contre le gouvernement », Zoé JACQUINOT, 10 février 2020

[6] Inf’OGM, « Modes d’obtention des variétés végétales : toujours pas de transparence », Frédéric PRAT, 20 juillet 2021

[7] Détails de la notification : Arrêté fixant la liste des variétés mentionnée à l’article 2 du décret xx

[8] Inf’OGM, « France – Des OGM autorisés… bientôt interdits », Eric MEUNIER, 26 mai 2020

[9] Ibid.

[10] voir par exemple Mensonges et manipulations à l’assaut du projet de décret « mutagenèse-ogm », 4 octobre 2020.

[11] Inf’OGM, « Nouveaux OGM : chronologie des manquements de l’État français », Christophe NOISETTE, 13 octobre 2021

[12] Arrêté du 24 décembre 2020 modifiant le Catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées en France (semences de colza et autres crucifères).

[13] Pour connaître les variétés enregistrées, il suffit de taper le nom de la variété sur : https://www.geves.fr/catalogue/ : certaines des variétés de colza des listes des deux arrêtés y sont bien présentes (vérification non exhaustive)…

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