Un extrait du travail de la photographe Alexa Brunet et du journaliste Patrick Herman : « Dystopia », le meilleur des mondes agricoles ?«
Le 30 mars 2020, le gouvernement est revenu sur le décret de décembre 2019 concernant l’augmentation de la distance entre les épandages de pesticides et les limites des habitations. Ce retour en arrière est dangereux pour les riverains vivant à côté des cultures.
Un décret environnemental remis en cause
Le 27 décembre 2019, en grande partie grâce au collectif des maires anti-pesticides, un décret est publié pour augmenter la distance des zones de non-traitement, soit la distance entre les zones d’épandages de pesticides et les limites de propriété des habitations.
Ces zones de non-traitement (ZNT) sont passées de 10 à 5 mètres pour les cultures hautes (vignes ou arboricultures), de 5 à 3 mètres pour les grandes cultures (blé, maïs, légumes…) et seules les cultures utilisant les substances les plus dangereuses sont restées à 20 mètres. Ces réductions de distance divisent par deux des ZNT déjà qualifiées comme insuffisantes par les associations de protection de l’environnement et de la santé.
Tout commence par une circulaire le 3 février 2020 qui introduit, au sein du décret, une première dérogation : « Les utilisateurs engagés dans un projet de charte soumis à concertation publique (…) peuvent, à titre individuel, appliquer ces réductions de distance ».
Cette charte propose une réduction des ZNT, à condition que les agriculteurs utilisent des «systèmes antidérive», c’est-à-dire des systèmes permettant une plus grande précision dans la pulvérisation des traitements. Les modalités de la charte sont discutées en concertation entre les représentants des agriculteurs locaux et les représentants des riverains.
Puis fin mars, en pleine crise liée à l’épidémie de COVID19, le Ministère de l’Agriculture étend cette dérogation en limitant la réduction à une simple promesse. Désormais, il suffit que la chambre d’agriculture ou le syndicat agricole majoritaire promette au préfet d’entamer les concertations autour de la charte dès que le contexte le permettra, pour que les agriculteurs puissent bénéficier des réductions de distances. Et ce, jusqu’au 30 juin 2020…
Une dérogation problématique
L’augmentation des zones d’épandage est souhaitée par certains agriculteurs. Car comme le dit un représentant de la Coordination Rurale de l’Oise “les ZNT entraînent une réduction significative des surfaces cultivées sur l’ensemble du territoire national et une baisse importante de production et du chiffre d’affaires des cultures.”
Cependant, l’agrandissement des surfaces de pulvérisation de pesticides pose de nombreux problèmes pour les habitants des villes aux abords des cultures, tant sur le plan de leurs conditions de vie et leur santé, que des concertations autour de la charte.
Outre la pollution de l’air et le danger des pesticides pour la santé, la pandémie mondiale accentue le problème. Lors d’un communiqué de presse du 27 mars Atmo France* alerte sur le fait qu’“une exposition chronique à la pollution de l’air(…) est considérée comme facteur aggravant des impacts lors de la contagion par le COVID-19.” Pourtant, dans un contexte d’état d’urgence sanitaire, au lieu de protéger les habitants de la pollution de l’air, l’Etat propose une dérogation ayant l’effet inverse. Les riverains, pour se protéger de cette pollution, se voient obligés de fermer les volets de leurs fenêtres et de renoncer à leurs jardins.
Par ailleurs, les concertations autour de la charte ne sont plus possibles. Dans un souci d’égalité, le 2 avril 2020, la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) a demandé « à suspendre les concertations car le 100% numérique ne permet pas à tous de participer ». Il n’y a plus qu’à espérer que les concertations soient reportées.
Les ONG réagissent
Collectifs et associations se sont mobilisés contre cette réduction des ZNT :
- Deux recours en justice : 9 ONG** ont décidé d’attaquer la circulaire du 3 février 2020, d’abord sur le fond, devant le Conseil d’Etat, puis en référé suspension pour protéger la santé et les conditions de vie des riverains confinés.
- L’interpellation des préfets et préfètes : L’association Générations futures, avec sa campagne « Shake ton politique » propose un moyen d’intervenir directement auprès de la préfecture de votre département en leur demandant d’interdire les épandages près des habitations et de reporter les concertations.
- Un référé-liberté : L’association Respire a déposé un référé-liberté au Conseil d’état sur la relation entre la pollution de l’aire et le coronavirus contraignant le gouvernement à appliquer les dispositions en cas de pics de pollution ce qui signifie une réglementation stricte pour les activités agricoles.
- Des cartes postales : Nous voulons des coquelicots a créé des cartes postales numériques et en papier à envoyer aux élus pour les interpeller.
- Une pétition : Le site MesOpinions propose une pétition pour faire respecter les distances de sécurité pour les épandages de pesticides.
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MISE A JOUR – 12 mai : Épandage des pesticides : le Conseil d’État fait reculer le ministère de l’Agriculture
Ce mardi 12 mai, le ministère de l’Agriculture s’est engagé à retirer de son site internet les textes qui incitaient à réduire les distances d’épandage au minimum. Cette décision a été annoncée lors d’une audience devant le Conseil d’État, qui examinait un recours de neuf associations contre le ministère déposé le 23 avril dernier. Elles contestaient le choix du ministère, en pleine crise du Covid-19 et en plein confinement, de permettre une réduction des distances de sécurité entre les épandages de pesticides et les habitations au minimum.
Cette réduction ne devait être au départ autorisée, dans chaque département, qu’après une consultation du public permettant l’adoption d’une sorte de charte de bon voisinage. Mais les consultations pouvant être difficilement menées en temps de confinement, le ministère avait fait le choix d’en dispenser les agriculteurs jusqu’à fin juin. Ce contre quoi les associations ont protesté, en déposant deux recours devant le Conseil d’État, l’un dans l’urgence et l’autre sur le fond.
L’audience de ce mardi a donc permis aux associations d’obtenir le retrait des textes d’information du gouvernement sur le sujet, mais toute l’affaire n’est pas encore jugée : les associations demandaient également le retrait d’une instruction officielle permettant ces réductions de distance à peu de frais. « Nous saurons d’ici la fin de la semaine si le Conseil d’État accède ou non à nos attentes sur ce point », ont-elles indiqué.
Source : Reporterre
https://reporterre.net/Epandage-des-pesticides-le-Conseil-d-Etat-fait-reculer-le-ministere-de-l-Agriculture
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Pour aller plus loin :
- Sur le collectifs des maires anti-pesticides, vous pouvez aller voir la tribune en soutien au maire de Langouet ou le livre de Daniel CUEFF, le maire de Langouet et président du collectif.
- Sur la dangerosité des pesticides dans la pollution de l’air avec l’article “L’air est pollué aussi par les pesticides”
- Sur les distances de sécurités des zones de non-traitement : un article de Reporterre sur le décret de décembre et le rapport ministériel préconisant des distances de 50 mètres.
- Sur l’évolution productiviste de l’agriculture : le livre Lettre à un paysan sur le vaste merdier qu’est devenue l’agriculture de Fabrice Nicolino et son blog
**9 ONG : Générations Futures, UFC-Que choisir, Collectif de Soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest, France Nature Environnement, Union syndicale Solidaires, Eau et Rivières de Bretagne, AMLP, vigilance OGM, et la LPO sont requérantes – le Collectif Victimes des Pesticides des Hauts de France est en soutien car organisation non constituée.