L’affaire d’Emmanuel Giboulot, viticulteur bourguignon qui fut un temps susceptible d’être condamné à une peine de 30 000 euros d’amende pour avoir refusé de traiter ses vignes avec un insecticide, a suscité les passions auprès des citoyens défenseurs de la bio. Pourtant, elle a éludé le vrai problème: la lutte contre la flavescence dorée, maladie mortelle de la vigne en expansion en France, pour laquelle aucun remède n’existe, mis à part la prévention.
Plus de 500 000 internautes ont signé la pétition « En prison pour avoir refusé de polluer » ! suite à la médiatisation du recours en justice d’un viticulteur en biodynamie, Emmanuel Giboulot, parce qu’il n’avait pas épandu un insecticide sur sa vigne. Une réaction scandalisée et compréhensible, y compris chez Bio Consom’acteurs : qui a envie d’avoir une amende pour avoir refusé de balancer du pétrole dans l’eau ? Ou pour avoir refusé de jeter sa cigarette par terre ? A l’heure de l’éclosion de la sensibilité à l’écologie, refuser de polluer est plutôt bien vu. Sauf que. Quand on se renseigne un petit peu sur la maladie de la flavescence dorée et sur son impact en viticulture, on se rend compte que cette affaire est un poil plus complexe que ce que ce dont la plupart des médias nous abreuvent : une vision manichéenne du monde, avec d’un côté des gentils qui n’épandent aucun pesticide sur leurs vignes et en sont fiers, de l’autre les méchants viticulteurs (bio ou pas) qui acceptent d’en utiliser. Car on ne rigole pas avec la flavescence dorée, maladie due à une bactérie qui s’installe dans une partie de l’écorce de la vigne. Maladie qui se transmet par la cicadelle, un petit insecte piqueur suceur. Et qui est épidémique, incurable et mortelle. Le blog du Monde Miss Glouglou explique très bien le débat en cours sur cette affaire. En voici les enjeux, dans les grandes lignes.
Peu de modes d’actions efficaces
La flavescence s’étend. Depuis son apparition dans le sud de la France dans les années 50, elle a a remonté vers le nord, touchant à présent la Saône-et-Loire et la Gironde notamment. Et, contrairement à ce qu’on peut lire partout, la Côte-d’Or a bien été touchée : deux foyers y auraient été découverts et éradiqués en 2005 et 2006, selon la préfecture du département. Foyers éradiqués égalent pas de problème ? Ce n’est pas si simple.
La flavescence est vicieuse. Il se passe une année avant qu’une vigne atteinte montre les symptômes de la maladie (décoloration et enroulement des feuilles, absence de lignification des rameaux). Ce qui veut dire que la maladie dispose d’un an pour prendre ses aises, soit sur la parcelle même, soit sur des parcelles voisines. Et de façon exponentielle ! Si un plant est touché, dix le seront l’année suivante. En d’autres termes, lorsqu’on se rend compte qu’une parcelle est touchée, il est peut-être trop tard. Or, rappelons-le, la maladie est incurable. La solution ? La prévention. D’où l’obligation de lutter contre la flavescence dorée depuis un arrêté ministériel du 9 juillet 2003, « dans les périmètres de lutte définis par les arrêtés préfectoraux », lit-on sur un document de la Draaf Bourgogne.
Sur le terrain, peu de modes d’actions efficaces… pourtant rendus obligatoires – faute de mieux, probablement – par l’arrêté ministériel de 2003, en fonction des départements : 1) l’achat de pieds traités à l’eau chaude (50°C) ; 2) l’épandage d’insecticide pour tuer le vecteur de la maladie, la cicadelle ; 3) la prospection de tout le vignoble et l’arrachage de tous les pieds montrant les symptômes. C’est cette suite d’opérations que l’arrêté préfectoral du 7 juin 2013 a rendue obligatoire en Côte-d’Or, notamment par une -et une seule -application d’un insecticide. Et c’est cela qu’a refusé de faire Emmanuel Giboulot. Ainsi que d’autres viticulteurs qui, d’après E. Giboulot dans une interview pour Bastamag, achètent le produit, ne l’épandent pas, mais n’en parlent pas, eux.
Aucun produit n’est neutre
Problème du Pyrévert, l’insecticide autorisé dans les vignes bio : à base de pyrèthre, il est non-sélectif. C’est-à-dire qu’il détruit non seulement les cicadelles, insectes vecteurs de la flavesence dorée, mais aussi tous les autres, auxiliaires compris (ceux qui aident à la culture, via la pollinisation ou la prédation d’espèces impactant la culture, par exemple). La direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt d’Aquitaine le reconnaît elle-même dans ce document. On peut donc comprendre que certains viticulteurs bio rechignent à utiliser le Pyrévert. Et prient pour ne pas être touchés par la flavescence.
Mais c’est prendre des risques que de ne pas participer à la lutte collective : la flavescence dorée progresse d’année en année, plus de la moitié du vignoble français étant en lutte contre la maladie. Même les viticulteurs conventionnels s’inquiètent, tel l’auteur du blog Reignac :de la vigne au vin qui dans un article déplore: « Et moi de penser à François percuté de plein fouet par cette Flavescence en mai 1999 et obligé d’arracher cette parcelle atteinte par cette gangrène sur 40% des pieds en moins de trois années. Ou encore à Pascal racontant participer chaque année au dépistage des pieds atteints pour les arracher, les marquants à la peinture et voir le propriétaire gratter au couteau ces marquages pour les voir disparaître. Ou encore ce viticulteur en zone obligatoire de traitement me dire que non, lui ne traite pas, ses voisins le font. Et on se demande encore pourquoi malgré tout cela la maladie progresse et que bien souvent l’évolution de la maladie paraît incompréhensible, ou si, parce que les traitements ne marchent pas, alors autant les arrêter. ». Et de faire référence aux pesticides bio : « Aucun produit n’est neutre, aucune action n’est sans conséquences. Le fait de traiter impacte dans un sens, ne pas le faire fait pencher la balance dans l’autre sens ». Compliqué, n’est-ce-pas ?
« Bio à fond ou décision raisonnée? »
L’idéal serait de trouver des solutions naturelles et sélectives pour éliminer la cicadelle. Ou alors pour guérir la vigne de la maladie. Mais il semble n’exister ni les unes, ni les autres. Selon Dominique Técher, viticulteur à Pomerol en biodynamie et cité dans l’article de Miss Glouglou, il faut prendre le problème à la source en n’achetant et plantant que des pieds de vigne non contaminés. Pour cela, « on a deux possibilités. On peut se fournir auprès de pépiniéristes qui ne font pas de négoce et cultivent eux-mêmes les ceps de vigne qu’ils vendent. On en assure ainsi la traçabilité et on évite qu’un plant contaminé se retrouve à l’autre bout du pays. Ou alors on peut généraliser la chauffe à 50 °C du cep avant de le planter. On est ainsi sûr qu’il est sain. Ce n’est pas sans conséquences, puisqu’il y a des risques de perte et que cela bouscule le calendrier de la vigne. Mais ça vaut mieux que d’arroser tout un département de pesticides ! ».
D’autres viticulteurs en biodynamie décident autrement. Sur le site d’Olivier Leflaive, producteur de grands crus en biodynamie, celui-ci s’interroge : « En cas d’attaque violente, quel que soit le mode de traitement, nous ne nous interdisons rien en choisissant bien évidemment le moins polluant. Nous sommes avant tout pragmatiques et refusons l’intégrisme aveugle car nous considérons qu’il y en a déjà assez dans le monde! Un exemple frappant? La lutte contre la flavescence dorée, fléau qui s’accélère, et face auquel nous avons actuellement deux solutions : 1) la première acceptée par l’approche biologique: un produit (pyrethrine) à base de molécule identique au sarin (un gaz mortel) qui élimine bien la flavescence mais qui tue aussi toute la faune auxiliaire (typhlodrome, abeilles). 2) la deuxième, un produit chimique, mais sélectif, donc qui n’attaque pas la faune auxiliaire.Vous l’avez compris, dans ce cas le produit « bio » est plus nocif que le traitement chimique! Alors, que faut-il faire ? Que feriez vous à notre place? Bio à fond ou décision raisonnée? Sans certitude absolue, nous avons décidé d’être raisonnable ».
La peine requise par le parquet contre Emmanuel Giboulot le 24 février 2014 est finalement de 1000 euros, dont la moitié avec sursis. Verdict final le 7 avril. Souhaitons que cette histoire fera progresser la mobilisation de la recherche en agronomie pour trouver des moyens de lutte contre la flavescence dorée. Bio, sélectifs et efficaces, si possible.