Pas de vacances pour la planète !
En 2024, l’ADEME publiait un bilan rétrospectif concernant les émissions de gaz à effet de serre issues du secteur touristique en France en 20221. On y apprend notamment que le secteur touristique avait engendré 97 millions de tonnes de CO2e cette année-là, ce qui correspond à l’empreinte carbone annuelle d’environ 10 millions de français⸱es.
Le principal facteur responsable de cette émission monstrueuse de CO2, qui par ailleurs concerne 60 % de la population, les 40 % restants n’ayant pas les moyens de partir, est la mobilité (qui représente 69% des émissions totales), et les avions représentent à eux seuls 1/3 de la totalité2. Comme le rappelle l’ingénieur Jean-Marc Jancovici, spécialiste de la question énergétique et co-fondateur du Shift Project, la contrainte climatique est avant tout une contrainte physique liée à l’énergie. Or, les déplacements longue distance, en particulier en avion, reposent presqu’exclusivement sur les énergies fossiles, qu’aucune technologie ne permet aujourd’hui de remplacer à grande échelle sans exploser les budgets carbone. Le kérosène, par exemple, n’est pas substituable à court terme, ce qui fait de l’aviation un secteur structurellement incompatible avec les objectifs de neutralité carbone. La sobriété – c’est-à-dire le renoncement partiel ou total à certaines pratiques – est donc la seule voie réaliste à court terme.
Que seraient des vacances qui ne pollueraient pas (trop) ? Outre les évidents « gestes à adopter » que nous connaissons par cœur, à savoir ne pas prendre l’avion et favoriser le train à la voiture, c’est tout notre rapport au voyage qu’il s’agit d’interroger – et de sérieusement repenser. En la matière, influenceur⸱euses et médias ne nous aident toujours pas, et les incitations au fameux « autre bout du monde » continuent de polluer les réseaux sociaux. Les arguments en faveur du voyage qui reviennent le plus souvent sont l’ouverture sur le monde, la découverte de nouvelles cultures, faire le plein de sensations, sortir de son quotidien. Les deux premières, pseudo-culturelles, témoignent en réalité d’un ancrage identitaire très occidental qui consiste à entretenir une fascination pour toute culture qui serait autre, et à développer une relation paternaliste, qui frise avec la charité vis à vis des autres pays (cf : l’Inde, le Japon, le Cambodge…). Par ailleurs, le prétexte de l’ouverture sur le monde, et de la découverte de nouvelles cultures est probablement l’un des plus ineptes, puisque le tourisme est un facteur d’homogénéisation des pays et des villes – et donc des cultures respectives, a fortiori en Europe. Prenons les centre-villes (ou équivalents) d’Athènes, de Naples, de Vienne et de Paris : d’H&M en McDo, de Mango en Starbucks, le capitalisme nuit bel et bien à tout esprit de « découverte ». Par ailleurs, l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) nous apprend que « 95% des touristes mondiaux visiteraient moins de 5% des terres émergées »3. Une telle condensation touristique sur un même lieu n’est pas non plus un gage de découverte ou de nouveauté… Une autre des raisons invoquées en faveur du voyage : les sensations fortes, « échapper au quotidien », ou pire encore « un moyen de se réinventer »4. Tous ces arguments semblent témoigner d’un profond mal-être personnel, d’un quotidien dont sont esclaves ces aventurier·es de l’identité propre… et le voyage semble ici être posé comme une thérapie.
Résonnant avec ces sujets, nous proposons de vous renvoyer à l’article de Flora, en service civique chez Bio Consom’acteurs, qui nous parle du Manuel de l’anti-tourisme, écrit par Rodolphe Christin.
La vie locale, grande victime du tourisme
Le sur-tourisme est également à l’origine d’une dégradation importante de la qualité de vie locale, et engendre des problèmes tels que la hausse générale des prix, les problèmes d’immobilier, la défiguration des centre-villes. Difficile en effet de fermer les yeux sur Venise, Amsterdam ou Barcelone, détruites par l’hébergement touristique (plus précisément par Airbnb) désormais obligées de sévèrement légiférer pour permettre à ses propres habitant.es de se loger. Ainsi, en 2020, Barcelone et Amsterdam ont interdit la construction de nouveaux hébergements touristiques (hôtels, logements locatifs, auberges de jeunesse) dans les centres-villes5. A Paris, sur la page dédiée de la Ville, nous pouvons lire :
« Paris, comme toutes les grandes villes touristiques, multiplie les initiatives pour lutter contre la location meublée touristique illégale qui se développe. En cinq ans, le marché locatif traditionnel parisien a perdu au moins 20 000 logements. De plus, les prix constatés sont proches de ceux du secteur hôtelier, soit un niveau compris entre le double et le triple du prix des locations traditionnelles. Ce phénomène provoque à la fois une diminution de l’offre locative privée traditionnelle et une hausse du coût des logements, tant à la location qu’à l’achat. »
Un système de prévention semble-t-il fort inutile lorsque, 7 ans plus tard, la ville de Paris accueillait les Jeux Olympiques de Paris et observait avec un élégant mutisme les prix d’hôtel augmenter de 314 %6, en même temps que les sous-locations fleurissaient.
Pour rajouter à ça, ces villes ultra-attractives doivent ensuite faire face à des problèmes qui risquent l’insolvabilité, telle la mise en péril du patrimoine pour Venise7 causée par les remous de bateaux de croisière, qui ont sérieusement fragilisé les fondations de la ville.
Concernant la restauration et la consommation sur place, le tourisme fait drastiquement augmenter les prix, creusant les inégalités sociales sur les territoires visités, et se révèlent des haut postes émetteurs de CO2 (par exemple, en France, la restauration, le loisir, la culture, le sport sur place représentent 16 % des émissions8). La création de postes engendrée par le tourisme, derrière laquelle se cachent les touristes occidentaux·ales, ne contrebalance guère avec toutes les conséquences sociales de leurs séjours « innocents ». En France par exemple le tourisme est responsable de 11 % des émissions de GES, et participe à seulement 4 % du PIB national9. Le secteur du tourisme français menace donc bien plus qu’il ne rapporte.



A Gênes, de nombreux·euses militant·es et groupes engagés luttent contre Airbnb, et expriment sur les murs de la ville leur rapport au tourisme de masse qui dégrade leur ville et la qualité de leur vie.
Épuisement des ressources, dégradation de la Nature
Cette activité touristique va venir, petit à petit, fatiguer les ressources en énergies et notamment en eau pour le remplissage des piscines d’hôtels par exemple – ou tout simplement en répondant à l’augmentation des besoins en électricité, ventilation… Elle est également à l’origine de l’augmentation des déchets, et à ce sujet WWF nous alerte en affirmant que 52 % des déchets retrouvés en mer Méditerranée sont liés au tourisme balnéaire, menaçant une étendue d’eau responsable de 20 % de la production marine du monde.
Ce phénomène de déchetterie à ciel ouvert est particulièrement observable sur le littoral méditerranéen, et le cas du Parc national des Calanques mérite que l’on s’y attarde. Le Parc National des Calanques, désirant appuyer son caractère naturel et non-urbain, n’a plus de poubelle depuis les années 90. Pourtant, les usager.es continuent de répandre leurs déchets dans le Parc, et sont responsables d’une partie de la pollution des Calanques (une partie qui demeure mineure, c’est le passé industriel de Marseille qui est à l’origine de la haute pollution de la zone des Calanques, appelée à être dépolluée d’ici 2028). En leur « qualité » de zone de « destination majeure du tourisme international »10, les Calanques sont victimes d’une surfréquentation qui met en péril sa biodiversité. La période estivale, qui brasse nécessairement un nombre important de touristes, compte près de 2 000 personnes/ jours et 2 millions par ans sur des Calanques célèbres pour leur beauté et pour leur petitesse. Ainsi, la flore du Parc National est menacé par l’érosion générée par les piétinements de nombreux.ses visiteur.euses.
Il s’agit donc de repenser notre rapport au tourisme, et de démassifier, en relocalisant et en adoptant des pratiques de voyages conscientes et respectueuses. Le mieux, évidemment, est de ne pas prendre l’avion, de voyager en train, et il s’agirait de faire pression sur l’État français pour que les compagnies aériennes ne soient jamais avantageuses comparées à la SNCF.
Jean-Marc Jancovici insiste régulièrement sur le fait que notre mode de vie occidental repose sur un esclavage énergétique invisible : « un Français moyen utilise l’équivalent de 200 esclaves énergétiques pour maintenir son confort de vie ». Or le tourisme, surtout international, est un luxe énergétique majeur. Voyager loin, vite et souvent revient donc à consommer des ressources que ni le climat ni les générations futures ne peuvent se permettre de supporter. Dans cette perspective, la question du voyage devient une question de justice climatique autant qu’un choix personnel. Et si l’on s’accordait à voyager selon les conditions établies par Jancovici, nécessairement les grand·es voyageur·euses nous parleraient des territoires moins loin, moins cher, et qui dépaysent autant qu’ils apaisent.
1https://librairie.ademe.fr/changement-climatique/7637-bilan-des-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-du-secteur-du-tourisme-en-france-en-2022.html
2https://www.carbone4.com/liens-tourisme-et-le-rechauffement-climatique
3https://www.vie-publique.fr/eclairage/24088-le-surtourisme-quel-impact-sur-les-villes-et-sur-lenvironnement
4https://www.lespetitesjambes.com/a-fleur-de-plume/pourquoi-voyage-t-on/
5https://www.lepoint.fr/voyages/venise-amsterdam-barcelone-face-au-tourisme-de-masse-les-villes-serrent-la-vis-01-01-2019-2282756_44.php
6https://www.ouest-france.fr/jeux-olympiques/jo-2024-prix-modification-des-reservations-quelle-est-la-strategie-des-hotels-614da376-113f-11ef-993c-f37c0160a6dd
7https://www.vie-publique.fr/eclairage/24088-le-surtourisme-quel-impact-sur-les-villes-et-sur-lenvironnement#le-tourisme-un-levier-de-d%C3%A9veloppement-%C3%A9conomique
8https://www.carbone4.com/liens-tourisme-et-le-rechauffement-climatique
9 idem
10https://www.calanques-parcnational.fr/fr/la-surfrequentation
Pour aller plus loin : Décarboner la Culture, le tourisme et les loisirs, une étude du Shift Project (2021), dont Jean-Marc Jancovici est cofondateur, qui analyse précisément les leviers de décarbonation du secteur culturel et touristique.
-> FNE a publié le guide de l’été, à retrouver ici !