Méga-bassines : interview de Benoît Biteau

Interview de Benoit Biteau, paysan bio et eurodéputé

  • Que penses-tu des arguments des pro-bassines sur l’opportunité d’aller vers des pratiques plus vertueuses grâce à ces infrastructures ?

Le problème est pris à l’envers. Si on avait mis en place des pratiques plus vertueuses, on aurait fait le constat qu’on était moins dépendant de l’eau d’irrigation et sûrement plus efficace sur notre faculté à préserver la ressource en eau. Il faudrait donc faire l’inverse : mettre en place des pratiques plus vertueuses, et on fera très vite le constat qu’on a besoin de beaucoup d’eau d’irrigation et moins besoin de stockage. S’ils sont dans une stratégie de vouloir stocker de l’eau, c’est précisément parce qu’ils ne veulent pas avancer vers des pratiques plus vertueuses. Ils veulent continuer, ne rien changer, faisant de ces équipements une fuite en avant qui va permettre de prolonger des logiques qui ne sont pas vertueuses.

  • Comment les nappes phréatiques sont-elles impactées ?

Je préfère parler de nappes souterraines, car il y a les nappes phréatiques, mais il y a la globalité des nappes souterraines qui sont concernées par ces projets. Jusqu’à ce que les bassines émergent, c’est dans les nappes souterraines qu’on puisait de l’eau pour l’irrigation en été. On l’a fait avec une vision erronée, biaisée, du cycle de l’eau, en considérant les nappes comme inépuisables : on apporte de l’irrigation, il y a de l’évapotranspiration, elle revient en précipitations. Ce cycle simplifié, voire simpliste, a laissé croire que la ressource était inépuisable. On est allés très loin dans la mobilisation de l’eau souterraine, au point qu’à peu près à toutes les profondeurs (y compris les nappes très profondes), on a sévèrement impacté la ressource. Plutôt que de revisiter cette dépendance à l’eau, il y a cette stratégie de ne pas réduire les volumes et préférer mettre de l’eau dans des retenues l’hiver pour pouvoir la capter l’été.

L’émergence des bassines aura des impacts sur les ressources souterraines :

  • Ces remplissages d’hiver se font sur les nappes souterraines. On va capter de l’eau souterraine, pour remplir des réservoirs qui vont stocker de l’eau, que l’on va mettre à l’air libre, en surface, l’exposant à de l’évaporation, du réchauffement et donc au développement d’organismes potentiellement dangereux. Le stockage aérien par rapport à des stockages souterrains est complétement délirant.
  • On nous promet que le remplissage (entre novembre et avril) ne se fera que quand les nappes seront rechargées, mais c’est un biais énorme et absolument faux ! Les mesures de piézomètres doivent indiquer des niveaux suffisamment hauts pour pouvoir déclencher le remplissage des bassines. On nous présente ce niveau piézométrique comme la garantie que les nappes sont absolument rechargées au moment où on déclenche le remplissage. C’est un biais énorme. Ce que nous indique le piézomètre, c’est qu’on dispose du volume suffisant pour potentiellement recharger la nappe, mais comme il y a beaucoup d’inertie, qu’il faut un temps de percolation, il faut que ces niveaux soient maintenus longtemps pour qu’ils aient le temps de rejoindre les nappes en profondeur. En déclenchant le remplissage sur la base de ces niveaux, on impacte le volume qui de fait, se réduit et n’est plus suffisant pour remplir les nappes. On utilise ce volume, effectivement en quantité suffisante pour recharger les nappes, pour remplir les bassines. Ce volume n’est donc plus disponible pour remplir les nappes. On sort à la fin du mois d’avril avec des bassines pleines et des nappes qui n’ont pas pu se remplir.
  • Nous ne sommes pas sur de la substitution à 100 %. Sur le bassin versant de la Sèvre Niortaise, il y 300 irriguants qui aujourd’hui s’inscrivent dans une démarche de solidarité consistant à dire qu’ils sont 300 à participer au financement pour la part restant à leur charge, car 80% est financé par de l’argent public. Sur ces 300, seuls 220 vont être directement connectés aux bassines. Cela signifie que 80 vont continuer de prélever dans la ressource naturelle, dans les nappes, pendant l’été. Ces nappes, qui vont sortir du printemps déjà impactées par le remplissage des bassines, vont continuer d’être impactées par les prélèvements d’été de ces 80 irriguants. Sous le motif qu’ils financent, ces irrigants auront les mêmes dispositifs et facilités que les autres, sous prétexte qu’ils participent financièrement aux bassines, sans y être pourtant connectés. L’impact que va avoir ces prélèvements va être terrible sur les nappes profondes. On risque d’avoir l’effet totalement inverse à celui qu’on nous promet : une dégradation de la situation et de la gestion de la ressource en eau sur le marais poitevin.

 

Les nappes ne retiennent pas l’eau aujourd’hui, car ceux qui veulent des bassines sont ceux qui ont lourdement contribué au développement agricole que nous connaissons depuis 60 ans, et ceux qui ont effacé les méandres des cours d’eau, re-calibrés les cours d’eau, pour que l’eau aille très vite à la mer. Ce sont ceux qui ont arraché des arbres, retourné les prairies humides, drainé les zones humides, drainé les zones d’épandage de crues. De fait, sur les bassins-versants, on ne retient pas l’eau pour qu’elle ait le temps de satisfaire cette inertie de rechargement. Ces « pompiers pyromanes » sont ceux qui ont participé à des logiques de développement agricole. Ce sont ceux-là même qui disent d’ailleurs que c’est scandaleux de laisser partir cette eau à la mer aussi vite sans la retenir, alors même qu’ils ont créé toutes les conditions pour en arriver à cette situation. Ils nous disent maintenant, alors que l’eau part à la mer, qu’il faut la retenir, mais chiche ! Retenons-la, mais pas dans les bassines, plutôt sur les bassins-versants, avec  des prairies humides, des zones d’épandages de crues, des haies, des arbres en agroforesterie qui permettent de retenir ces volumes sur les bassins-versants, pour qu’ils aient le temps de satisfaire cette inertie de remplissage. Cette solution, elle existe et renvoie à la première question : ce sont celles-là les pratiques les plus vertueuses qu’on doit mettre en œuvre, plutôt que de s’obstiner dans des logiques de stockage qui ne règlent absolument rien. 

  • Comment le modèle agro-écologique pourrait-il se développer sur les territoires concernés sans les méga-bassines, dans un contexte de raréfaction de la ressource en eau et des effets du réchauffement climatique ?

La première des solutions, c’est réaménager l’ensemble des bassins-versants pour que l’eau qui tombe, quand elle est abondante, soit retenue sur ces bassins sur des sites naturels. J’avais conduit une étude quand j’étais directeur adjoint du parc qui s’appelait « territoires stratégiques ». Stratégiquement, on doit recréer des zones où on peut retenir l’eau en hiver dans les milieux naturels, pour que l’eau ait le temps de percoler naturellement jusqu’aux nappes souterraines et les recharger.
Un autre aspect important, c’est de redonner au sol le rôle qu’il doit jouer : les pratiques agricoles sur les bassins-versants doivent restaurer la capacité des sols à stocker l’eau. Avec les logiques agricoles actuelles, et en particulier avec la culture intensive du maïs, on a complétement détruit la capacité des sols à retenir l’eau. La réserve utile des sols est donc réduite à néant.
Un autre aspect fondamental, c’est que 50 % des volumes qui vont être stockés dans les bassines continuent d’irriguer du maïs. Il y a des alternatives au maïs. Il faut sortir des logiques basées sur le maïs hybride, qui nécessitent beaucoup de pesticides, beaucoup d’engrais de synthèse et beaucoup d’eau d’irrigation. On peut repartir sur des semences de population, qui sont des ressources génétiques locales, rustiques, anciennes, mises au point par les paysans eux-mêmes, et donc particulièrement efficaces pour s’adapter au changement climatique. Tous les ans, le paysan qui collecte ses meilleurs épis pour faire son lot de semences pour l’année suivante, permet une amélioration permanente de la ressource génétique. C’est une réponse agro-écologique qui est nettement plus efficace que de construire des bassines. Passer par la solution des bassines, c’est ne pas renoncer au maïs irrigué. Si on arrêtait de produire un maïs gourmand en eau, qui mobilise aujourd’hui 50% des volumes des bassines, dans une équation avec une bonne gestion de la ressource en eau, on apporterait une réponse plus efficace.

  • Quel discours tiens-tu auprès des bénéficiaires de ces projets ? Quel discours spécifique est tenu vis-à-vis de la minorité d’agriculteurs bio concernés ?

Je leur dis que ce sont des personnes qui refusent de se remettre en cause, qui refusent d’intégrer les grands défis pour lesquels on a rendez-vous avec l’histoire, que ce soit le dérèglement climatique, l’effondrement de la biodiversité, la santé ou le revenu des paysans. Ce sont des personnes qui refusent de revisiter leurs pratiques agricoles et qui préfèrent mobiliser beaucoup d’argent public, dans des réponses qui ne sont que des fuites en avant.
C’est un angle d’ailleurs peu mis en avant. Quand on mobilise autant d’argent public, on ne peut pas remettre le débat qu’entre les mains de quelques agriculteurs. C’est un débat de société.
Les bénéficiaires de ces bassines ne représentent que 6 % des surfaces agricoles. Quand j’entends un président de la République, un ministre de l’Agriculture et deux présidents de région nous dire qu’il n’y a pas d’agriculture sans irrigation, je trouve ça parfaitement insultant et injurieux pour les 94% des paysans qui réussissent à produire sans avoir recourt à l’eau d’irrigation.

Qu’est-ce qui autorise à mobiliser autant d’argent public pour des équipements qui ne servent qu’à une partie infime de la population agricole ? Qu’est-ce qui autorise une population aussi infime à mobiliser 80 % de la ressource en eau en été, pendant que les 94 % des surfaces non irriguées sont victimes de la mauvaise gestion de la ressource en eau ?

Quant aux quelques agriculteurs bio impliqués dans ces projets, ce sont juste des faire-valoirs. Ce sont les idiots utiles de ces projets.
Il y a deux profils chez ces agriculteurs bio :

  • Ceux qui sont contraints, notamment sur des logiques de maraîchage. Sauf que sur les territoires où il y a des projets de bassines, pour avoir accès à des volumes d’eau, même en petites quantités, il est obligatoire de rentrer dans le projet. Et on appelle ça de la démocratie ! Moi, je dis que ça n’est pas ça la démocratie. Quand on regarde les volumes d’eau nécessaires à ces maraîchers bio, on devrait pouvoir leur permettre de pouvoir en bénéficier sur les nappes sans avoir besoin de financer ces projets. Aujourd’hui ça leur est imposé. Ce sont également des victimes de ces projets-là.
  • Ceux qui, la fleur au fusil, défendent les projets. Les paysans bio qui ne sont pas paysans, mais exploitants agricoles qui font valoir leurs certifications bio pour justifier ces projets indécents. Quelle indignité ! Ces gens-là, sans s’en rendre compte, sont les idiots utiles de ces projets.

 

  • Comment les consommateurs et consommatrices qui nous lisent peuvent agir ?

En se manifestant ! Il y a plein de rendez-vous citoyens où on peut se manifester pour dénoncer tout ça. il y a aussi des consultations régulières des agences de l’eau, qui sont les principaux financeurs.

50 % du financement des bassines sont portés par les agences de l’eau. Le principe fondateur des agences de l’eau, c’est le principe de pollueurs-payeurs. Aujourd’hui, quand on y regarde, le budget des agences de l’eau est constitué par les usagers de l’eau, ceux qui payent leur facture d’eau… Les usagers-citoyens sont les principaux financeurs des agences de l’eau. Il ne faut pas se voiler la face, le modèle agricole adossé à ces bassines est un modèle gourmand en pesticides et en engrais chimiques qui vont justifier qu’on mobilise beaucoup de moyens pour dépolluer la ressource qui va être contaminée par ces pratiques agricoles. L’usager-payeur va donc voir le budget des agences de l’eau utilisé pour dépolluer l’eau. On est donc dans un principe où le payeur (l’usager) est pollué, et où le pollueur est payé, soit l’inverse du principe fondateur des agences de l’eau.

On continue donc à soutenir une agriculture qui pollue, et qui nous éloigne du principe « pollueur-payeur ». Les citoyens doivent prendre conscience de ce mécanisme et alerter les agences de l’eau.
Quand il y a des rassemblements citoyens comme à Sainte-Soline, même quand ils sont interdits par la préfète, on doit être nombreuses et nombreux pour montrer notre détermination et faire une démonstration de force afin de montrer que la société civile n’adhère pas du tout à ces projets-là, qui sont réalisés avec l’argent public.

Sans culpabiliser le consommateur, on peut évoquer le fait que le maïs que nous produisons sur ces surfaces nécessite, puisqu’il est pauvre en protéine pour nourrir les animaux, un import massif de soja produit de l’autre côté de l’Atlantique. Puisqu’on a choisi de nourrir les animaux avec du maïs, on importe de la déforestation et du dérèglement climatique. Le consommateur peut exiger de manger des produits laitiers ou des produits carnés qui ne soient issus que de modèles herbagés c’est-à-dire issus d’élevage où l’agriculteur a renoncé au maïs et donc au soja, et ne s’appuie que sur des logiques herbagères. Coluche disait « si on n’en achetait plus, ça ne se vendrait pas », et c’était en 1978… Si on appliquait ça, on aurait un levier pour faire entendre qu’on ne veut plus de ce maïs pour nourrir des herbivores, qui pourrait manger de l’herbe. 

Dans ce cas, on déclenche un cercle vertueux : si on nourrit les herbivores avec de l’herbe, on recrée des prairies, donc on peut stocker de l’eau quand il y a des crues. Puisqu’on aura stocké l’eau sur ces prairies, on pourra recharger les nappes souterraines dont on a besoin, pour satisfaire en eau potable les citoyens, mais également les besoins d’irrigation notamment des maraîchers bio, qui ont des besoins parfaitement confidentiels. 

  • Cette mobilisation, est-elle celle de l’agro-écologie face au modèle agro-industriel ?

C’est un marqueur fort en effet, car la première réponse pour avancer des alternatives aux bassines, c’est précisément l’agro-écologie. Changeons d’agriculture, plutôt que d’investir dans des fuites en avant. En Poitou-Charentes, il y a 400 millions d’euros réservés à la création de ces bassines. Imaginez si on mettait 400 millions sur la table pour accompagner la transition agro-écologique, on pourrait avancer de façon vraiment significative.
Il y a aussi une dimension qui est peu évoquée, c’est la problématique des estuaires, du littoral et de la ressource en eau dans le milieu marin. Ces pratiques agricoles et ces bassines amplifient la dégradation des écosystèmes marins, estuariens et des littoraux. Donc c’est une mauvaise solution en termes de gestion de l’eau, de la source à la mer. Dans cette mobilisation à Sainte-Soline, il y avait aussi les paysans de la mer qui expriment leurs besoins, pour continuer à pratiquer leurs activités, afin que la ressource en eau soit mieux respectée.
On a un parc naturel marin sur les littoraux et les estuaires de la Charente et de la Gironde. Les préfets devrait absolument associer le conseil de gestion du littoral pour vérifier que ces équipements sont conformes avec les ambitions du projet de territoire porté par le littoral marin, mais ça n’est absolument pas le cas aujourd’hui. Les citoyens ont aussi leur mot à dire, quand on a un parc naturel marin sur le territoire.

Nous remercions Benoit Biteau de nous avoir accordé cette interview .

Nous lui donnons rendez-vous lors des prochains rendez-vous militants le 15 décembre à Orléans, devant le conseil d’administration de l’agence de l’eau et le 25 mars lors de la prochaine manifestation nationale.
Retrouvez notre article sur le sujet des bassines ici.

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