Les cantinières de la Commune
« La marmite révolutionnaire, où pendant tout le siège Madame Lemel, de la chambre syndicale des relieurs, empêcha tant de gens de mourir de faim, fut un véritable tour de force de dévouement et d’intelligence »
Louise Michel
Cantonnées à l’oubli ou à l’indifférence, les cantinières de la Commune de Paris ont pourtant été au cœur de l’insurrection, parées de l’écharpe rouge, actrices stratégiques et nécessaires du printemps 71, réprimées puis oubliées : elles ne passèrent pas le filtre patriarcal de l’Histoire, mais n’échapperont pas à l’histoire populaire que nous continuons d’écrire.
La Marmite et Nathalie Le Mel
Relieuse bretonne et syndiquée, militante pour les droits des femmes et pour l’égalité avec leurs pairs masculins, meneuse de grève et co-fondatrice de « L’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés », Nathalie Le Mel a été une personnalité marquante et engagée de la fin du 19ème siècle. Elle se retrouve courant 1867 à gérer un restaurant populaire et ouvrier, la Marmite, qui sera couronné d’un franc succès… Si bien qu’avec Eugène Varlin, co-fondateur, iels en ouvriront trois autres dans la capitale. Prix minis, confiance dans les consommateurs et les consommatrices, chacun.e se servait librement en cuisine et les plus aisés payaient pour les plus pauvres.
« AUX OUVRIERS ! AUX OUVRIÈRES !
AUX CONSOMMATEURS !
APPEL POUR LA FORMATION D’UNE CUISINE
COOPÉRATIVE »1
Charles Keller, communard et poète, se rappelle des déjeuners à la Marmite en ces termes :
« On y prenait des repas modestes, mais bien accommodés, et la gaîté régnait autour des tables. Les convives étaient nombreux. Chacun allait chercher lui-même ses plats à la cuisine, et en inscrivait le prix sur la feuille de contrôle qu’il remettait avec son argent au camarade chargé de le recevoir. Généralement on ne s’attardait pas, et pour laisser la place à d’autres, on s’en allait après avoir satisfait son appétit.Parfois cependant, quelques camarades plus intimes prolongeaient la séance et l’on causait. On chantait aussi. Le beau baryton Alphonse Delacour nous disait du Pierre Dupont, le Chant des ouvriers, etc. La citoyenne Nathalie Le Mel ne chantait pas ; elle philosophait et résolvait les grands problèmes avec une simplicité et une facilité extraordinaires. Nous l’aimions tous… »2
Au cours du siège de Paris, dans une capitale affamée, la Marmite a représenté un lieu convivial et probablement salutaire pour des centaines d’ouvrier·es au chômage.
Les quelques mots que lui réserve Louise Michel, et que nous avons cités en haut de l’article, manquent d’évoquer un élément important concernant Nathalie Le Mel et ses compagnonnes. Non contentes de soigner les hommes blessés, fédérés ou versaillais, de remplir les ventres insurrectionnels, elles-mêmes tinrent des barricades, à 3 ou à 100. Nathalie Le Mel faisait notamment partie du groupe de la place Blanche, dont elle tint la barricade.
Victorine Brocher, la cantinière morte vivante
Peu d’écrits de communardes ont été recensés, encore moins ont été publiés. Louise Michel, bien entendu, a écrit des poèmes et ses Mémoires, et a pu jouir d’une notoriété certaine après sa mort et encore aujourd’hui. Et puis il y a Victorine Brocher, journaliste, autrice, co-fondatrice et enseignante de l’école de Louise Michel, grande figure de l’anarchie et de la Commune. Elle a notamment publié Souvenirs d’une morte vivante en Suisse, un livre réédité par Libertalia.
Suite à la proclamation de la Commune de Paris, Victorine Brocher s’engage comme cantinière, ambulancière et dans la défense armée des barricades avec son mari Charles Rouchy. Elle sera décrite dans le journal officiel en ces termes : « Le bataillon félicite notre cantinière, la citoyenne Victorine Rouchy, du courage qu’elle a montré en suivant le bataillon au feu, et de l’humanité qu’elle a eu pour les blessés dans les journées des 29 et 30 avril. »3
Charles Rouchy, quant à lui, sera grièvement blessé en avril 71, les mains gravement brûlées par une marmite bouillante… Il rejoindra leur bataillon en mai, et ouvrira une cantine à Passy, dans une ancienne école, et tâchera, avec Victorine, de nourrir les camarades. Il sera arrêté dans sa cantine le 22 mai, et emprisonné dans le camp de Satory, puis à la prison des Chantiers, et enfin sur le bateau-prison le Tage.
Victorine quant à elle, et contrairement à tous ses camarades, échappera à l’arrestation et à la fusillade ; et se cachera pendant un an… Une année pendant laquelle tout le monde la croira morte, son cadavre ayant été authentifié par sa propre mère, au bas du mur des Fédérés. Erreur ou sauvetage, nous ne savons pas à ce jour quelle était l’intention de la mère de Victorine lorsqu’elle a reconnu la dépouille de sa fille, mais ça lui aura probablement permis de rester en vie ; ce qui explique l’appellation « morte vivante ».
Une petite dernière !
Michèle Audin, mathématicienne, autrice et spécialiste passionnée de la Commune, a retranscrit quelques témoignages, et nous vous en livrons un ici d’une autre cantinière nommée Hélène le Bœuf : « Mon mari, il est au 240e, un bataillon du vingtième. Alors je me suis engagée aussi comme cantinière. Maintenant que ça recommence, on part sur les fortifications, vers la porte de Saint-Cloud. Ah! Faire à manger, pour tous ces affamés, c’est du boulot. Mais je crois qu’ils sont contents. Quand on en aura fini avec cette racaille rurale de versaillais, je ferai restauratrice, marchande de vins. Ce que j’aimerais, c’est de faire des beaux desserts, des meringues, de la crème pralinée, des babas au rhum. Vous ne faites pas des œufs à la neige sur les remparts. Ni de la sauce au chocolat chaude pour verser sur de la glace à la vanille. »4
Hélène le Boeuf a tenu la cantine du 240e bataillon jusqu’à son arrestation le 19 juillet. Elle fût relâchée et pu bénéficier de la liberté provisoire – échappant ainsi aux prisons fortifiées.
Ces portraits esquissés ne représentent rien par rapport au nombre de femmes qui s’engagèrent durant la Commune et qui semblent avoir laissé après elles un héritage qui, plus encore de nos jours, prend de l’importance : les cantines solidaires.
En effet, ces dernières semble connaissent un regain de nombre et de vitalité : cantine des soulèvements de la Terre, Casa Consolat, 13Solidaires, Les Petites Cantines, la cantine des Pyrénées, le collectif Food not Bombs, l’Internationale Boulangère Mobile-isée, les repas à la Flèche d’or, les distributions, et celui que l’on ne présente plus : le camion-merguez de la CGT.
La restauration collective solidaire se divise en deux objets d’étude : d’un côté la cantine mobile, qui se déplace sur les festivals, en maraude, ou sur les lieux de forte mobilisation (tous les gros évènements organisés par les soulèvements de la terre ou les Résistantes par exemple) et la restauration collective quotidienne et régulière (aka les cantines d’entreprise). L’une et l’autre représentent un levier majeur pour poursuivre l’objectif de « faire commun ».
On s’en parle dans un second épisode…
1Appel de Varlin pour réunir les fonds nécessaires à l’ouverture des succursales de la Marmite.
2 Michel Cordillot, Eugène Varlin, internationaliste et communard, Spartacus, 2016, p. 44.
3Michèle Audin, « Victorine Brocher (1839-1921) [archive] », sur La Commune de Paris, 26 avril 2017 (consulté le 17 août 2020).
4https://www.humanite.fr/en-debat/il-y-a-150-ans/8-avril-1871-victorine-une-plieuse-une-autre-cantiniere-etc-702871