Lasagnes au cheval: pour éviter les fraudes, rapprochez-vous de la vache

Le scandale de la viande de cheval vendue comme du bœuf met en lumière l’opacité qui domine la commercialisation de la viande. Au-delà d’acheter français, une consommation responsable implique de nous réapproprier notre alimentation d’origine animale, à l’instar de ce que nous faisons déjà avec les végétaux. Notamment  via les circuits courts.

Sept opérateurs dont deux traders, cinq pays, 10 000 kilomètres. C’est ce qu’il a fallu au cheval roumain pour qu’il devienne lasagnes « 100% pur bœuf » à 3 euros le kilo. Difficile de faire moins local et plus tortueux (voir Chronologie d’un scandale alimentaire, dans le Monde). Mais si notre indignation est légitime vis-à-vis de la complexité des filières de la viande industrielle, elle ne suffit pas. C’est l’éloignement du consommateur vis-à-vis de ce qui le nourrit qui est source d’opacité. Et non la seule distance géographique.

Une étiquette indiquant l’origine de la viande – qu’a défendue François Hollande lors du salon de l’agriculture – sur nos plats préparés ne rendra pas la filière plus transparente. D’une part, parce que ladite étiquette ne garantit pas l’absence de fraude : pour preuve, l’entreprise Spanghero, fournisseuse du fabricant des lasagnes faussement bovines Comigel, est actuellement soupçonnée de tromperie économique, n’en déplaise à la France. D’ailleurs, le trajet du champ à l’assiette donne plusieurs occasions de frauder, selon le Guardian. D’autre part, l’étiquette indiquant l’origine de la viande ne nous dit pas dans quelles conditions un agneau a été élevé, nourri, transporté, abattu et transformé en boulettes. Ni la manière dont travaillent les salariés de l’élevage ou de l’abattoir, ni quels sont les risques sanitaires. Enfin, l’étiquette ne précise pas qui sont les véritables bénéficiaires de la vente de la viande. L’éleveur ou les traders ? Le fabricant de surgelés ou le distributeur ?

Dans le cas des lasagnes Findus, la vente de sous-produits de cheval aurait surtout profité à  la coopérative Lur Berri, via sa filiale Spanghero. Implantée dans le Sud-Ouest, Lur Berri  revendique 5000 agriculteurs et 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, d’après le Monde. Elle possède les saumons et foies gras Labeyrie. Le 18 février, 70 éleveurs de la coopérative manifestaient pour dénoncer la «politique du chiffre» de celle-ci. Pour la Confédération paysanne, Lur Berri «se comporte comme n’importe quelle multinationale au mépris des paysans du sud-ouest» et «va à l’encontre de la mission des coopératives de vendre et rétribuer les produits de ses coopérateurs». Sa filiale Spanghero aurait écoulé 750 tonnes de cheval sous forme de plats surgelés soi-disant au bœuf, dans une dizaine de pays européens. Elle se serait fournie chez un dénommé Jan Fasen, trader néerlandais, impliqué en 2012 dans un autre scandale alimentaire. Mais Lur Berri n’est pas la seule coopérative agricole française à s’être détachée de la réalité de terrain (voir l’article de Libération) de ses agriculteurs. On peut citer Maïsadour, Vivadour, Euralis…toutes actrices dans le négoce international de produits agricoles et agroalimentaires.

Le scandale de la viande de cheval aurait impliqué d’autres fournisseurs que Spanghero et sa maison-mère Lur Berri. Le 12 mars, le ministre de la consommation Benoît Hamon annonçait l’identification de cinq circuits impliqués dans cette tricherie (voir le Journal de l’environnement).  L’équidé estampillé boeuf s’est retrouvé chez Findus, mais aussi Nestlé, Ikea, Picard, marques de distributeurs (Auchan, Système U, Monoprix, Carrefour, etc.). Il a galopé dans une vingtaine de pays d’Europe et même jusqu’à Hong-Kong et la République Dominicaine. Il a aussi passé la porte des réfectoires scolaires, comme l’indiquait le Monde du 13 mars. La nébuleuse chevaline s’est répandue partout. Sauf dans le pré où paissent les vaches de votre voisin.

D’où la solution pour éviter qu’un nouveau scandale de type horsegate se reproduise : faire connaissance avec les animaux qu’on souhaite manger. Si ce n’est à la ferme, du moins par le biais de ceux qui les élèvent ou qui les vendent. Rien d’extravagant à cela, si l’on y réfléchit bien. Ouvrir les yeux sur les conditions d’élevage, de transport et d’abattage des animaux, est la suite logique de ce que de nombreux consommateurs font déjà avec les végétaux. Et pourquoi? Parce qu’amaps, jardins partagés ou individuels, ventes à la ferme, marchés de producteurs, etc. rapprochent physiquement les citoyens de leurs aliments. Le bénéfice est multiple. Pour le consommateur, ce sont les liens sociaux qu’il tisse avec ses pairs et le producteur ; c’est l’assurance d’être informé sur les méthodes d’exploitation de la ferme, à travers des échanges avec le paysan ou directement sur son champ ; c’est enfin un geste politique, dans la mesure où le citoyen-consommateur soutient une agriculture qui lui semble une représentation acceptable de l’avenir. Qu’elle soit étiquetée ou pas. Les circuits courts ont aussi des avantages pour le producteur. Celui-ci est assuré d’être payé à un prix plus juste que si ses produits avaient transité par de nombreux intermédiaires. Et gagne aussi l’occasion de restaurer et d’entretenir la confiance que lui accordent les consommateurs. Une certaine dignité même, celle du paysan qui nourrit le monde – et ne se contente pas d’être le simple rouage d’une agroindustrie mondialisée qui lui échappe. Ce qui assure la transparence, c’est le lien le plus direct.

L’affaire de la viande de cheval a donc au moins une vertu. Celle de nous obliger à nous intéresser à l’animal que l’on veut manger, à son éleveur et à ses revendeurs, à l’instar de ce qui existe déjà avec les carottes, asperges et autres plantes aromatiques. Renforcer les contrôles le long de filières où seules les marges comptent (voir les Echos du 6 mars) ne satisfera pas le consommateur responsable. Celui-ci n’obtiendra la transparence que s’il la recherche vraiment. Dans le pré d’un voisin éleveur de vaches, le poulailler d’une maraîchère partenaire de l’amap ou via le copain du copain qui élève des agneaux. C’est à ce prix-là qu’on saura réellement ce qui se trouve dans notre assiette.

 

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