Nous avons rendu visite à une communauté de personnes installées en permaculture, dans le sud-ouest de l’Angleterre. Autonomes en nourriture, en eau et en partie en énergie, elles mènent une vie simple, basée sur le maraîchage et le lien à la terre. Découverte d’un mode de vie qui n’a rien d’un retour à la bougie.
Landmatters : la terre compte. C’est ce qu’on lit en lettres peintes sur un petit panneau en bois, à l’entrée d’un pré appartenant à une coopérative du même nom. Nous sommes dans le sud-ouest du Devon, comté du sud-ouest de l’Angleterre. Début mai, les nuages pleurent et le vent souffle fort. Cachée dans un labyrinthe mouillé de talus et haies de toutes les nuances de vert, Landmatters est « une expérience poussée de communauté inspirée de la permaculture », juge notre guide, Hal Gillmore. Un poney gris pommelé nous souhaite la bienvenue de ses naseaux tout doux. Parapluies et bottes sont de la fête: « il y a deux saisons dans cette région : il pleut ou il va pleuvoir », constate notre guide avec un petit sourire.
Après une dizaine de minutes de patauge sur un chemin, surgit une petite yourte rectangulaire, au toit bâché et fouetté par le vent. Un petit homme à barbe nous accueille avec une bouilloire qui semble avoir fait la guerre. Une guitare sur le sofa, une grande table en bois et une longue liste de tâches à accomplir gribouillée sur un tableau : c’est la maison commune de Landmatters, « son cœur », dit Karl Surridge, notre hôte barbu. Sur les 17 hectares appartenant à la communauté vivent six familles : neuf adultes (certains seuls) et sept enfants. Tous mangent uniquement ce qu’ils produisent, boivent l’eau qu’ils puisent à une source locale et ont acquis une autonomie partielle en énergie.
Maraîchage, visites et mariages
« Nous pouvons nourrir entre 50 et 100 personnes avec notre production », affirme Karl en nous faisant entrer dans une serre à l’armature en bois local, en forme de dôme parfait. « C’est un designer de Totnes qui l’a dessinée. Il en a bénéficié car il a plus de commandes depuis ! C’est un exemple de ce que nous cherchons à faire : soutenir l’économie locale au lieu d’acheter des serres en plastique venant de Chine…». Landmatters accueille aussi des chantiers participatifs (des bénévoles sont venus aider à construire la serre, par exemple) et des wwoofers (personnes souhaitant travailler la terre en contrepartie du logement et de la nourriture). La communauté vend ce qu’elle ne consomme pas, c’est-à-dire entre 30 et 40% des légumes, fruits et œufs (de poules et de canes) produits, à des pubs et restaurants des environs de Totnes, dans un rayon de 10 km. « Les gens de Totnes veulent du local, du bio et du frais. C’est bon pour nous, ça ! » rigole Karl. Landmatters accueille aussi des groupes de visiteurs (étudiants, journalistes, etc.) et des événements (mariages, etc). La coopérative récolte aussi des subventions du gouvernement britannique et de l’Union européenne.
En plus d’être autonomes en nourriture, les habitants de Landmatters le sont en électricité et en eau potable. Chaque maison a son propre micro-système d’électricité : aucune qui n’ait, à première vue, ses panneaux solaires sur le toit ni sa petite éolienne tournant gaiement. L’électricité qui alimente la maison commune est fournie par des panneaux solaires placés sur le toit d’une grange, grâce à l’aide financière de l’association Transition Town Totnes. En revanche, le pétrole a encore sa place…dans les réservoirs des voitures. « Chaque famille a la sienne», reconnaît Karl. « Notre modèle est mixte, on n’est pas des communistes ».
Toilettes sèches et internet
Une grande cuve récupère l’eau de pluie. Plus loin, Karl demande à l’un de nos collègues d’activer une pompe à bras. Quelques gouttes de sueur plus tard, celui-ci brandit un bidon au quart rempli d’eau. Les habitants de Landmatters ont la chance d’avoir une source sur leur terrain. « La potabilité de l’eau est contrôlée régulièrement », affirme Karl. Certes, boire et se laver ici demande plus d’énergie que tourner le robinet, mais l’effort fourni implique «un autre rapport à l’eau et au temps», souligne notre hôte. Cette relation au temps, on la constate aussi en admirant les toilettes sèches de Karl. Et surtout le beau tas de caca qui sèche à côté. « On mélange le caca avec une enzyme, on attend six mois et on peut faire du compost », assure-t-il. En tout cas, ça ne sent pas trop. Je me dis que le climat humide et frais y est pour quelque chose.
Pour apprendre à cultiver la terre, les habitants se font régulièrement aider par un spécialiste en permaculture. Permaculture : le terme reviendra comme un mantra durant la visite : depuis la naissance du projet en 1993, la permaculture en est le coeur. Pourquoi ? « Nous voulions un système durable, qui se régénère tout seul et s’améliore au fil du temps », explique Karl Surridge. Basée sur la compréhension et la conception de systèmes qui miment les écosystèmes naturels, la permaculture répond justement à ce souhait. Ne pas croire pour autant qu’il s’agit de laisser la nature faire tout, toute seule. La main humaine intervient, ou plutôt son « esprit de singe », sourit Karl.
« Que ce soit par jeu, esthétique ou autre, on modifie la nature. On sait qu’on ne peut pas la rendre meilleure dans l’absolu. En revanche, on peut la rendre meilleure pour nous!». D’où l’observation minutieuse des interactions entre tous les êtres vivants et leur milieu. D’où, aussi, l’importance accordée aux emplacements, en fonction des synergies observées : je plante tel légume à côté de tel autre, parce que le premier repousse les insectes qui menacent le second ; je range la nourriture des poules à côté du poulailler ; ou encore je construis des toilettes pas trop éloignées de mon lieu de vie… La permaculture peut s’appliquer à tout notre quotidien. « Ce n’est pas juste du jardinage ou de l’agriculture, ça repose sur du design et sur une philosophie, qui est elle-même sous-tendue par une certaine éthique ». Et pas de retour à la bougie pour autant : il y a internet dans la maison commune et Karl nous confie l’avoir installé chez lui.
« Nous sommes aussi des passeurs »
L’éthique de permaculture repose sur trois branches, nous explique Karl : 1) ne pas faire de mal à la planète, au contraire en prendre soin. 2) Etre juste. Un exercice parfois difficile, puisque justice ne rime pas forcément avec égalité. « Partage-t-on la tarte en parts égales ? Ou bien en fonction des besoins de chacun ? C’est une vrai question qui nécessite de négocier ». 3) Prendre soin des gens. Se poser toujours la question : si je me préoccupe de moi, fais-je du mal aux autres ? Ce que Karl résume avec logique. « On peut faire du bio mais si on chasse des gens de leurs terres, ce n’est ni bon pour la planète, ni éthique ». Et de nous montrer leurs fraisiers, dont ils vendront les fruits aux restos de Totnes dans quelques semaines.
Le projet Landmatters est né en 2003, avec l’achat du terrain de 17 hectares par un groupe de vingt personnes constitué en coopérative. La structure juridique est telle que si les gens ne s’entendent pas et revendent le terrain, l’argent ira à une association de permaculture anglaise, précise Karl. En onze ans, le groupe s’est un peu modifié. Mais le projet de permaculture est resté. Les enfants ? Quelques-uns vont à l’école, d’autres étudient à la maison avec leurs parents. Nous croisons une jeune fille à longue crinière blonde et sourire éclatant : la fille aînée de Karl. « Elle veut partir à l’université l’an prochain, et ensuite elle décidera si elle veut revenir à Landmatters ou non », nous confie Karl.
Sachant que communauté en permaculture ne rime pas avec tournage de pouces. Karl Surridge, qui a cinq enfants et demeure à Landmatters depuis quatre ans, exerce une fois par semaine en tant qu’ostéopathe dans un cabinet. Il a donc gardé une activité professionnelle à temps partiel pour boucler ses fins de mois, comme la plupart des habitants, note-t-il. Le reste de la semaine ? On cultive des légumes, on entretient le lieu et on accueille les curieux comme nous. Pour Karl, ce dernier point est important. «Nous ne nous voyons pas seulement comme des producteurs, mais aussi comme des passeurs. Nous voulons communiquer sur nos façons de faire. Votre visite participe donc totalement au projet». En quittant Landmatters, ses maisons de hobbits et son poney mouillé, nous n’avons qu’une envie : faire passer à notre tour le message, pour que la terre compte de nouveau.
Voir le site web de Landmatters pour en savoir plus sur ce qu’ils font et proposent aux visiteurs.
La permaculture au jardin, de Carine Mayo, éditions Terre Vivante: un chouette bouquin pour commencer la permaculture dans son jardin.
Le manuel de transition, de Rob Hopkins, éditions Ecosociété: l’indispensable pour comprendre la transition et s’y engager. La permaculture en est la base.