Suite au dernier numéro de Que choisir (n°561, sept 2017), dont la couverture titrait: « le bio vaut-il vraiment le coup ? », il nous semblait nécéssaire d’apporter des élèments. Dans leur dossier sur la consommation bio, il est dit que « l’intérêt du bio n’est pas flagrant » et manquerait de preuves scientifiques. Dans son numéro sur les clés de l’alimention santé, le journal l’Ecologiste apporte de nombreux éléments qui démontrent le rapport entre consommer bio et être en bonne santé.
Au sommaire de ce dossier spécial du n°48, decembre 2016-février 2017, l’Ecologiste s’interroge sur :
– Qu’est-ce que l’alimentation préventive ? par Anthony Fardet, chargé de recherches en alimentation préventive et holistique à l’INRA de Clermont-Ferrand.
– Comment nourrir notre microbiote ? Par Justin et Ercia Sonnenburg, chercheurs à l’université de Stanford.
– Quels sont les aliments anti-cancer ? Par Thierry Jacaud , rédacteur en chef de l’Ecologiste.
– La viande, la santé et le climat. Par Marco Springmann, chercheur à l’université d’Oxford.
– Qu’est-ce qu’un bon pain ? Par Chirstian Rémésy, Nutritionniste et ancien directeur de recherche à l’INRA.
Retrouvez l’intégralité de ce dossier en vous rendant sur le site de l’Ecologiste.
Nous vous proposons ici en exclusivité un article extrait de ce dossier spécial : Le bio est-il meilleur pour la santé ? par Lord Peter Melchett.
Lord Peter Melchett est depuis 2002 directeur des politiques de l’ONG Soil association, la principale association de promotion de l’agriculture biologique au Royaume-Uni, fondée en 1946. Il est également président de l’association Prisoners Abroad, une association qui soutient les Britanniques emprisonnés à l’étranger.
Faut-il avoir une alimentation biologique pour être en meilleure santé ? Peter Melchett dresse l’état des lieux des recherches sur la question, qui ont beaucoup progressé ces derniers mois.
La critique la plus répandue contre l’alimentation biologique est qu’elle coûte plus chère que l’alimentation conventionnelle. Avec comme sous-entendu : cela ne vaut pas la peine de payer plus cher pour la même valeur nutritionnelle.
Après des polémiques longues et amères, les preuves surabondent aujourd’hui montrant qu’il y a plus de vie sauvage dans les fermes bio, des conditions d’élevage plus décentes, pas de pesticides, moins d’émissions de gaz à effet de serre, plus d’emplois, moins de pollution – tout cela est désormais généralement admis.
Mais tous ces bienfaits reconnus ne suffiraient à motiver qu’une poignée de citoyens engagés, d’après les opposants, parce qu’ils ne profitent pas directement de façon individuelle aux consommateurs. Voilà l’état des lieux du débat. Si l’on parvenait à démontrer que les consommateurs bio jouissent d’une nourriture plus nutritionnelle, de meilleure qualité, ce serait un coup sérieux porté à l’agroalimentaire conventionnelle.
Dans les années 2000, une série d’études comparant fruits, légumes et lait en bio et en conventionnel ont été publiés. Toutes montraient les bienfaits nutritifs de la bio. (1) En réaction, la Food Standards Agency (FSA) britannique a commandé une relecture de ces études, malgré le fait que la Soil Association lui ait demandé de patienter jusqu’à la publication d’autres études dans les deux ou trois années à venir. L’étude de la FSA (2) concluait en 2010 à l’absence de différences significatives entre le bio et le conventionnel. Ce que la FSA a omis de dire est que le rapport détaillé de leur recherche établissait en réalité de nombreuses tendances montrant les bienfaits nutritionnels de la bio par rapport au non bio. Toujours est-il que le travail de la FSA a contribué à plomber durablement les ventes de la bio en Angleterre, comme c’était probablement son intention.
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Deux nouvelles études clés
Mais aujourd’hui, six années plus tard, grâce au travail de Carlo Leifert et de son équipe de l’Université de Newcastle avec de nombreux co-auteurs dans le monde, la recherche a progressé, portant sur davantage d’études et a permis de mettre les choses au clair.
Dans la suite de leurs travaux comparant le bio et le conventionnel (3), ces chercheurs ont mené deux nouvelles études (4) (5) pour déterminer s’il existe des différences nutritionnelles claires entre les produits laitiers et la viande, en élevage biologique et en élevage conventionnel. Ces études sont les plus complètes menées à ce jour sur le lait et la viande, elles font une synthèse de 200 recherches publiées dans des revues scientifiques.
L’article portant sur les produits laitiers a examiné 170 études, contre 12 pour l’étude menée par la FSA, et celle portant sur la viande 67 contre 11 pour la FSA. Les chercheurs ont trouvé que la viande et le lait bio contenaient environ 50% d’acides omégas 3 en plus et une concentration légèrement inférieure en acides gras saturés.
Le lait bio contient 40% en plus d’acide linoléique conjugué (une famille d’acide linoléique), aux bienfaits sanitaires reconnus comme la réduction du risque cardiovasculaires, la prévention de certains cancers et de l’obésité. Le lait bio et les produits laitiers contiennent des concentrations en fer, vitamine E et caroténoïdes un peu plus élevées que le lait conventionnel.
Les chercheurs ont ainsi apporté de l’eau au moulin du corpus croissant d’études scientifiques montrant que tout le travail des agriculteurs bio mis dans le soin apporté aux animaux se retrouve dans la qualité des aliments produits.
Ce n’est pas la première étude montrant que la façon dont la nourriture est produite conduit à des différences en matière de composition nutritionnelle. En 2014, une étude de Carlo Leifert et son équipe, dont Philippe Nicot, chercheur à l’unité de pathologie végétale INRA d’Avignon, (6) a montré que les fruits et légumes bio contiennent plus d’antioxydants et moins de métaux lourds, de pesticides, de nitrates responsables d’une augmentation de l’incidence de certains cancers.
Cette analyse montrait que le choix d’une alimentation bio peut conduire à un apport accru d’antioxydants nutritionnellement bénéfiques, sans prise de calories supplémentaires, tout comme une absorption bien moindre de cadmium et de pesticides.
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L’agriculture bio
Ce qui ne fait que confirmer ce que le consommateur régulier de nourriture bio a toujours pensé : le produit final est le résultat de ce qu’on y a mis.
Les vaches et les moutons élevés en bio mangent de l’herbe et du trèfle, les normes en bio sont exigeantes, avec au moins 60% du régime alimentaire constitué de fourrage (pâturage, foin ou ensilage), dont le trèfle, alternative bio clef aux fertilisants à base d’azote. Les paysans bio cultivent différents mélanges de trèfles rouge et blanc et d’autres légumineuses dans leurs champs pour nourrir leur bétail et fixer l’azote dans le sol.
Les trèfles ou les pois, les haricots ou la luzerne (alfafa) fixent l’azote de l’air naturellement dans le sol. Etant donné que la bio implique des intrants azotés sous forme d’engrais bien inférieurs, en utilisant l’azote relâché lentement par les racines de la plante, elle est moins polluante que l’agriculture conventionnelle.
La recherche montre que le régime combiné trèfle/herbe utilisé en bio joue un rôle important dans l’explication des différences nutritionnelles entre le lait et la viande bio. Ce qui laissait un dernier argument pour le lobby anti-bio selon lequel la différence nutritionnelle dépendrait du fait de nourrir les animaux avec de l’herbe et non selon les normes biologiques. Cet argument ignore la différence de qualité déjà établie entre les céréales, fruits et légumes bio et non bio, et oublie trois faits vitaux.
D’abord les normes en agriculture biologique exigent un régime élevé en herbe, en trèfle et des longues périodes de pâturage extensifs. Les animaux élevés en bio le sont en plein air le plus possible. Pour le conventionnel, l’élevage extensif est optionnel, alors que pour la bio, ces mesures sont obligatoires et font l’objet de contrôles fréquents et indépendants.
Deuxièmement, les agriculteurs en bio élèvent du bétail qui a une croissance moins rapide et un rendement inférieur, mieux adapté à des systèmes utilisant peu d’intrants. Les recherches précitées suggèrent que tout comme un régime alimentaire chez les bovins élevé en trèfle et en herbe, les systèmes à faible rendement et des races traditionnelles jouent un rôle dans la composition nutritionnelle de la viande. Des études antérieures (7) avaient indiqué que des systèmes plus intensifs, avec une traite très fréquente et mécanique, ont un impact négatif sur la qualité du lait.
Troisièmement, la seule façon que le consommateur puisse être assuré de manger de la nourriture bio nourri au fourrage est le label « Agriculture biologique ». Les normes biologiques sont définies par la loi, appliquées presque partout dans le monde et validées par des organismes d’inspection et de certification indépendants.
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Les effets sur la santé humaine
Si donc d’après ces dernières études les chercheurs savent que des différences nutritionnelles sont avérées, reste à savoir si le régime alimentaire en bio a un impact sur la santé humaine. Il faut reconnaître que les études scientifiques sur la question n’abondent pas pour l’heure.
Les études pour identifier de tels effets ne sont pas faciles à mener, mais il existe à ce jour des preuves modestes sur l’effet sur la santé humaine et animale. Trois cohortes d’études comparatives ont été publiées.
Elles ont trouvé que la consommation régulière de légumes et de produits laitiers bio était associée à des impacts positifs, dont 58% de réduction de risque de malformations génitales (7) chez les garçons et une réduction de 21% de pré-éclampsie durant la grossesse. (8) Une étude antérieure aux Pays-Bas (9) a montré que le fait d’opter pour du lait bio réduisait le risque d’eczéma chez les enfants de moins de deux ans de 36%.
Ainsi, même si le coût de l’alimentation biologique est un peu supérieur, n’oublions pas que non seulement elle est bénéfique pour l’environnement, la vie sauvage et les animaux de la ferme, mais elle fournit également des nutriments essentiels à celui qui les consomme.
Notes
(1) Une douzaine d’études sont citées dans Dangour, A. D., et al. (2010), “Nutrition-related health effects of organic foods: a systematic review”. Am J Clinical Nutrition 92, 203-210. Article accessible en ligne : http://ajcn.nutrition.org/content/92/1/203.full.pdf+html
(2) Idem.
(3) Carlo Leifert et al., “Higher antioxidant and lower cadmium concentrations and lower incidence of pesticide residues in organically grown crops: a systematic literature review and meta-analyses” British Journal of Nutrition, Volume 112, n° 5, septembre 2015, pp. 794-811.
(4) Pour le lait : Carlo Leifert et al., “Higher PUFA and n-3 PUFA, conjugated linoleic acid, α-tocopherol and iron, but lower iodine and selenium concentrations in organic milk: a systematic literature review and meta- and redundancy analyses” British Journal of Nutrition, Volume 115, n°6, mars 2016, pp. 1043-1060.
(5) Pour la viande : Carlo Leifert et al., “Composition differences between organic and conventional meat: a systematic literature review and meta-analysis”, British Journal of Nutrition, Volume 115, n°6, mars 2016, pp. 994-1011.
(6) Carlo Leifert et al “Higher antioxidant and lower cadmium concentrations and lower incidence of pesticide residues in organically grown crops: a systematic literature review and meta-analyses”, British Journal of Nutrition, Volume 112, n°5, septembre 2014, pp. 794-811.
(7) Sokratis Stergiadis et al. “Effect of Feeding Intensity and Milking System on Nutritionally Relevant Milk Components in Dairy Farming Systems in the North East of England” J. Agric. Food Chem., 2012, 60 (29), pp 7270-7281.
(8) Anne Lise Brantsæter et al., “Organic Food Consumption during Pregnancy and Hypospadias and Cryptorchidism at Birth: The Norwegian Mother and Child Cohort Study.” Environmental Health Perspectives, mars 2016, Vol. 124, n°3.
(9) Idem.
(10) Kummeling I et al., “Consumption of organic foods and risk of atopic disease during the first 2 years of life in the Netherlands”, Br J Nutr., 2008 Mar;99(3):598-605.