Le phénomène de la disparition des abeilles est plurifactoriel : les lignes à très hautes tensions, les lignes électromagnétiques et même les antennes des téléphones portables sont susceptibles de nuire à la santé des abeilles. Cependant, il est clair que les pratiques apicoles productivistes ne sont pas anodines à l’affaiblissement des abeilles et à leur capacité de résistance aux agressions extérieures.
Après avoir rencontré un grand nombre d’acteurs différents dans le domaine de l’apiculture, il semble que deux mondes se font face : celui de l’apiculture conventionnelle et celui de l’apiculture écologique. Afin de comprendre le problème, étudions les principales différences que l’on peut souligner entre ces deux types d’apicultures.
Les différences sont dues principalement au type de ruche utilisée, facteur qui influe directement sur la race d’abeille élevée ainsi que sur les méthodes d’interventions de l’apiculteurdans la ruche (fréquence d’ouverture de la ruche, utilisation de produits…).
Tout d’abord, quel est le mode de vie naturel de l’abeille domestique ? Idéalement logées dans un tronc d’arbre, les abeilles construisent les rayons en partant du haut de la cavité et pour ensuite construire vers le bas. Une fois en bas, quand la saison n’est plus favorable, elles s’arrêtent, se rassemblent en une même grappe puis remontent dans la cavité en formant un périmètre afin de protéger la réserve de miel pour l’hiver. Il n’est pas évident pour l’homme de récolter du miel dans une ruche de cette configuration.
De plus, il est souvent très compliqué pour une nouvelle colonie de trouver un tronc creux, ce qui l’amènera à s’agripper à une branche d’arbre et à mourir dès les premières averses. L’homme a donc mis au point plusieurstypes de ruches différentes qui influeront directement sur la santé des abeilles, la quantité et la qualité du miel.
BILAN SUR L’APICULTURE CONVENTIONNELLE
La ruche la plus utilisée par les apiculteurs en France est la ruche Dadant. Cette ruche n’est pas adaptée au fonctionnement naturel de l’abeille, dans un premier temps à cause du mode de production (les hausses s’ajoutent en haut, obligeant l’abeille à construire de bas en haut) ; et dans un second temps, à cause de sa très mauvaise ventilation due à l’absence de circulation d’air. De plus, cette régulation entre température ethumidité de la ruche est régulièrement perturbée lorsque l’apiculteur intervient dans la ruche, tous les 8 ou 15 jours. L’abeille doit donc – après chaque intervention de l’apiculteur – recommencer un travail de remise en état de la ruche ainsi que la reconstruction d’une enveloppe de propolis protectrice, ce qui engendre une grande perte d’énergie à l’essaim.
Cette ruche est basée sur l’utilisation de cadres composés pour chacun d’unefeuille de cire gaufrée Dadant qui servira de fondation à la construction des rayons. Les abeillesn’utilisent pasentièrement leur propre cire et ne peuvent donc pas construire les couvains à leur propre dimension. En effet, la taille des alvéoles pré-moulées en cire gaufrée est supérieure à la taille naturelle des alvéoles qui auraient été construites naturellement par les abeilles. L’objectif de cette pratique ? Les alvéoles contiendront ainsi plus de miel. La contrepartie ? Le varroa(1) se répandra beaucoup plus facilement dans la ruche, car ce parasite s’installe de préférence dans les alvéoles de grande taille (des larves mâles en l’occurrence). De plus, ces feuilles de cires sont inévitablement polluées par des micro-organismes et par des pesticides.
L’entrée de la ruche est très large afin que les abeilles butineuses puissent entrer et sortir de la ruche très rapidement. Cependant, cette large entrée favorisera l’entrée de parasites ou de prédateurs(1), tels la teigne, le varroa ainsi que le frelon asiatique, ce qui entraine le traitement des abeilles par l’apiculteur.
La plupart du temps, une trop grande quantité des provisions accumulées par la ruche pour la période hivernale est prélevée par l’apiculteur (le miel, le pollen via des pièges à pollen, la gelée royale ainsi que la propolis). Souvent, il ne reste rien à l’abeille à la fin de la saison. C’est pourquoi ces apiculteurs devront généralement ajouter du sucre afin de substituer le manque de réserve de miel dédié à la ruche. L’abeille devra donc transformer ce sucre en miel, ce qui lui demandera beaucoup plus d’efforts pour un produit de moindre qualité.
L’abeille de l’apiculture conventionnelle : la Buckfast©, une abeille hybride qui menace l’abeille noire européenne
L’abeille noire (apis mellifera) est une abeille européenne ancestrale qui a de nombreuses qualités : adaptation aux climats locaux, bonne résistance aux maladies, frugalité et capacité à réguler sa population. Ces abeilles sont les seules qui ont survécu à deux glaciations, il y a 200 000 et 10 000 ans, elles seraient ainsi capables de s’accommoder au changement climatique en cours.
Pourtant, la ruche Dadant est dédiée à une race particulière d’abeille : la Buckfast. Cette abeille brevetée hybrideextrêmement productiveest une des abeilles les plus massivement importées en France depuis les années 1990. Une colonie de Buckfast©est capable de produire jusqu’à 40 kg de miel en une saison.Cependant, cette productivité sera réelle seulement la première année. Les abeilles vont finir par s’épuiser, ce qui obligera les apiculteurs à acheter de nouvelles reines. Problématique ici semblable à celle des OGM en agriculture : La Buckfast est issue d’un croisement génétique précis, qui rend la reproduction impossible par les apiculteurs. En effet, si l’hybridation est répétée suite à un accouplement de la reine Buckfast par des males voisins (issus de Buckfast ou non), les nouvelles abeilles seront beaucoup plus fragiles (combinaisons de gènes disharmonieuses suite à ce phénomène d’hybridations répétées). L’abeille sera donc vite fragilisée et amenée à essaimer(2), c’est pourquoi l’apiculteur provoquera un essaimage artificiel, qui consiste à insérer une nouvelle reine dans la colonie afin de maintenir une bonne production. La nouvelle reine Buckfast ne fut pas élevée par cette même colonie, mais dans des couvents artificiels : une pratique contre-nature.
Le cas de la transhumance. Cette pratique consiste au déplacement des ruches à différent endroits (de nuit afin que toute la colonie soit rentrée dans la ruche) en fonction des floraisons. Cette pratique très ancienne date de l’Antiquité. Cependant, certains grands producteurs de miel en apiculture conventionnelle déplacent jusqu’à cent ruches en même temps, à travers différentes régions en les disposant sur un grand camion. Dans ces conditions, la transhumance peut poser problème : les abeilles de producteurs locaux peuvent entrer en concurrence avec ces abeilles « de passage ». Des grandes quantités de ruches soudainement installées peuvent aussi influer sur les ressources que possèdent les abeilles sauvages, ainsi que sur le respect des races d’abeilles domestiques locales (due à des hybridations fragiles entre abeilles locales et abeille Buckfast).
Lors de la récolte du miel, la pratique conventionnelle consiste à turbiner l’ensemble miel/cire, afin de séparer le miel de la cire. Cela altère la qualité du miel, de par ses éléments nutritifs et sa qualité gustative. L’apiculture écologique consiste à utiliser un maturateur (ou une grosse bassine) : le miel coulera naturellement au fond et la cire nagera en surface. Seul bémol anti-productiviste de cette pratique : ce processus est plus long.
L’apiculture Dadant oblige l’apiculteur à une véritable logique d’achat : achat des feuilles Dadant, achat de produits chimiques pour traiter les abeilles qui sont mal nourries et mal logées, donc plus sensibles aux maladies, achat de reines… Les colonies vont être très rapidement épuisées, avec des reines qui survivent une à deux années avant d’être « remplacées ». À titre comparatif, l’abeille noire – abeille ancestrale d’Europe – peut vivre jusqu’à 5 ans, c’est cette abeille qui est utilisée majoritairement dans l’apiculture dite écologique.
L’uniformisation des ruches, la sélection des abeilles sans prise en compte de la capacité d’adaptation des races locales ainsi que le recourt aux produits chimiques entrainent la chute de la capacité de résistance des abeilles. Parallèlement, certaines souches de Varroa deviennent résistantes à certains traitements prophylactiques sensés prévenir contre ce parasite.
L’APICULTURE ECOLOGIQUE : LE RESPECT ET LA PROTECTION DES ABEILLES AU DETRIMENT D’UNE PRODUCTION LEGEREMENT INFERIEURE
Cette apiculture est basée sur différentes techniques de ruches.
Les plus écologiques sont les ruches traditionnelles (ruches « tronc » et ruches « panier ») qui se rapprochent le plus de la ruche naturelle. Cette ruche, correspondant aux besoins naturels de l’abeille, est plus compliquée à construire, c’est pourquoi elle est encore très peu utilisée. Cependant elle est idéale pour favoriser l’essaimage(2), permettant à l’apiculteur de développer son nombre de ruches.
La plus réputée dans ce domaine est la ruche Warré. Cette ruche, aux dimensions précises, définies grâce aux expérimentations de l’abbé Warré au début du XXème siècle, respecte le mode de production naturel de l’abeille : les hausses s’ajoutent par le bas et/ou par le haut, ce qui permet de s’adapter à la production de la colonie. L’apiculteur récupère ensuite une hausse supérieure à la fin de la saison, pour en ajouter une nouvelle en dessous après l’hiver. Cette ruche est optimisée afin de réduire au maximum les interventions humaines, grâce à une surface arrière vitrée permettant d’observer l’intérieur de la ruche sans l’ouvrir.
Au premier plan : ruche TBK ou Kenyane
Au fond à gauche : ruche warré
Au fond à droite : ruche panier (dit ruche de biodiversité)
Basé sur ce modèle carré de la ruche Warré, la ruche écologique bénéficie d’un point d’amélioration : l’étage de ventilation montée sur une moustiquaire directement modelable par les abeilles elles mêmes. Ce système permet le passage d’un flux d’air qui traverse la ruche afin que les abeilles puissent régulerelles-mêmes la température et l’humidité de la ruche.
Il est inutile de préciser qu’une ruche écologique ne se place en aucun cas à proximité d’un champ de culture intensive. L’emplacement des ruches est le point principal du cahier des charges du label AB.
Un essaim de 15 jours dans une ruche de biodiversité
Ruche dans laquelle aucune récolte n’est faite, ce qui permet de faire plusieurs essaims dans l’année pour peupler d’autres ruches
QU’EN EST-T-IL DE LA BIO DANS LE DOMAINE DE L’APICULTURE ?
Deux labels présents en France pour la commercialisation et la production du miel, un cahier des charges très différent
Le label AB exige que « dans un rayon de 3 km autour de son emplacement (NDLR : de la ruche), les sources de nectar et de pollen soient constituées essentiellement de cultures produites selon le mode de production biologique et/ou d’une flore spontanée ». Or il est très rare de trouver en France cette configuration, c’est pourquoi l’essentiel de la production de miel biologique provient de fleurs sauvages.
Le nourrissement des abeilles est autorisé en apiculture bio. Cependant, le cahier des charges limite l’apport de 7 kg de miel extérieur à la ruche pour l’hivernage des abeilles (à condition que ce soit du miel biologique répondant à des garanties sanitaires précises).Éventuellement, du sucre provenant de végétaux cultivés selon le mode de production biologique. Le traitement des ruches doit se faire uniquement par des produits biologiques, il est interdit pour un apiculteur bio d’utiliser des produits chimiques de synthèse.
Le cahier des charges Bio dans le domaine de l’apiculture se limite donc à la nourriture des abeilles et aux spécificités de traitement, il ne remet pas en question les méthodes d’élevage et autorise l’abeille hybride Buckfast.
Le cahier des charges Nature & Progrès garantit quant à lui une meilleure protection des abeilles, voici quelques points d’amélioration :
« Dans le contexte actuel – importation massive de reines étrangères, disparition du réservoir d’abeilles « sauvages », métissage généralisé – l’abeille noire d’Europe de l’Ouest (et ses différents écotypes) tend selon les régions à disparaître. Cependant, si on arrête l’introduction d’abeilles étrangères, la sélection naturelle permet à l’abeille locale de reprendre sa place. » N&P interdit ici l’introduction habituelle (et la distribution) de reines et plus globalement de génétique issue de lignées évolutives différentes de l’abeille locale. La transhumance transrégionale est interdite, favorisant ainsi un développement de l’abeille adaptée à son milieu. L’achat de cire est fortement réglementé, considérant que « la bâtisse de cire fait partie intégrante de la colonie. »
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Dan Failler est apiculteur formateur gérant de l’association
Les butineurs du Val-de-Bièvre. Il débuta l’apiculture avec des ruches Dadant classiques, tel qu’on lui a appris lors de ses formations. Après plusieurs années d’expérience et la disparition de toutes ses abeilles Buckfast, il futamené à acquérir plusieurs colonies d’abeilles locales dans des ruches Warré, il dresse un simple bilan : « La ruche Warré ? Je la vois comme une belle étable tapissée de belle paille avec des brebis en bonne santé. La ruche Dadant, c’est une étable beaucoup moins belle, remplie de saletés… »
Dan Failler remarque une grande différence entre le miel provenant de ses récoltes en conventionnel et de ses récoltes écologiques, cependant, il n’exclut pas la dimension psychologique lors de ses dégustations : « il est beaucoup plus facile de savourer pleinement un miel produit par des abeilles en bonne santé et qui ne sont pas surexploitées ».
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Nous consommons en France près de 40000 tonnes de miel par an, alors que nous en produisons environs 16 000. Or, une grande partie des miels produits dans le monde sont frauduleux, avec notamment des ajouts de sucres.
Les points cruciaux à vérifier lors de l’achat d’un pot de miel :
– « Origine UE-Non UE » (qui provient majoritairement de Chine, mélanges de différents miels…)
– monofloral (souvent issu de la transhumance)
– chauffé (une mention obligatoire)
– turbiné
Privilégiez le miel
– toutes fleurs
– produit sans nourrissement
Un miel en provenance de l’UE, et non UE…
Une grande partie de ces informations ne sont pas visibles sur le pot de miel, c’est pourquoi le meilleur choix consiste à acheter du miel mentionné Nature & Progrès, le label AB ayant encore des progrès à faire dans le domaine de l’apiculture. Voici une liste des apiculteurs produisant du miel sous la mention Nature & Progrès : apiculteurs.info
Pour plus d’information, nous vous invitons à lire
ce papier, ecrit par l’association Pollinis.
Pourquoi éviter la gelée royale ? Ce produit qui représente de légers bénéfices pour l’homme, est indispensable pour l’abeille. La production de gelée royale se fait au détriment des abeilles ; on stimule une situation de stress entrainant l’élevage de reines par les nourricières, pour ensuite récupérer la gelée royale avant l’éclosion du couvent, entrainant la mort de la larve.
Vous avez un peu de temps et une envie de vous y mettre ? Il existe plusieurs formations dans toute la France. L’apiculture urbaine se développe énormément, et bonne nouvelle, elle est naturellement bio (depuis la loi biodiversité interdisant les pesticides en milieu urbain). Nous vous conseillons d’éviter les commerçants de ruches Dadant et les éleveurs de reines Buckfast pour se tourner vers les apiculteurs locaux afin de se procurer un premier essaim.
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(1)L’essaimage :
L’essaimage est une manière non-sexuée pour les colonies d’abeilles de se reproduire, afin de pérenniser l’espèce.Au bout de quelques années, l’abeille n’aura plus assez de réserve de spermatozoïdes, elle mettra donc au monde une plus grosse quantité d’abeilles mâles (résultat de la non fécondation de l’œuf). La ruche est en danger : il est grand temps de pérenniser l’espèce. Les nourricières vont alors former trois cellules royales dans lesquels elles vont pouvoir élever trois nouvelles reines qui devront s’affronter à leur naissance afin que la plus résistante prenne le relais. L’ancienne reine, quant à elle, quitte la ruche accompagnée d’un grand nombre de bâtisseuses, afin de former un nouvel essaim. La ruche peut aussi être amenée à essaimer si les abeilles ne disposent pas d’assez de place (manque de rayon) ou si les conditions de récolte de nectar par les butineuses sont trop mauvaises.
(2)Les prédateurs et les parasites principaux qui touchent les ruches :
La teigne : ce papillon entre dans la ruche afin de pondre ses larves qui se nourriront de miel. Dans le cas d’une colonie en bonne santé et d’une ruche avec une petite entrée, il se fera tuer par les abeilles avant de rentrer.
Le frelon asiatique attaque directement la ruche en pénétrant à l’intérieur, il se nourrit directement des abeilles et du miel. Généralement, de même que pour la teigne et dans le cas d’une ruche écologique et en bonne santé, le frelon sera soit tué par les abeilles, ou ressortira directement de la ruche.
Le varroa, l’ennemi numéro 1 des apiculteurs et des ruches : ce parasite va pénétrer dans la ruche afin de l’affaiblir. Les larves de varroa vont s’incruster dans les alvéoles de larves mâles (car elles sont plus grandes). Dans le cas où le parasite touche une ruche écologique, le traitement des abeilles se fera hors de la ruche grâce à des produits naturels, pour ensuite installer la colonie dans une nouvelle ruche. Dans le cas de l’agriculture conventionnelle, on traite l’ensemble de la ruche (le miel, la cire…).
Il est toujours bon de préciser que – comme pour tous les êtres vivants – plus les abeilles sont fatiguées, plus la ruche sera susceptible d’attirer des parasites.
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Quelques liens intéressants pour approfondir le sujet :
Un grand merci aux apiculteurs qui nous ont apporté leurs connaissances pour la rédaction de cet article : Sebastien Rossano, Dan Failler, Jonathan Boussoir et Pierre Martin.
Crédits photos : Les abeilles de Fanny, Myrabella, Jonathan Boussoir
Dorian FLIPO, le 9 février 2017