Jacques Caplat: « L’agriculture biologique est la plus performante pour nourrir le monde »

Jacques Caplat est agronome et fils de paysan. Après avoir exercé comme conseiller agricole (en conventionnel puis en bio) et participé à des projets en pays tropicaux, il a été animateur à la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique où il a négocié des politiques nationales et européennes. Il a notamment participé à la création du Réseau Semences Paysannes, et il est administrateur de l’association Agir Pour l’Environnement. Il est l’auteur de « L’agriculture biologique pour nourrir l’humanité » (Actes Sud, 2012). Il est intervenu dans « Expresssions d’intérêt collectif – réussir la transition », ouvrage de Bio Consom’acteurs édité en 2013, dont voici un extrait.

L’impasse agricole actuelle est basée sur un terrible malentendu. La plupart des agriculteurs et des citoyens croient que seule l’intensification chimique serait capable d’optimiser les rendements agricoles, et que la voie de « l’agriculture conventionnelle » ou de la « révolution verte » serait une fatalité. Or, il n’en est rien !
L’agriculture conventionnelle actuelle s’appuie sur un raisonnement positiviste et réductionniste (aujourd’hui totalement dépassé), à savoir la sélection de variétés à haut-rendement selon une démarche extrêmement sommaire. Cette sélection extrait en effet totalement la plante de son contexte écosystémique et humain, pour la faire évoluer dans des conditions abstraites et en culture pure. Les variétés obtenues, certes performantes dans ces conditions irréalistes, ne peuvent être transposées « au champ » qu’à la condition d’être cultivées en monoculture clonale (au moyen de machines qui remplacent les hommes et poussent à l’agrandissement des parcelles et des fermes) et d’être semées dans des sols totalement « normés » par des engrais chimiques. Les plantes se retrouvent obligatoirement en déséquilibre avec l’écosystème, donc fragiles : il faut alors les protéger au moyen de pesticides. En particulier, en réduisant au chômage et à la misère les petits paysans et les salariés agricoles, l’agriculture conventionnelle est la première cause de la faim dans le monde !
Cet enchaînement est un choix. Comme tous les choix, il est le résultat d’un contexte historique et politique, et il doit être remis en cause lorsque les connaissances progressent. Or, les connaissances agronomiques sont sans équivoque : les cultures associées de variétés adaptées au milieu obtiennent de bien meilleurs rendements que les monocultures (et d’autant plus lorsque des arbres sont intégrés au système). Ce sont toutes les bases techniques de notre agriculture qui doivent être redéfinies.
Une agriculture moderne doit prendre en compte les relations complexes entre l’écosystème (sol, haies, vie sauvage…), l’agrosystème (animaux domestiques et plantes cultivées) et les humains (savoirs traditionnels et scientifiques, besoins, rapport au monde, force de travail…). C’est précisément ce qui fonde l’agriculture biologique, telle que l’a définie E. Pfeiffer dans son ouvrage fondateur de 1937, « Fécondité de la Terre ». Parfois appelée « agroécologie » dans les milieux tropicaux, l’agriculture biologique vise précisément à une refondation systémique de l’agronomie, basée à la fois sur des techniques de pointe (compost, lutte biologique, cultures associées, matériel nouveau) et sur les savoirs traditionnels.
En matière de rendements, un fait doit s’imposer : l’association de plusieurs cultures dans une même parcelle permet toujours des rendements supérieurs à des monocultures. C’est éclatant dans les agricultures tropicales (cf. études de l’Université d’Essex ou du PNUE), mais cela est également vrai en milieu tempéré européen, pourtant le plus favorable à l’agriculture chimique. En effet, un hectare de monoculture clonale, tel un blé conventionnel, obtient des rendements plus faibles qu’un hectare de cultures associées, tel du maraîchage diversifié biologique (7 à 8 tonnes pour le blé, contre 15 à 20 tonnes de matières sèches en maraîchage bio). Présenter le blé conventionnel comme une agriculture « performante » est une imposture. Certes, la chimie permet d’en améliorer les rendements… mais la monoculture est au départ le moins bon choix agronomique ! À quoi bon améliorer un système médiocre, en outre en polluant, quand nous avons la possibilité d’élaborer des systèmes plus efficaces et plus écologiques ?
L’agriculture de demain sera basée sur des systèmes de cultures associées (mélanges céréales-légumineuses, prairies complexes avec des haies, agroforesterie, polycultures-élevage…), sur des variétés adaptées aux milieux, sur la protection des sols (retournement minimum), sur la prise en compte de l’écosystème dans la protection des cultures et sur la valorisation de la main-d’oeuvre et des savoirs paysans. Or, plus les cultures associées sont complexes, plus elles doivent bannir le recours à la chimie : elles n’ont plus besoin d’engrais, et les pesticides déstabilisent leur équilibre et réduisent leurs rendements à long terme ! Les études à grande échelle (Rodale Institute aux États-Unis, FiBL en Suisse, Université d’Essex en Grande-Bretagne, DARCOF au Danemark) ont prouvé que ces techniques, qui fondent l’agriculture biologique, permettraient de bien mieux nourrir l’humanité que le recours à la chimie.
Bien sûr, la mise en place de ces techniques est plus simple dans les pays tropicaux que dans nos agricultures européennes hyper-industrialisées, où l’évolution des exploitations sera plus longue. Mais la transition est possible, et il est urgent de l’engager au plus vite.

Pourquoi je soutiens Bio Consom’acteurs:
Le combat de Bio Consom’acteurs est particulièrement crucial actuellement, car l’agriculture biologique doit devenir un sujet de conversation et d’action pour tous les citoyens, et plus seulement pour les agriculteurs. L’édition de livrets gratuits chaque année contribue grandement à l’information des consommateurs qui veulent devenir consom’acteurs c’est-à-dire éco-responsables de leurs choix alimentaires et domestiques quotidiens. Pour avoir accompagné de nombreux paysans dans leur transition de l’agriculture conventionnelle vers l’agriculture biologique, j’ai pu constater à quel point il est important que l’ensemble de la société soutienne ce mode de production, et pas seulement par sa consommation. Les paysans doivent se sentir soutenus, et doivent prendre conscience qu’ils oeuvrent pour le bien commun. Le choix de l’agriculture biologique n’est pas seulement un choix agroncomique (qu’il est éminemment, bien sûr), c’est également un choix de société, une relation à un territoire, une réinvention de l’économie.

Jacques Caplat
 

Extrait de « Expressions d’intérêt collectif – Réussir la transition », édité par Bio Consom’acteurs en décembre 2013.
Les derniers livres de Jacques Caplat: « Changeons d’agriculture – Réussir la transition », Actes Sud, 2014 ; « L’agriculture biologique pour nourrir l’humanité », Actes Sud, 2012.
Le blog de Jacques Caplat: www.changeonsdagriculture.fr
 

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