Quelques mots sur vous avant de commencer cet entretien ?
Bonjour, je suis Christophe Noisette. Je fais partie des membres fondateurs de l’association Inf’OGM qui a été créée en 1999. J’ai été le premier salarié journaliste, et je suis maintenant en charge de la coordination en tant que rédacteur en chef. Nous sommes actuellement quatre journalistes à Inf’OGM.
Inf’OGM est un journal citoyen indépendant qui traite de toutes les questions liées aux organismes génétiquement modifiées (OGM). Personnellement, je suis plus particulièrement les animaux génétiquement modifiés, le forçage génétique, les questions éthiques et les dimensions sociales corrélées telles que la faim dans le monde ou la sociologie des acteurs, par exemple.
Pouvez-vous revenir sur la « raison d’être » d’Inf’OGM ?
« Inf’OGM est une association qui a pour but d’informer sur les enjeux liés aux biotechnologies. Il n’y a pas de débat citoyen sans information complète, circonstanciée, et référencée. Nous apportons des éléments structurant le débat, vérifiables, factuels, et voulons éviter l’écueil de l’opinion, pour y préférer l’information construite, journalistiquement valable.
Le journal s’attache à comprendre et à éclaircir les enjeux du secteur agro-industriel et de ses parties-prenantes au croisement de la science (biologie, agronomie, écologie), du droit, de la politique…
Nous nous intéressons de près à la question de OGM et de leurs dérivés. C’est un champ important et large allant des plantes aux animaux en passant par les humains et les micro-organismes. En témoignent les récents débats[1] à l’Assemblée Nationale sur la bioéthique[2] au sujet des embryons chimères, ou « homme-animaux ».[3]
Nous militons également pour la transformation de l’information, en incitant à démocratiser l’accès à l’information et à la rendre plus transparente.
C’est dans ce contexte que nous avons pris position sur certains sujets, après 15-20 ans d’analyse sur ces questions. En effet, nous avons identifié nombre d’éléments qui se posaient à nous et revenaient de manière récurrente.
Pour exemple, la question de la coexistence entre les filières OGM et non OGM : cette coexistence est quasiment impossible, elle est en tout cas d’une grande complexité à mettre en œuvre et le sera d’autant plus quand d’autres variétés seront autorisées commercialement. Ce n’est pas uniquement une question agronomique (dispersion des pollens par le vent ou les insectes), mais aussi une question humaine. Pour avoir des filières étanches, il faut respecter des conditions très strictes et cela représente un travail titanesque et nécessite des moyens colossaux ! Et qui doit prendre en charge ces coûts ? Ceux qui veulent se protéger de la contamination génétique, ou ceux qui en tire des avantages économiques ?
Le débat autour des OGM est un débat où certains acteurs n’hésitent pas à entretenir le flou. Le dernier exemple en date est celui de la déclaration et prise de position du Ministre de l’Agriculture, M. Julien Denormandie. Il défend que les produits obtenus par les nouvelles techniques de modification génétique (que les pro-OGM appellent nouvelles techniques de sélection – en anglais New Breeding Technics ou NBT) ne donnent pas des OGM.[4]Cette déclaration se fait en dépit des décisions de la Cour de Justice européenne en juillet 2018 et du Conseil d’État en février 2020, qui considèrent que ces « NBT » sont bel et bien des OGM. Selon nous, M. Denormandie est davantage dans un rôle de porte-voix de l’industrie que dans son rôle de ministre, censé incarner l’intérêt général.[5] »
Quelles sont les combats que vous menez aujourd’hui ?
« Le gros sujet, vous l’aurez compris, concerne les nouveaux OGM. Suite à l’adoption du moratoire sur le seul OGM transgénique autorisé à la culture dans l’UE, le fameux MON810, l’opinion public a tendance à croire qu’il n’y a plus d’OGM en France. C’est une erreur. D’une part, la France et l’UE importent massivement du soja : plus de 3 millions de tonnes en France et 26 millions en Europe en 2018 [6]. Ce soja provient en grande partie du Brésil, et sert à nourrir principalement le bétail d’élevage. La production intensive de soja pour l’export est la cause de la déforestation de la forêt amazonienne[7] et engendre de nombreux problèmes (pollution des sols avec les herbicides utilisées, conflit foncier, etc.). Et d’autre part, la France cultive du colza et du tournesol OGM, issu de la mutagenèse… Ces variétés ont été modifiées génétiquement pour tolérer un herbicide et sont vendues sous la marque Clearfield. Ces cultures sont illégales depuis l’arrêt de la CJUE et la décision du Conseil d’État que nous avons déjà évoqué.
À toutes ces questions relatives aux OGM – ‘anciens’ et ‘nouveaux’ ; ‘transgéniques’’ et ‘non-transgéniques’ – s’ajoute évidemment un manque de transparence sur les effets sanitaires qu’ils peuvent induire. C’est comme si personne ne savait ou ne voulait savoir[8]. Les études de toxicité ne sont pas concluantes sur ces questions[9]. »
Quel regard portez-vous actuellement sur l’actualité, sur les enjeux d’alimentation en général ?
« L’étiquetage est un sujet majeur. Sont étiquetés, actuellement uniquement, les OGM transgéniques. Il est difficile d’obtenir des informations sur les autres. Par exemple, nous n’avons pas d’informations sur l’huile de colza issue de mutagénèse. Cela révèle un biais énorme et pose questions. Tous les OGM ne sont pas étiquetés et l’étiquetage existant est faible. Nous sommes alors face à une absence d’information pour le consommateur. Et comme je le dis souvent, l’estomac des animaux métabolise aussi l’étiquetage. En Europe, tous les produits issus d’OGM, comme les produits laitiers, la viande, issus d’animaux nourris aux OGM ne sont pas étiquetés. Or le soja OGM est encore une fois utilisé massivement dans l’élevage français.
Quels sont les autres points chauds d’actualité que vous traitez et sur lesquels vous vous mobilisez en ce moment ?
« Nous nous intéressons au forçage génétique[10] : une nouvelle technique hégémonique, qui vise notamment l’éradication d’espèce. Le forçage génétique permet de transmettre une modification génétique à 100 % de la descendance. Il est désormais question de travailler au niveau d’une espèce. Cette technique est financée notamment par l’armée américaine, et la Fondation Bill et Melinda Gates[11]. Le premier animal ainsi modifié est un moustique, et des lâchers sont prévus pour 2024 au Burkina Faso. Ce projet est un Cheval de Troie de la technique du forçage génétique. En effet dans ce cas, le projet est à visé humanitaire. Le but est d’éradiquer une des espèces de moustiques vectrice du paludisme (Anophele gambiae). Or rien ne permet de dire que cela réussira. Les moustiques peuvent s’adapter ou une autre espèce prendra le relais… Les risques sont aussi tout à fait imprévisibles. Je parlais de Cheval de Troie car l’idée pour les partisans des modifications génétiques est plutôt d’utiliser le forçage génétique pour pallier l’échec des insecticides chimiques ou des plantes Bt. Dans ces deux cas, les insectes ont muté, et sont devenus tolérants aux toxines pulvérisées ou produites par les plantes. Le forçage génétique pourrait alors être une « solution » en éradiquant tout simplement l’espèce indésirable. Des travaux sont déjà en cours sur le moucheron asiatique, la mouche méditerranéenne des fruits, le psylle asiatique des agrumes, etc.
Également, la numérisation du vivant reste une question importante. Actuellement, les entreprises ont la capacité de séquencer des génomes, pour transformer l’ADN en base de données. Cette numérisation du vivant permet notamment une accélération du brevetage des séquences génétiques et d’échapper aux réglementations internationales sur le droit des communautés sur leurs ressources génétiques. Un pas de plus dans l’artificialisation du vivant. Il y a également d’autres enjeux et questions spécifiques associés, tels que l’agriculture de ‘précision’ ou dite ‘numérique’. Le directeur de la FAO a quand même osé affirmer que le meilleur allié du paysan, c’était son smartphone ! On est loin des savoir-faire et savoir-vivre paysan. L’agriculture d’aujourd’hui devient une agriculture hors sol, et les évolutions envisagées nous font penser qu’on n’est pas près de s’ancrer à nouveau… Et avec tout cela, la question du transhumanisme est aussi abordée à la marge.[1213] »
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Merci à Christophe Noisette pour cette interview !
Propos recueillis par Valentin Gaubert (volontaire en service civique)
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[1] https://www.infogm.org/6916-loi-bioethique-ouvre-voie-aux-embryons-ogm
[2] https://www.infogm.org/6975-humain-ogm-trois-comites-ethiques-laissent-porte-ouverte
[3] Une ressource France Culture sur le sujet ici : https://www.franceculture.fr/sciences/embryons-mi-cochon-mi-homme-tout-comprendre-du-projet-qui-fait-peur
[4] Plus d’informations sur ce sujet dans cet article : https://www.infogm.org/7129-nouveaux-ogm-desaccords-ministeriels
[5] https://www.infogm.org/7154-petition-pour-arreter-deuxieme-vague-ogm
[6] https://www.decodagri.fr/oui-la-france-importe-du-soja-mais-la-tendance-evolue/
[7] https://all4trees.org/agir/gestes/reduire-consommation-viande/
[8] L’instrumentalisation de la science à des fins mensongères a généré une nouvelle discipline de la recherche : l’agnotologie, littéralement, science de la « production d’ignorance ». En savoir plus sur Arte.
[9] Sur ce sujet, voir le documentaire La fabrique de l’ignorance sur Arte.
[10] https://www.infogm.org/-forcage_genetique-
[11] https://www.infogm.org/6405-forcage-genetique-finance-armee-us-fondation-gates
[12]https://www.infogm.org/7149-agriculture-numerique-technologique-comme-projet-societe
[13]https://www.infogm.org/7150-vivant-numerise-technologise-ayez-confiance-ou-taisez-vous