Digitalisation : l’alimentaire entre progrès et mirage

Ces dernières années, la digitalisation s’est progressivement infiltrée dans nos assiettes. De la commande de repas via des plateformes de livraison, au click and collect des courses hebdomadaires, sans oublier les applications anti-gaspillage ou celles favorisant une alimentation durable, le numérique bouleverse nos modes de consommation, pour le meilleur ou pour le pire. Mais cette transition, portée par une promesse de facilité et de rapidité, soulève des interrogations sur ses répercussions écologiques, sociales et économiques, en particulier dans le domaine de l’alimentation biologique.

Les (vrais) avantages de la digitalisation

Il serait hypocrite de nier les bénéfices concrets que la digitalisation a pu apporter à nos habitudes alimentaires, notamment en période de confinement. Les plateformes de livraison de repas permettent à de nombreux·ses consommateur·rices d’accéder facilement à des plats préparés, incluant parfois des options bio ou issues de circuits courts.

  • Lutte contre le gaspillage

D’après un rapport de l’ADEME (Agence de la transition écologique), le gaspillage alimentaire représente en France près de 8,8 millions de tonnes par an, soit 60 kg/an par habitant·e.[1] Les déchets alimentaires surviennent à 59% au niveau de la consommation (hors domicile ou ménages). Les applications anti-gaspillage, telles que Too Good To Go ou Phenix, ont su rendre plus accessibles des produits qui auraient été jetés, participant ainsi à la lutte contre le gaspillage alimentaire.

  • Accès à l’alimentation bio

D’autres initiatives comme Bene Bono, La Fourche ou La Ruche qui dit oui proposent la livraison de produits bio, souvent en proximité avec les producteur·rices. Ces services sont attrayants pour celles et ceux qui cherchent à réduire la gestion quotidienne des courses tout en ayant accès à une alimentation plus durable.

Les services de click and collect et de livraison à domicile, proposés par certaines enseignes bio, facilitent ainsi l’accès à des produits bio et locaux pour des populations urbaines souvent pressées, tout en répondant à une demande croissante de durabilité.

Et ses (vrais) risques

Cependant, derrière l’apparente praticité de ces outils, plusieurs problématiques se dessinent. D’abord, la digitalisation tend à renforcer un modèle de consommation hyper-individualisé, centré sur l’instantanéité et l’automatisation des choix. 

Nous passons outre les géants comme Uber Eats, Deliveroo, Just Eat, Amazon, Cajoo et Gorillas, qui s’inscrivent dans un modèle encourageant la surconsommation et l’exploitation des ressources logistiques et humaines. Aux antipodes de toute justice sociale et respect de l’environnement, ces entreprises perpétuent un système où l’instantanéité et le profit priment sur les conditions de travail des livreur·euses, ainsi que sur l’impact écologique de leurs services.

>> Pour aller plus loin, vous pouvez écouter Paresse business : petits livreurs et gros profits d’Arte Radio

La digitalisation n’est pas sans conséquences sociales. Les livreur·euses, pour la plupart auto-entrepreneur·ses, se trouvent souvent dans des situations précaires, avec des revenus faibles et des conditions de travail difficiles. Ce modèle économique, bien loin des valeurs de justice sociale que prônent les défenseur·euses d’une alimentation durable et biologique, est particulièrement critiquable.

La marginalisation des acteur·rices locaux et locales et la désocialisation des consommateur·rices

La digitalisation favorise également l’isolement des consommateur·rices et marginalise les commerces de proximité. L’essor du click and collect et des services de livraison a accentué la désocialisation de l’acte d’achat alimentaire. L’acte d’achat alimentaire, autrefois marqué par la proximité, le contact humain, et le conseil personnalisé, devient une transaction impersonnelle, dématérialisée et rapide.  Cette tendance renforce un modèle de consommation qui éloigne les individu·es de leur environnement local et des interactions sociales qu’impliquent les marchés ou les magasins de proximité.

Par ailleurs, la marginalisation des acteur·rices locaux et locales, qui trop souvent ne disposent pas de moyens techniques ou logistiques pour s’adapter à cette nouvelle économie numérique, se traduit par leur écrasement par les grandes plateformes globales. Ces dernières bénéficient de ressources colossales pour optimiser leurs services, offrant des prix attractifs et une logistique efficace, jouant en défaveur des relations sociales et du tissu économique local. Cette fracture numérique crée un déséquilibre où les petits commerçants peinent à maintenir leur place dans un marché de plus en plus dominé par des géants de l’e-commerce. En conséquence, les dynamiques locales se délitent, réduisant l’accès à des produits locaux et la proximité perd de son sens, tout comme le sentiment d’appartenance à une communauté.

Une approche systémique pour réconcilier digitalisation et alimentation durable

Il devient donc urgent de repenser la place de la digitalisation dans notre rapport à la nourriture. Plutôt que de diaboliser ou de glorifier ces nouvelles pratiques, nous devons interroger leur pertinence dans un cadre global et systémique. Les outils numériques peuvent-ils vraiment être mis au service d’une alimentation durable, ou contribuent-ils à reproduire les travers d’un système alimentaire industrialisé ?

Chez Bio Consom’acteurs, nous prônons une approche systémique. La digitalisation, bien utilisée, pourrait faciliter l’accès à une alimentation biologique et locale. Cependant, cela ne doit pas se faire au détriment des circuits courts et des initiatives locales. Des plateformes alternatives existent, comme par exemple, Ici.C.Local qui permettent aux citoyen·nes de signaler les produits locaux en circuits courts et de participer activement à la gouvernance alimentaire de leur territoire. Cette approche participative est une pierre angulaire du concept de démocratie alimentaire, où les consommateur·rices deviennent des acteur·rices dans l’organisation des systèmes alimentaires, rendant ces derniers plus durables tant sur le plan social qu’environnemental.

Il est nécessaire de faire un usage critique de ces technologies et de les orienter vers un modèle plus juste. Dans cette perspective, un soutien renforcé aux plateformes locales, des réglementations favorables aux commerces de proximité, ainsi qu’une réflexion collective sur l’usage du numérique et l’accès – tant géographique qu’économique – à l’alimentation, peuvent ouvrir la voie à une consommation réellement plus juste et durable.


[1] ADEME, 15 mai 2024. « Gaspillage alimentaire : des nouvelles données pour la France ». Disponible sur : https://agriculture.gouv.fr/gaspillage-alimentaire-des-nouvelles-donnees-pour-la-france

Partager

À votre tour, contribuez à écrire notre histoire collective !

Envoyez-nous vos textes, vos articles, partagez vos points de vue sur les sujets qui vous animent !

Articles liés