Le Haut conseil des biotechnologies vient de rendre son avis sur les mesures techniques à observer pour envisager une coexistence entre OGM et non OGM. Il y admet que le seuil de 0,1% d’OGM, en-deçà duquel l’étiquetage national « sans OGM » serait autorisé, est impossible à garantir.
Les produits étiquetés «sans OGM» ne pourront pas exister en France si des organismes génétiquement modifiés y sont cultivés. C’est ce qui ressort de l’avis du conseil scientifique (CS) du Haut conseil des biotechnologies (HCB), rendu officiellement public le 17 janvier 2012. Celui-ci a examiné les conditions techniques de coexistence pour le maïs, la betterave sucrière, le soja et la pomme de terre, c’est-à-dire les quatre végétaux GM disposant d’une autorisation de culture en Union européenne. Et ce, pour les seuils de présence fortuite de 0,9% – au-dessus duquel l’étiquetage «OGM» s’impose au niveau européen – et 0,1% – en-deçà duquel l’étiquetage « sans OGM » serait autorisé au niveau national. Résultat : l’assurance d’une teneur inférieure à 0,1% d’OGM n’est possible pour aucune de ces plantes. A moins de «réviser les normes et les conditions de production de semences et plants», souligne le CS du HCB.
Traduction : la coexistence au seuil de 0,1% obligerait à créer et à appliquer de nouvelles normes techniques, «extrêmement contraignantes pour tous les opérateurs» dixit le conseil scientifique. Exemples : le respect de distances d’isolement entre champs OGM et non OGM pouvant aller jusqu’à 1 km pour la betterave. L’arrachage de toutes les repousses (dans un périmètre d’1km pour les betteraves). La séparation de tous les flux OGM des autres. Du matériel dédié aux OGM. La création de zones agricoles consacrées aux cultures d’OGM. De zones tampons. L’utilisation de variétés aux périodes de floraison décalées, pour éviter les pollinisations croisées… Des techniques qui, de toute façon, n’empêcheront pas la contamination, de l’avis du CS lui-même : «la coexistence implique per se l’idée de la présence fortuite d’OGM en fonction des conditions locales». Par ailleurs, elles ont un coût, «impossible à chiffrer précisément», précise le comité économique, éthique et social (CEES) du HCB. En particulier, la coexistence doit tenir compte du coût de la présence fortuite d’OGM chez les autres producteurs –bio ou non.
Qui payera la coexistence?
Mais attention : seules les présences fortuites supérieures à 0,9% d’OGM – et uniquement celles-ci, pourront être indemnisées par les agriculteurs OGM, selon la loi du 25 juin 2008. Quid des autres contaminations (inférieures à 0,9%), dont certains agriculteurs, bio ou non, se passeraient bien? Ladite loi ne le dit pas. En revanche, elle indique que ce seraient aux agriculteurs non OGM que reviendraient : le surcoût des matières premières (non OGM ou « sans OGM »), le coût des mesures de traçabilité, mais aussi de l’analyse et de la certification de leurs produits. Imaginons. Si un agriculteur en bio trouve 0,2% d’OGM dans son champ, s’il perd son image bio et ses contrats d’approvisionnement, qui payera ? Pour le CEES, le gouvernement doit être «plus clair sur le sujet», indique sa présidente Christine Noiville. Qui ajoute que l’allocation de ces coûts devra être négociée «au cas par cas entre usagers de la terre».Parmi ces usagers, les apiculteurs.
Apiculteurs que le comité scientifique du HCB ne prend aucunement en compte dans son avis. Il semble avoir oublié que depuis que le conseil d’Etat a annulé l’interdiction de la culture du maïs MON 810, le 29 novembre 2011, les apiculteurs sont inquiets : les maïsiculteurs peuvent semer du MON 810 en France et ne s’en priveront pas, dès la fin de l’hiver. Les abeilles pourront alors butiner le maïs OGM. Or, «le miel contenant du pollen d’OGM ne peut être commercialisé sans autorisation préalable», selon un arrêt de la cour de justice de l’UE du 6 septembre 2011. Les analyses du miel étant «trop coûteuses, une bonne partie des productions apicoles situées dans un rayon de 3 à 10 km [des champs de maïs OGM] risqueraient de devenir invendables», s’alarme l’Union nationale de l’apiculture française. Qui, des acteurs de la filière du maïs MON 810 ou des apiculteurs, vont mettre la main à la poche ? A moins que cela ne soit le contribuable ?
Pirouette mathématique
Précisons pour finir que le CS a choisi, pour l’occasion, une nouvelle façon de mesurer la présence d’OGM dans une production. Non content de l’unité de mesure en vigueur, basée sur le pourcentage d’ADN transgénique, le CS mesure une «présence relative grains/racines/tubercules GM, calculée en utilisant l’unité de mesure en vigueur affectée d’un facteur de correction qui prendrait en compte l’identité des OGM cultivés dans le voisinage de la parcelle testée». Cette pirouette mathématique facilite le respect du seuil de 0,9% par les productions qui seraient côtoyées par un champ d’OGM dits à empilement, c’est-à-dire contenant au moins deux transgènes. En bref, avoir deux transgènes serait équivalent à n’en avoir qu’un en termes de coexistence, selon le CS, qui se justifie de façon non scientifique : «Les produits sont soit GM, soit non GM, la nature de leur modification génétique (notamment le nombre d’inserts transgéniques) ne les rendra pas plus ou moins GM », lit-on dans son avis. Comme le font remarquer les Amis de la Terre, la Fédération nationale de l’agriculture biologique (Fnab), l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf), France nature environnement, la Confédération paysanne et Greenpeace, «ce n’est pas en cassant le thermomètre qu’on arrête la fièvre». Et c’est au consommateur de décider si, oui ou non, un OGM avec plusieurs transgènes est équivalent pour la société qu’un OGM avec un seul transgène, ou non.
Le ministère de l’écologie se veut rassurant, déclarant le 13 janvier dernier que «le gouvernement maintenait son opposition à la culture du maïs MON 810, qui resterait interdite en France en 2012». La coexistence étant impossible entre OGM et bio, Bio Consom’acteurs appelle le gouvernement à considérer de près l’impact des OGM sur l’environnement, la santé, l’économie et l’agriculture avant de délivrer toute autorisation de culture d’OGM. Elle demande aussi aux candidats aux présidentielles et législatives 2012 de signer la pétition « Osons la bio! » et de prendre connaissance des 20 mesures proposées par la Fnab pour atteindre 20% de bio en 2020.