Les produits bio (notamment le lait et les œufs) voient leurs ventes reculer depuis plusieurs mois. Des acteurs du lait bio appellent à la solidarité en invitant les français à acheter au moins un pack de lait bio.
Une consommation de lait bio en baisse
Outre la multiplication d’offres alternatives ou d’initiatives locales concurrençant directement le bio, il y a l’effet de la crise sanitaire, car dans un contexte global de baisse du pouvoir d’achat, la plupart d’entre nous fait davantage attention à ses dépenses.
La consommation bio connaît un sérieux coup de frein : -10% pour le lait liquide, -5% sur les fromages, -4% sur les yaourts, -5% sur le beurre, -12% sur la crème, au moment où arrivent sur le marché les litres de lait bio produits par de nouveaux producteurs.
La loi Egalim prévoyait d’augmenter la part du bio dans la restauration collective, notamment dans les cantines scolaires. C’est un levier encore peu actionné, mais pouvant constituer une des solutions, en attendant que la situation se stabilise.
Une baisse des prix d’achat, associée à une augmentation de la production
La filière française du lait bio traverse une crise de croissance. Elle doit vendre une partie de la production excédentaire moins chère, au prix du conventionnel, et même déclasser vers les filières conventionnelles, car l’offre a dépassé une demande qui ralentit, après plusieurs années de croissance à deux chiffres.
Selon les derniers chiffres du Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (Cniel), le prix du lait bio a chuté de 2,6% en septembre par rapport à 2020.
Le cahier des charges de l’agriculture biologique est strict et implique des coûts de production plus élevés. La vente de lait bio au prix du lait conventionnel diminue donc le chiffre d’affaires et le revenu des producteurs. Selon Ludovic Billard, producteur dans les Côtes d’Armor et président de la coopérative Biolait, une ferme bio de taille moyenne pourrait perdre jusqu’à 13 500 € par an. « Si on ajoute les investissements liés à la transition vers le bio, cela pourrait provoquer des arrêts d’activité ou des dé-conversions », s’inquiète-t-il.
Entre 2017 et 2018, la production de lait bio a augmenté de 35%, en passant à 848 millions de litres, issus de 3 295 fermes. Ils étaient 900 producteurs de plus cette année pour 1 241 millions de litres, et le Cniel (Centre National Interprofessionnel de l’Economie Laitière) prévoit encore une hausse de 9% en 2022. Résultat, tous les opérateurs ont stoppé les conversions à ce jour.
Et les géants de l’agro-industrie prennent déjà des décisions radicales. Dans un communiqué qui dresse son bilan de 2021 et présente ses perspectives pour 2022, Lactalis affirme sa volonté de limiter les volumes de lait bio face à la hausse de la production (+ 12 % en 2021) et la baisse de la demande.
Sodiaal (18 % de la production de lait bio, au coude-à-coude avec Lactalis) et le numéro 1, Biolait (27 %), n’acceptent plus que les jeunes agriculteurs qui s’installent en bio et ne financent plus les conversions en bio.
Sodiaal a annoncé que le lait déclassé bio sera payé moins cher que le lait conventionnel. « La coopérative paiera ainsi 359 € les 1 000 litres de lait bio déclassé, contre un prix à 449,70 € pour le lait conventionnel ». La confédération paysanne demande à Sodiaal de « revoir sa copie », alors que le segment biologique de la filière laitière représente en 2021 près de 5 % de la production en volume et 4 108 exploitants, selon le Cniel.
Le greenwashing et le Fairwashing nuisent aux filières bio
Face aux rayons et aux arguments des étiquettes, les consommateurs peuvent s’y tromper ou ne savent plus comment choisir.
Alors que les marques des géants européens et français jouent au maximum la carte « produit en France », « élevage français », à grand renfort de publicité qui font croire à des pratiques engagées, en montrant des éleveurs fiers et souriants, l’Institute for Agriculture and Trade Policy (IATP) déplore des pratiques de « greenwashing ». En effet, malgré la crise climatique, les émissions de gaz à effet de serre des géants européens de l’industrie de la viande et des produits laitiers continuent à augmenter. Par exemple, sur les deux dernières années, les émissions absolues ont augmenté, respectivement de +15 % et +30 % pour les français Danone et Lactalis.
Ce rapport incite aussi les gouvernements à « réglementer l’agrobusiness » et passe en revue 35 des plus grandes entreprises du secteur ayant leur siège dans l’Union européenne, au Royaume-Uni et en Suisse, en examinant leurs éventuels plans climat et les émissions englobant l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement, en particulier l’élevage, important émetteur de gaz à effet de serre.
Influencés par le marketing, les consommateurs achètent du lait non bio en pensant effectuer un geste pour les éleveurs et la planète.
A titre d’exemple, c’est le lait de la marque « C’est qui le patron » qui a été le plus vendu en 2021, alors qu’il ne bénéficie d’aucune labellisation officielle bio ou équitable, bien que la marque travaille sur la rémunération des producteurs et sur un cahier des charges transparent.
Face à ce phénomène de confusion, couplé à une augmentation des matières premières et une détérioration du pouvoir d’achat des français, le lait bio n’est pas la seule victime et plusieurs produits bio du quotidien connaissent une baisse en 2021. C’est le cas par exemple de la filière œufs, où les producteurs réclament une augmentation de 2 centimes pour faire face à l’augmentation du coût des matières premières.
Pourquoi consommer du lait bio ?
Dans un élevage laitier bio, le bien être des vaches, brebis et chèvres est primordial et les cycles naturels sont respectés. L’élevage hors sol est interdit, les animaux broutent au pré dès que la météo le permet, et le reste de l’alimentation est 100% bio (le plus souvent produite sur l’exploitation). Les animaux élevés en bio ne reçoivent donc aucun aliment ayant été produits à l’aide d’engrais ou de pesticides chimiques, ni d’aliments OGM, comme les tourteaux de soja importés d’outre Atlantique. Le mode d’élevage et l’alimentation des troupeaux en bio garantissent ainsi un lait sans résidu chimique, ni trace d’organisme génétiquement modifié, ni traces d’antibiotiques.
En effet, dans sa philosophie et selon le règlement européen, l’agriculture biologique a une approche intégrée de la santé. Cela veut dire que la prévention des maladies est fondée sur la sélection des races, les pratiques de gestion des élevages : la qualité des aliments pour animaux ; la liberté de mouvement ; une densité adéquate ; un logement adapté, le tout adapté aux besoins des animaux. L’objectif étant d’offrir les bonnes conditions de vie et d’hygiène pour éviter que l’animal ne tombe malade.
Côté santé humaine, de nombreuses études ont montré que le lait bio avait des qualités nutritionnelles supérieures à un lait non bio. Les chercheurs de l’Université de Newcastle (Royaume Uni) ont ainsi compilé les résultats de près de 200 études réalisées dans l’Union Européenne entre 1992 et 2014. Leurs conclusions, publiées en février 2016 dans le « British Journal of Nutrition », montrent que le lait bio de vache contient en moyenne 56% d’Oméga 3 en plus que le lait conventionnel ! Or, les Oméga 3 contribuent à réduire le risque d’incidents cardio-vasculaires, renforcent le système immunitaire et sont indispensables au bon fonctionnement du cerveau et du système nerveux. L’Université de Newcastle a également montré que le lait bio était plus riche en vitamines A, en vitamine E, en fer et en caroténoïdes, des antioxydants aux effets bénéfiques sur le vieillissement de la peau.
Un appel à la solidarité
Biolait estime, en janvier 2022, que 200 millions de litres vont affluer dans les mois qui viennent, avec le risque que des volumes soient déclassés en conventionnel et que les éleveurs ne soient pas rémunérés pour le fruit de leur travail.
Le leader de la collecte bio lance donc un appel aux foyers français : « Nous avons toutes et tous le pouvoir d’aider la filière laitière bio. Nous sommes 28 millions de foyers en France : si chaque foyer achète un pack de lait bio dans les prochains mois, alors chaque producteur Biolait peut vivre décemment et sereinement de son métier », plaide l’entreprise dans un communiqué du 20 octobre 2021.
Pour autant, Ludovic Billard, président de Biolait ne voit pas cette situation s’inscrire dans la durée. « Le lait bio représente 5 % de la collecte laitière nationale, c’est beaucoup moins que dans certains pays. Je suis persuadé que le marché n’est pas encore mature. La demande va repartir, reste à savoir quand. »
La France n’est pas la seule à connaître ce phénomène. En Suisse, les agriculteurs recevront quatre centimes de plus pour un litre de lait bio à partir de février. Les organisations de producteurs et les acheteurs se sont mis d’accord sur cette augmentation de prix en tenant compte de l’augmentation des coûts de production, induite par les directives plus strictes en vigueur depuis le début de l’année.
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