Urgence climatique et maraîchage bio : « Le Jardin des Clos » témoigne fait face

Le Jardin des Clos est une ferme de 2,2 ha, composée de 8000 m2 de maraîchage biologique diversifié, dont 1000 m2 de tunnels (le reste en prairie et verger). L’exploitation biologique est située à 18 km à l’ouest de Châtellerault, sur la commune de Scorbé-Clairvaux (86140), dans la région du Haut-Poitou.

Vous y trouverez une cinquantaine d’espèces de fruits, légumes, et plantes aromatiques au fil des saisons. Les cultures sont menées en mixant diverses techniques, planches permanentes, occultation, faux semis, engrais verts…  Tous les plants sont produits sur l’exploitation.

Nous avons rencontré Christophe Barbarin, maraîcher de la ferme depuis 2011, pour lui poser quelques questions sur comment il doit s’adapter :

  • Depuis quand es-tu maraîcher bio et quelles ont été tes motivations/parcours ?

Je suis maraîcher bio depuis 2011. J’ai suivi une formation agricole dans les années 80, mais n’étant pas issu du milieu agricole, impossible de s’installer à la fin de mes études avec mon projet d’élevage caprin incluant transformation et vente directe. Les chambres d’agriculture et la SAFER ne m’aident pas ! Le projet tombe donc à l’eau.

Je me réoriente vers les milieux aquatiques, ma deuxième passion, qui me mènera à entrer par concours au Conseil Supérieur de la Pêche (établissement public sous tutelle du ministère de l’Environnement). L’établissement change de nom plusieurs fois et ses missions évoluent. Je me spécialise sur les poissons migrateurs et je finis ma carrière plus particulièrement dans le marais poitevin : suivi des migrations, expertise des programmes de libre circulation et suivi des projets de passes à poissons.

Dans les années 2010, j’ai la volonté de passer à autre chose et mon activité professionnelle bien qu’enrichissante, m’amène au bord du burn-out. Je reprends une formation de courte durée pour un retour à l’agriculture en 2011, sur des terrains qui m’appartiennent, convertibles directement en bio pour la moitié de la surface. Ma volonté est de retrouver du sens et de la cohérence. Depuis, je suis installé en maraîchage diversifié, inspiré de l’organisation de Jean Martin Fortier, mais en étant mécanisé.

  • Rencontres-tu des difficultés face au manque d’eau, à la chaleur et plus globalement face à l’accélération des phénomènes climatiques ?

Ma ressource en eau est limitée (présence d’un puits domestique). J’utilise depuis le départ la micro aspersion* et le goutte à goutte. Le problème, c’est surtout la température : des variétés ne résistent plus aussi bien, la levée des semis est plus difficile, les pollen crament sous la chaleur, avec en conséquence une mauvaise pollinisation, mais aussi des traces de brûlures sur les tomates et poivrons… Je mets en place des voiles d’ombrage de plus en plus tôt, je blanchis mes serres, mais quand on a une météo de juin qui correspond à un mois d’août, l’adaptation nécessite de faire des choix culturaux bien en amont ! On dépasse déjà les amplitudes thermiques de certains légumes. De plus, les parasites sont plus présents car il ne fait pas assez froid l’hiver.

  • Comment fais-tu face à ces bouleversements ?

En plus des mesures évoquées précédemment, je m’attelle également à mette en place des ombrières pour protéger les cultures les plus fragiles. Mais cela représente un investissement supplémentaire et beaucoup de temps pour le travail de mise en place (déjà 20 lignes couvertes bientôt sur un total de 84) ! Je fais des apports de compost de déchets verts, des engrais verts. Par exemple, les produits de taille de mes haies sont broyés et incorporés dans une partie des planches chaque année. Chaque ferme doit trouver ses propres solutions, mais il faut s’adapter rapidement car le climat a changé ! Cette adaptation entraîne un accroissement de la charge de travail, et peu de personne s’en rend vraiment compte.

  • Les politiques de l’Etat et de la région sont-elles à la hauteur ?

Je suis au régime des micros bénéfices agricoles et sur petite surface, cela me rend un peu transparent** (de nombreuses mesures étant liées à la surface). Par choix, je ne bénéficie que du crédit d’impôt en faveur de l’agriculture biologique. Je ne veux pas dépendre du système et « artificialiser » l’économie de mon exploitation par des aides. Je veux gagner ma vie avec ce que je fais, donc : je dis joker sur cette question.

Concernant l’eau et les restrictions qui s’annoncent, le maraîchage bénéficie jusque-là de dérogations pour « cultures spéciales », mais les choix politiques ne sont pas clairs.

Il y a bien sûr le sujet de « l’accaparement de l’eau et du monopole des bassines au profit d’une minorité » mais le problème, ce n’est pas tant « l’accaparement » que la destination des productions auxquelles elles sont dévolues (souvent les exportations de produits agricoles bruts***).

On subit aujourd’hui une politique de gestion de crise, tant sur le quantitatif que le qualitatif. Quand on heurte le mur, on interdit, et après on boit quoi et on mange quoi ? L’impression que ça donne « d’en bas », c’est qu’il y a un manque d’anticipation. Aucune décision n’est à la hauteur des enjeux et de notre réalité du quotidien. Aujourd’hui, quelqu’un qui s’installe en maraîchage sans un accès à l’eau « garantie », c’est du suicide !

Que voulons-nous boire et manger demain ? Je pense que nous sommes à une période charnière, où il va falloir afficher clairement les objectifs finaux des usages de l’eau pour les années à venir. Produire pour notre consommation directe ou continuer de dépendre d’importations à bas coûts en provenance de pays qui bientôt fermerons le « robinet des approvisionnements » (la situation hydrique d’un pays comme l’Espagne, ou l’Italie, est encore pire que la France).

Ce schéma manquant d’anticipation et reposant sur l’importation est mort et je n’ai pas l’impression que nos élus en soient réellement conscients. Je pense que, comme beaucoup de consommateurs, ils sont leurrés par l’abondance proposée en grande surface.

Et en ce moment, la « crise », fait croire que les augmentations ne sont dues qu’au contexte politique et économique, mais n’oublions pas que les producteurs de fruits et légumes français subissent de plus en plus d’aléas climatiques. Quand vous perdez tout ou partie d’une culture, vous avez pourtant déjà investi et réalisé tout ou partie du travail. Cela ne peut pas se faire gratuitement et au dépend des producteurs.

Le dérèglement climatique a un coût direct et ce n’est pas à celles et ceux qui vous nourrissent de le supporter.

  • Les consommateurs-trices sont-ils solidaires ?

Il y a différents types de conommateurs-trices. Il y a des militants de la bio qui veulent bien faire l’effort, mais il y a surtout un manque de conscience du niveau de travail et des saisons en secteur urbain. Les consommateurs ne viennent pas avec une conscience des prix. Parfois, j’ai des légumes moins chers qu’en grande surface en conventionnel, mais les gens ne s’en rendent pas compte car leur esprit reste figé sur bio = cher ! Peu de personnes viennent avec un référentiel de prix et encore moins ont conscience du coût réel des produits. Heureusement, il y a des consommateurs-trices militants, mais l’inflation peut rendre leur investissement parfois complexe.

  • Quelles seraient les solutions à ton échelle pour faire face à cette situation ?

Rien en vue, je suis bientôt à la retraite (rires). Je n’ai pas de propositions spécifiques à faire, je suis petit, sur un îlot préservant la biodiversité et un maraîcher heureux malgré les difficultés. Je ne connais plus de consommateurs-trices qui mettent en place des actions et des solutions. Il y a eu beaucoup d’expériences ratées et peu de nouvelles qui impliquent les paysan.nes. Actuellement, les initiatives dont on parle viennent des agriculteurs eux-mêmes.

  • Comment les lecteurs pourraient-ils aider ? Quels conseils aurais-tu à donner ?

La question est complexe. Si chacun cultive son bout de jardin et préserve son îlot de biodiversité, cela nous permettra d’espérer croiser encore des sauterelles, des papillons etc… Et surtout il nous faut réapprendre la saisonnalité ! On peut réussir, mais il faut s’en donner les moyens : déjà faire son bout de chemin individuel ou collectif pour préserver ce qui peut encore l’être.

Il faut également comprendre les causes de ce qui nous arrive pour agir. Je m’inquiète beaucoup pour mes jeunes collègues qui s’installent. Ça va être difficile, il faut les aider et les soutenir ! Trop de personnes se sont installées avec l’idée que tout le monde voulait du bio. Il faut avoir conscience de la difficulté de ce métier difficilement rémunérateur. Il faut également avoir conscience du coût d’une installation. On ne peut pas y aller juste avec des outils à main, en pensant que tout va bien se passer !

Et enfin, pour ce qui est du bio, si souvent remis en cause en ce moment, entre autre par des pseudo labels farfelus, il faut rappeler qu’il y a en France  un cahier des charges précis et contraignant, avec, en maraîchage :

  • Des contrôles (trois sur deux ans, dont un impromptu)
  • Des vérifications des documents comptables, des stocks, des engrais et de la production
  • Le respect des rotations, l’utilisation de couverts végétaux, d’engrais verts et la vérification de la conformité des intrants au cahier des charges.

Tout manquement entraîne à minima un « avertissement », voir l’interdiction de commercialiser avec le label tout ou partie de la production. Voilà ce qu’est un label contraignant !

 

* Micro aspersion : permet un arrosage à basse pression sur un rayon de un à trois mètres.

** Différent régimes existent en agriculture : Le régime micro-bénéfice agricole (BA) est un régime fiscal applicable aux exploitants agricoles dont les recettes moyennes sur les trois dernières années ne dépassent pas 91 900 euros

*** Exportation en brut :  Les grandes cultures et les légumes représentent 59 % de la valeur des exportations de produits agricoles bruts

 

 

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