Entretien avec Nathalie Depoix, Spirulinière en Charente Maritime et Présidente d’ADASMAE (Association pour le Développement de l‘Aquaculture, de la Spiruline et des Micro Algues en Europe). La reconnaissance de la spiruline en agriculture biologique se heurte à la réglementation européenne et les spiruliniers ont besoin de nous : « depuis 5 ans des propositions détaillées sont envoyées à l’UE pour faire évoluer le règlement AB européen. […] L’Europe doit passer des paroles aux actes et accepter les demandes de règles détaillées pour les micro-algues : l’azote extrait des déchets locaux végétaux ET animaux »
-
Qui es-tu ? Quel est ton métier ?
« Nathalie , Spirulinière en Charente Maritime depuis 12 ans et dans le monde de l’aquaculture depuis 30 années. Mon métier c’est l’eau : un support extraordinaire pour produire et en même temps si précieux que nous avons développé depuis 20 ans maintenant des démarches de recyclage et d’épuration de nos eaux par lagunage. Le métier ne consiste pas seulement à savoir produire mais aussi à gérer notre production en prenant en compte son environnement : c’est une vraie démarche de producteur conscient des enjeux pour notre alimentation liée au devenir de notre planète. Impossible d’être seulement AB , il faut penser au-delà en termes écologiques et éthiques.
Je suis aussi Présidente d’ADASMAE (Association pour le Développement de l‘Aquaculture, de la Spiruline et des Micro Algues en Europe) – Siège : EPLEFPA Lycée de la mer – Bourcefranc le Chapus 17560 – Région Nouvelle Aquitaine
Cette association a pour objet de mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour accompagner et appuyer les producteurs professionnels en aquaculture pour faire évoluer ou résoudre les problématiques de filières sur les aspects réglementaires et de labellisations »
-
Peux-tu nous rappeler ce qu’est la SPIRULINE?
« Spiruline, famille des Cyanobactéries – taille 50 microns (1/20ème de mm) – produit de l’aquaculture et non de l’agriculture : le milieu de croissance n’est pas le sol mais l’eau douce, saumâtre.. Son milieu naturel, ce sont les lacs carbonatés, riches en minéraux, fréquentés par les oiseaux migrateurs (apports de fientes). Nous sommes des maraîchers un peu spéciaux : sous serres , nos plates bandes sont des bassins et notre “légume” est un organisme microscopique qui baigne dans ces bassins !
Au delà de ces considérations biologiques la spiruline est un excellent produit d’avenir contenant 65% de protéines végétales, antioxydants, acides gras essentiels, vitamines, minéraux et oligo-éléments ..un tel panel en phase avec nos besoins d’humains c’est normalement l’idéal
Mais que de problèmes rencontrés pour une si petite bactérie , si bienfaitrice…. notre essor commercial est bloqué …30% de pertes de CA ces trois dernières années – pas à cause du covid MAIS BIEN DU MANQUE DE LABEL AB »
-
Quelles sont les problématiques rencontrées par la filière aujourd’hui ?
« La problématique cruciale est de trouver une source d’AZOTE d’origine végétale en LOCAL et de préférence issue de déchets végétaux. pour accéder à un label AB avec un sens éthique et écologique : une vraie différence par rapport à notre concurrence asiatique !
Pourquoi l’AZOTE ? La culture biologique de la spiruline exige des intrants minéraux ou organiques : contrairement au maraîcher qui prépare son sol, le producteur de spiruline apporte les nutriments au quotidien dans l’eau selon les besoins de la spiruline qui les absorbe par sa paroi cellulaire et non par des racines .
Chaque nutriment est apporté séparément pour éviter de créer un déséquilibre dans le milieu et surtout le conserver propre : ceci explique pourquoi cette production est très peu consommatrice d’eau.
Nos demandes à l’Europe concernent uniquement l‘azote – C’est le nutriment clé car sans azote pas de protéines et 65% de protéine la spiruline ne la fabrique pas par miracle Tous les autres nutriments sont valides en bio à ce jour
Les cyanobactéries et microalgues sont devenues une véritable épine dans le pied de l’Europe : un cahier des charges AB écrit sur une base “agriculture dans le sol” , des aides pour financer le développement de productions de protéines végétales dont la demande va s’accroître et toujours aucune évolution de la réglementation en accord avec les besoins de la filière »
Pourquoi donner ce sens éthique et écologique à cette labellisation ?
Depuis plusieurs années, les producteurs de spiruline cherchent des solutions d’intrants azotés d’origine végétale, solubles, hygiénisés, translucides. : à ce jour seules des solutions non écologiques et / ou non éthiques ont été proposées ce qui ne convient pas à la grande majorité des producteurs.
-
Où en est-on en France sur la Spiruline Bio
« Aujourd’hui en France nous avons une longue histoire et avons deux labels acceptés en commerce biologique afin de répondre à la demande des consommateurs.
La mention privée Ecocert selon le référentiel de production écologique de micro-algues d’eau douce ou d’eau salée terrestre depuis 2013 – il a fait ses preuves et concerne maintenant une bonne vingtaine de fermes : l’ Azote est extrait des déchets végétaux et /ou animaux puis concentré et hygiénisé. Intrant local nécessitant peu de transport, contribuant à réduire notre dépendance vis-à-vis des pays tiers et permettant de limiter les épandages ( participe à diminuer les nitrates dans la nappe phréatique) et quelques Label AB depuis 2021- Apport végétal en azote provenant de soja d’Amérique du Sud Brésil : contribue directement ou indirectement à la déforestation – impact social pour les populations locales – consomme énergie pour le transport : hydrolyse en Espagne avant arrivée en France (1er producteur européen de micro algues) »
-
Que manque t-il pour aboutir à un cahier des charges écologique et biologique satisfaisant pour les consommateurs et les producteurs ?
« L’Europe doit passer des paroles aux actes et accepter les demandes de règles détaillées pour les micro-algues : l’azote extrait des déchets locaux végétaux ET animaux. Il serait important d’inciter les fabricants d’engrais à penser aussi dans ce sens afin d’aider ces productions d’avenir et l’environnement.
-
Comment ce combat a été mené et comment avez-vous fait pour persévérer malgré le manque d’arbitrages ?
« Nous croyons dans les solutions que nous avons proposées car elles sont bio mais surtout écologiques et éthiques : nous nous heurtons à de véritables murs réglementaires et pour lesquels la moindre modification exige des temps très longs.
Une fois que nous avons bien compris cela il suffit de s’armer de patience et persévérance : c’est parfois éprouvant mais la méthode des petits pas fonctionne. L’administration européenne a maintenant compris qu’on ne lâchera pas : depuis 5 ans des propositions détaillées sont envoyées à l’UE pour faire évoluer le règlement AB européen
L’Europe commence à se dire qu’il faut faire quelque chose : il faut continuer à l’interroger , lui faire des propositions »
-
Aujourd’hui, quelles sont les perspectives d’actions ?
« Nous voulons faire savoir ce sujet au maximum de consommateurs mais aussi aux élus et politiques qui peuvent agir s’ils le veulent …
Plus nous serons nombreux à questionner les instances de décision : la DG Agri et son service “Organic Production” à Bruxelles équivalent de notre Ministère de l’Agriculture et son service AB à l’échelle européenne
Cette carence réglementaire, pénalise les producteurs Français et Européens, qui peuvent difficilement produire en AB et provoque par le régime d’équivalence EU accordé aux pays tiers une importation massive AB à prix très bas et avec une traçabilité faible (souvent conditionnée en France ou Europe) Ces pays bénéficient de régimes d’équivalence et donc ne doivent pas être en conformité avec nos règlements.
Tout cela s’appelle du lobbying , n’ayons pas peur des mots …agissons »
-
Comment les Bio Consom’acteurs peuvent-ils agir ?
« En se procurant de la spiruline avec les bonnes questions : production française ? Pour bien le vérifier il ne faut pas se fier au drapeau français qui parfois ne justifie que du “conditionnement en France”
Il faut pouvoir situer le lieu de production et s’autoriser à demander quelle source d’azote est utilisée , vérifier aussi la démarche éthique et écologique de la ferme.
En parlant de ce sujet car le bouche à oreille est le meilleur vecteur qui puisse exister : faire prendre conscience à une grande majorité du public que ce sujet est celui de la survie d’une filière qui s’est développée en une vingtaine d’année en proposant un produit local d’exception »