En Mayenne, la coopérative « Lait bio du Maine » collecte et commercialise le lait de 45 fermes laitières bio du coin. Depuis trois ans, elle en transforme aussi une partie en fromage au lait cru, l’Entrammes, qui est labellisé Bio Cohérence. Bio Consom’acteurs Pays d’Angers a visité la fromagerie et découvert son histoire et ses défis.
C’est bien connu, les Français aiment le fromage. Mais bien peu ont goûté à toutes les variétés, parmi les 350 produites dans l’Hexagone. Dans ce foisonnement, un petit nouveau, disponible uniquement en bio, s’est fait une place sur les étals depuis trois ans : l’ Entrammes. Un fromage au lait de vache produit sur la commune du même nom, en Mayenne. Son arôme ? A la novice que je suis, il rappelle celui du Chaussée-aux-moines, en plus goûteux. Son histoire ? Elle a commencé il y a dix ans, avec une vingtaine de membres du groupement d’intérêt économique Lait bio du Maine qui est devenu depuis une coopérative, nous raconte Colette, éleveuse de vaches laitières en bio et associée. Les bénévoles de Bio Consom’acteurs Pays d’Angers ont rencontré les acteurs de cette fromagerie dans le cadre d’une visite organisée par Interbio Pays de la Loire.
L’Entrammes est né pour valoriser le lait bio de la Mayenne. En 2003, les temps sont durs pour les membres du GIE. « Il y a eu un vrai afflux de lait bio en France, donc plus d’offre que de demande. On a été payé au prix du lait conventionnel », se souvient Colette. Que faire? Quelque chose de nouveau avec le lait, pardi ! « On a cogité, réalisé des études de marchés pour savoir quels produits faire, embauché un coordinateur de projet…et on en est venu au fromage ». Les producteurs testent alors des recettes, des modes de fabrication…pour opter, en 2007, pour un fromage de garde, « capable de se stocker assez longtemps », à pâte pressée non cuite. Dans le même temps, le GIE devient coopérative. Ses membres font goûter le fromage aux consommateurs, dans des foires locales. Refont des tests, améliorent la recette. En 2010, la fromagerie est construite à Entrammes, dans un bâtiment à ossature et bardage bois, isolation au chanvre, et chauffage aux plaquettes bois (avec une chaudière au cas où ça s’arrête), une station d’épuration et électricité d’origine renouvelable achetée chez Enercoop. Et en décembre 2010, le fromage sort officiellement.
Un fromage qui raconte les saisons, les fleurs et les papillons
Comme tout fromage au lait cru, l’Entrammes exprime un terroir, une identité, une saison. Le lait n’ayant subi aucun traitement de pasteurisation, stérilisation ou autre, tous les microorganismes présents dans le lait au sortir du pis se retrouvent dans le fromage. D’où l’intérêt du lait cru bio, produit par des vaches mangeant de l’herbe non traitée aux pesticides… « Le lait cru ramène tout ce qu’il y a dehors, bon comme mauvais. On caresse le vœu pieux de ne ramener que les bonnes choses, mais c’est de l’écologie microbienne de haut vol ! » tempère Guillaume. Le lait se charge des bactéries de l’air, de celles qui se trouvent sur les trayons, des levures… De tout, en somme. « Puis on fabrique le fromage et tout se dévoile, pour le meilleur ou le pire. Parfois il y a des trous, on ne sait pas pourquoi.». Manger un fromage au lait cru, c’est un peu comme goûter à l’environnement des vaches. Plutôt charmant, non ?
Des vaches nourries à l’herbe et au foin, donc. C’est obligatoire pour les membres de la coopérative, depuis le 1er avril 2014. Et ensilage interdit : non seulement celui-ci, un fourrage fermenté, « sorte de grosse choucroute », donnerait un goût d’alcool au produit final. Mais en plus, « il est déficitaire en protéines. Or, pour pour faire un bon fromage, il faut un lait suffisamment protéiné. Il faudrait donc acheter des compléments protidiques à donner aux vaches. La France étant déficitaire en protéines végétales, celles que les agriculteurs achètent viennent bien souvent d’Amérique du Sud. C’est un choix politique pour nous de refuser cela», affirme Guillaume Chopin. Les fermes de Lait bio du Maine ne se contentent pas de respecter le règlement bio européen : elles suivent aussi le cahier des charges de Bio Cohérence, label plus ambitieux.
L’Entrammes est un fromage à pâte pressée non cuite et à croûte morgée, c’est-à-dire frottée à l’eau salée au sel de Guérande. Le lait forme un caillé, séché puis brassé à moins de 37 degrés, puis pressé dans des moules. On y ajoute ensuite de la présure naturelle, issue de la caillette de veaux. Et c’est parti pour l’affinage, avec lavage tous les jours, sur une planche en épicéa (qui ne contient pas de tanin, ce qui donne meilleur goût au fromage, relève Guillaume Chopin). Affinage qui peut durer de cinq semaines à 4 mois (« grand cru »), en passant par le « tradition », affiné en 10 semaines. Une version aux graines de carvi fait un clin d’œil aux moines de Port-du-Salut, lesquels ajoutaient jadis des épices à leur fromage…Et trois salariés emballent le fromage, à la main. Entre 350 et 400 kg de fromages sont produits par jour de fabrication. C’est à la fois beaucoup et peu : la fromagerie est à la moitié de sa capacité.
Le fromage se mange différemment
Seulement 6% du lait sur les 9 millions de litres collectés chaque année par la coopérative, deviennent Entrammes. Pourquoi si peu ? Le commerce des frometons n’est pas une sinécure, sur un marché déjà saturé. Et encore moins quand ils sont bio. «Les messages de type bio, AOC, lait cru, terroir, etc. ont un prix assez haut, c’est compliqué à vendre », souligne Guillaume Chopin, coordinateur et vendeur au sein de la coopérative. « En Mayenne, on y arrive, mais à Paris, « Entrammes », ça ne dit rien à personne ! ». Ceux qui achètent l’Entrammes, ce sont donc surtout des distributeurs mayennais : magasins spécialisés, plateforme Biocoop… Et surtout, la grande et moyenne distribution (GMS) : celle-ci réalise 80% de la vente des fromages fabriqués par la coopérative. Guillaume Chopin n’a pas de problème avec ça : « La GMS permet d’aller chercher de nouveaux consommateurs, qui sont de potentiels clients des magasins spécialisés». Et puis, admet-il, « on a une marmite à faire bouillir, des salariés et leur famille à nourrir. L’enjeu de notre projet est qu’il continue à exister demain et le nerf de la guerre, c’est la trésorerie».
Un objectif louable pour une entreprise qui emploie 15 salariés à temps plein et qui, aujourd’hui, « perd de l’argent à chaque fromage vendu, puisque le coût de revient actuel est de 16 euros le kilo alors que le prix de vente aux magasins est de 11 à 12 euros le kilo ». Pour être viable, l’enjeu pour la fromagerie est de continuer de grandir. Seulement, voilà : les Français changent doucement de comportement vis-à-vis du fromage, lance Guillaume Chopin.
Lactalis, Yoplait et Vrai
Qui explique grosso modo que le bout de calendos sur un morceau de pain avec un bon petit verre de vin avant le dessert, c’est de moins en moins « in ». Les jeunes générations, ce qu’elles kiffent, c’est le fromage sur les quiches, pizzas, tartes, produits transformés, à l’apéro, en raclette, etc. La fromagerie doit s’adapter à ces nouveaux comportements. Et diversifier ses produits en fonction des usages, « avec des portions individuelles pour la restauration scolaire, ou des tranches, par exemple », suggère Guillaume Chopin.
Les 84% de lait cru bio non transformés en Entrammes sont vendus à d’autres entreprises de transformation laitière : fromagerie de Monsûrs, Lactalis, Triballat (marques Vrai, Petit Billy, etc.), Sodiaal (Yoplait, Viva, Grandlait, etc.), Malo, etc. Eux-mêmes les transforment en lait en briques, yaourts, crèmes desserts, fromages et autres crèmes fraîches, « tous valorisés en bio », souligne Guillaume Chopin. Aujourd’hui, c’est donc la vente du lait qui fait vivre la coopérative. Mais après notre visite, il nous reste un agréable petit goût de Mayenne dans la bouche. Les premières fleurs de printemps, sans doute.
Photo: Génisses à la ferme laitière de M. Gérard Lepage, associé de la coopérative Lait bio du Maine – crédit Diana Semaska
Voir le site de la fromagerie bio du Maine