François Veillerette, porte-parole de l’association Générations Futures, et Nadine Lauverjat, présidente du Rassemblement pour la planète, sont tombés des nues à la lecture de l’article « Utopie bio » publié il y a 15 jours dans « Le Nouvel Observateur ». Ils y adressent ce droit de réponse, également co-signés par des associations et personnalités.
Nous avons lu avec stupeur l’article « Utopie bio » dans votre numéro du 1er novembre. Nous n’attendions pas du « Nouvel Observateur » un article à ce point rempli de contre-vérités, et qui ne cite comme sources bibliographiques que les écrits des adversaires notoires du bio que sont Gil Rivière-Wekstein – qui est membre de l’Afja (Association Française des Journalistes Agricoles), organisme qui a pour membre associé Bayer, ou encore le lobby des pesticides, l’UIPP –, Léon Guéguen – un adversaire déclaré de l’agriculture biologique depuis des décennies – et Gérard Pascal – favorable aux OGM et très critique de l’agriculture biologique.
Ils font tous les deux partie de l’AFIS, l’Association française pour l’information scientifique, souvent prompte à défendre les pesticides et les OGM. Il nous semble important de souligner que ces chercheurs sont donc pro-OGM et pesticides. De même, ces derniers sont les auteurs du chapitre sur le thème santé dans le livre « Le tout bio est-il possible ? », très partisan dans ses conclusions. Baser un article presque exclusivement sur les propos de ces personnes ne relève pas, à notre sens, d’un travail sérieux d’investigation inhérent à la fonction de journaliste.
Cet article ignore par contre les livres, récents et référencés, exprimant un autre point de vue, comme « L’agriculture biologique pour nourrir l’humanité » [1], « Famine au sud, malbouffe au Nord » [2] et « Manger bio, c’est mieux ! Nouvelles preuves scientifiques à l’appui » [3], ce dernier ayant été écrit précisément pour répondre au type d’arguments exposés dans l’article de Fabien Gruhier et lui ayant été adressé en pdf, à sa demande, le 21 septembre
Mais reprenons point par point les affirmations de cet article.
1- Les fraudes
Elles existent, comme dans toute activité humaine, mais il ne faudrait pas les exagérer : quelques cas isolés ne peuvent pas servir à discréditer l’ensemble d’une filière. L’on pourrait par exemple évoquer les usages frauduleux, dans l’agriculture chimiquement intensive, de certains pesticides interdits en France et pourtant parfois retrouvés dans les denrées alimentaires sous forme de résidus.
Sur la fraude en Italie, nous aimerions connaître la source des chiffres avancés. Sans parler de l’incohérence entre les tonnages et les valeurs. 700.000 tonnes (?) pour 200.000 €, cela fait moins de 30 centimes d’euro la tonne. Pas cher, même pour du faux bio ! Et même si l’auteur voulait dire 200.000.000 €, ça ne ferait encore que 30 centimes le kilo. Un fournisseur d’AMAP tricheur ? Soit, mais un sur 1.200, pas de quoi en faire un plat !
Quant à mettre en doute le sérieux de la certification bio de « certaines provenances » – allusion claire à l’Italie – sous prétexte qu’il y a eu une fraude dans ce pays, c’est vraiment aller trop loin.
2- Le blé bio d’Ukraine ?
Fort heureusement pour les Ukrainiens, toute l’Ukraine n’a pas été polluée par Tchernobyl et jeter le discrédit sur tout le blé bio venant de ce pays, sans vérification ni enquête, n’est pas sérieux.
3- Les produits bio, pas plus nutritifs ?
Il serait intéressant que les sources justifiant cette affirmation soient citées, mais bien sûr elles ne le sont pas puisqu’il s’agit d’une contre-vérité. En effet, les synthèses sérieuses des données scientifiques disponibles sur ce sujet, faites dans divers pays depuis 10 ans, montrent généralement des teneurs plus élevées en certains minéraux (magnésium, fer ou zinc), en vitamine C, en antioxydants et polyphénols, dans les produits végétaux et des teneurs plus importantes en lipides oméga-3 dans les viandes et en particulier dans le lait de vache et ses dérivés.
Cela dérange peut-être certains, mais ce n’est pas une raison pour que de telles contre-vérités soient assénées par des journalistes à des lecteurs n’ayant pas accès aux sources d’information.
4. Les produis bio pas plus sains ?
Alors que les fruits bio contiennent en moyenne 24 fois moins souvent des résidus de pesticides que les conventionnels (moyenne européenne donnée par l’EFSA) et encore beaucoup moins si l’on compare les quantités présentes. Parce que les résidus présents dans les aliments conventionnels seraient sans impact sur notre santé ? Comment peut-on sérieusement affirmer cela aujourd’hui, alors que de nombreux pesticides sont des perturbateurs endocriniens, qui peuvent agir à des doses 100 ou 1.000 fois inférieures à celles sans effet selon les tests toxicologiques classiques ? Et que des centaines de publications scientifiques ont établi une corrélation entre l’exposition aux pesticides – y compris de la population générale – et de nombreuses pathologies. Sans parler de l’impact négatif, que personne ne conteste, sur la santé des agriculteurs. Ce qui pose une autre question : est-il acceptable que nous consommions des produits dont la production menace la santé de ceux qui les produisent ?
Quant à affirmer comme le font les auteurs du livre « Le tout bio est-il possible ? » qu’il y aurait plus de risque de pollution par le cadmium en bio, c’est exactement le contraire qui est vrai, comme le montre la bibliographie scientifique sur ce sujet et comme l’ont confirmé les auteurs de l’étude de l’Université de Stanford sur le bio, étude qui, si on prend la peine de bien la lire, est beaucoup plus favorable au bio que ce qu’en ont dit les médias [4].
5- Pas de bénéfice pour l’environnement ?
Pas de bénéfice pour l’environnement, comme l’affirme Gil Rivière-Wekstein ? Alors que d’innombrables études montrent le contraire, qu’il s’agisse de la pollution par les pesticides et les excès d’azote, de la biodiversité ou de la fertilité des sols, comme l’a démontré le rapport de l’INRA de 2005 sur « Pesticides et environnement » où il est écrit textuellement « cette utilisation élevée de pesticides est remise en question par la prise de conscience de leurs impacts négatifs sur l’environnement, voire sur la santé de l’homme » on ne saurait être plus clair !
C’est d’ailleurs parce que cet impact est avéré que la France a lancé le Plan Ecophyto de réduction d’usage des pesticides et que l’Union européenne s’est dotée d’une stratégie thématique sur l’utilisation durable des pesticides afin de « proposer des mesures destinées à réduire l’impact de ces substances sur la santé humaine et sur l’environnement ».
6- La taille des poulaillers ?
Des méthodes d’élevage des volailles qui, comme le laisse entendre l’auteur de l’article, ne se différencieraient du conventionnel que par la taille des poulaillers ? Un peu de sérieux, s’il vous plait, même si sur ce point nous regrettons les assouplissements introduits par le nouveau cahier des charges européens.
7- Des rendements plus de deux fois inférieurs à ceux du conventionnel ?
Deux études récemment publiées par des revues scientifiques ont estimé la baisse de rendement à 20% en moyenne, ce qui recouvre des réalités extrêmement différentes : des baisses, importantes pour certaines cultures comme le blé dans les pays, comme la France, où l’on atteint des rendements record en conventionnel, mais des augmentations, parfois considérables, dans de nombreux pays du sud.
Des chiffres qu’il faut par ailleurs mettre en regard du fait que la pratique des cultures associées – universelle avant l’industrialisation de l’agriculture – permet des augmentations de rendement de 20 à 50% par rapport aux mêmes espèces en culture pure, comme le montre une très abondante littérature scientifique. Une pratique impossible en agriculture industrielle dite conventionnelle, en raisons des exigences différentes en matière de pesticides et de fertilisation, mais possible en bio, et parfaitement mécanisable à condition de mettre au point des matériels de semis et de récolte adéquats.
8. La bio pas généralisable ?
Olivier de Schutter, le rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation de l’ONU, pense au contraire que l’agroécologie – très proche de l’agriculture biologique – pourrait nourrir la planète. Et le conventionnel, quoi de moins généralisable et de moins durable, alors qu’il faut plus d’une tonne d’équivalent pétrole – ressource de plus en plus coûteuse et en voie de disparition – pour produire une tonne d’azote sous forme d’engrais, sans parler de la pollution et des autres dégâts écologiques et sanitaires.
Curieux article, en vérité, qui laisse une impression de malaise, comme si – ce que nous ne pouvons imaginer – il avait fallu, pour rétablir un certain équilibre, contrebalancer l’article très anti-OGM sur l’étude de G.E. Séralini, par un article très anti-bio et très mal informé qui est vraiment indigne d’un tel hebdomadaire.
Premiers signataires :
Agir Pour l’Environnement
Fédérations Nationale d’Agriculture Biologique
Générations Futures
Aubert Claude, agronome
Marc Dufumier, agronome
Philippe Desbrosses, Président d’Intelligence verte
JP Jaud, Producteur J+B Séquences, réalisateur notamment de « Tous Cobayes »
Jean-Claude Mouret Ingénieur de Recherche -Inra
[1] Actes Sud
[2] NIL
[3] Terre vivante
[4] Lire le commentaire de cette étude dans la rubrique actualités du site www.mangerbiocestmieux.fr