Consommation : un avant et un après-COVID ?

Pendant près de deux mois, la France a vécu au rythme du confinement. Une période qui a bouleversé les habitudes de consommation de ses habitant-e-s : approvisionnement, habitudes de consommation et comportements alimentaires. Des changements qui pourraient bien se transformer en habitudes sur le long terme.

Le 16 mars 2020, la France est entrée dans une phase de confinement strict, afin de limiter la propagation du COVID-19. Mis en place en France et dans une partie du monde, le confinement a été assorti d’un impact majeur à l’échelle planétaire : mise à l’arrêt du commerce mondial et des chaînes d’approvisionnement, fermeture des frontières, fermeture des marchés locaux, grands distributeurs appelés à renationaliser leur approvisionnement, fermeture de tous les commerces, hormis les pharmacies et commerces alimentaires.

A l’échelle des foyers, le confinement a eu pour conséquence de resserrer le quotidien des personnes autour d’un nombre réduit d’activités : travail, vie familiale et alimentation. Au cours de ces deux mois, on a pu observer un impact sur les Français-e-s et l’évolution de leur alimentation.

Des habitudes chamboulées
Dans un premier temps, l’annonce du confinement pour une durée indéterminée a suscité une crainte importante de connaître des pénuries alimentaires, qui s’est traduite par une ruée sur les grandes surfaces, accompagnée d’un phénomène de surstockage. Dès le 13 mars, les supermarchés ont été pris d’assaut, notamment les rayons des produits à longue conservation (pâtes, riz, farines, conserves, surgelés).

Dans un second temps, les Français-e-s, en zone urbaine comme rurale, se sont tourné-e-s vers d’autres moyens d’approvisionnement. Ces changements ont été motivés par différents facteurs : parfois la peur d’aller au supermarché, et d’y être en contact avec le virus ; parfois la lassitude générée par temps d’attente, les rayons vides ou les problèmes logistiques des drives, dus à la hausse importante et rapide de la demande.

Au-delà des contraintes liées au contexte, des motivations plus profondes ont orienté le choix des Français-e-s dans leur mode d’approvisionnement.

Le besoin de reprendre le contrôle sur l’assiette a été exacerbé par la crise sanitaire, et la prise de conscience que le système actuel ne permet pas de maîtriser ce que nous consommons. La peur liée à la qualité a redoublé ces dernières semaines, avec une forte suspicion concernant la nourriture : pesticides, additifs, OGM… Cette méfiance a poussé les consommateurs-rices à se tourner vers des produits de saison, de proximité et pour une grande partie bio. Dans une étude réalisée en avril dernier, la société Nielsen révèle en effet que les produits issus de l’agriculture biologique ont connu une hausse importante des ventes, dans les hypermarchés comme dans les circuits courts.

Par ailleurs, la fermeture des marchés fin mars a suscité chez les Français-e-s une forte envie d’être solidaire des producteurs-rices ayant perdu leurs débouchés. La période a rendu plus visibles celles et ceux qui travaillent tout au long de la chaîne de production et de distribution alimentaire.

Ainsi, les consommateurs-rices se sont tourné-e-s vers les circuits-courts, la vente directe ou bien les « drive fermiers ». On a notamment pu observer des « nouveaux profils » parmi ces consommateurs-rices : des personnes « peu militantes », chez qui le contexte a provoqué une prise de conscience. Ils/elles se soucient aujourd’hui des travailleurs-euses de la chaîne alimentaire et souhaitent apporter leur soutien aux producteurs-rices près de chez eux.

Et du côté des producteurs-rices ?
Dès le début du confinement, les producteurs-rices ont vu la demande des consommateurs-rices monter en flèche, que ce soit en vente directe, sur les marchés, ou à travers leurs débouchés (circuits courts ou grandes surfaces).

Mais le point de bascule a vraiment eu lieu fin mars, lorsque le gouvernement a ordonné la fermeture des marchés. Les producteurs-rices ont alors dû faire face à une crise multiple :
    • Perte de certains débouchés, parfois assortie d’une perte de la production
    • Explosion de la demande en circuit-court
    • Besoin de réorganiser, parfois inventer, une nouvelle logistique adaptée aux contraintes sanitaires (drive, magasin des producteurs, …)
    • Dans un contexte parfois compliqué sur le plan humain (garde des enfants, école à la maison, pour certaines structures manque de main d’œuvre…)

Les producteurs-rices travaillant en circuit-court et en vente directe sont celles et ceux qui ont le mieux résisté à la crise, démontrant la résilience du modèle. Le modèle des AMAP, par exemple, fonctionne sur un principe d’engagement à l’année, qui permet d’assurer la trésorerie pour les paysan-ne-s et garantit un lien solide entre consommateurs-rices engagé-e-s et producteurs-rices. Un lien qui permet à la fois la transparence, la confiance et la solidarité au sein de chacune de ces communautés que constituent les AMAP, et ce système a démontré sa capacité de résilience face à cette crise.

Pour les producteurs-rices, la période du confinement a fait office de test sur leur capacité à nourrir l’ensemble des Français-e-s, à la fois en quantité, mais aussi en termes d’organisation logistique, et de main d’œuvre. Pérenniser les modèles mis en place et fidéliser les nouveaux-elles consommateurs-rices, c’est le défi des semaines à venir pour le monde paysan.

 

L’impact chiffré du confinement sur nos repas
Comment les Français-e-s ont-ils/elles consommé pendant 2 mois de confinement ? Du 1er avril au 3 mai 2020, le mouvement FAIR[e] un monde équitable a réalisé un sondage auprès de 266 personnes afin de mesurer l’évolution de leurs pratiques de consommation durant le confinement.

Il en ressort que « plus nous avons du temps, plus nous anticipons, plus nous prêtons attention à la qualité de notre alimentation. Nous cuisinons davantage et privilégions la recherche de produits frais et locaux. En réduisant la fréquence de nos sorties, nos achats deviennent peut-être moins compulsifs, plus réfléchis, et motivés selon des facteurs différents, tel le plaisir. »

La consommation de produits locaux et de saison est restée une priorité pour plus de la moitié des sondé-e-s : « 57% des personnes interrogées ont privilégié des produits locaux et de saison pendant le confinement, tandis que 43% considèrent que privilégier des produits équitables, respectueux des agriculteur-rice-s et de la planète est leur priorité quand ils effectuent leurs achats. » 

Dans un autre sondage, réalisé par OpinionWay pour l’ONG Max Havelaar France, une majorité des personnes interrogées déclare consommer plus ou autant qu’avant trois produits phares de la filière équitable : le chocolat pour 88 % d’entre eux, le café (89 %) et les bananes (82 %).

Si 35% des Français affirment choisir selon la disponibilité, les 2/3 font le choix de produits responsables à l’occasion du confinement. Les Français sont désormais nombreux à privilégier : des produits locaux ou de leur région (45%), des produits made in France (39%), des produits bio (29%), des produits sans emballages ou avec des emballages limités (15%), des produits à la fois bio et commerce équitable (14%), ou simplement issus du commerce équitable (10%). 

Il semble donc que la crise sanitaire mondiale ait fait basculer les Français-e-s du côté d’une alimentation plus durable, plus respectueuse des hommes et de l’environnement. « L’une des leçons que nous enseigne la crise sanitaire actuelle est que nous sommes tous dépendants de ceux et celles qui cultivent et produisent les denrées alimentaires, que ce soit à l’autre bout du monde ou dans notre région », estime Blaise Desbordes, Directeur général de Max Havelaar France, interrogé par ETX Studio.

Et demain ?
Les deux mois de confinement ont été un test grandeur nature pour modifier leurs pratiques de consommation et habitudes d’approvisionnement, se réapproprier leur alimentation, en choisissant qui soutenir et de quelle manière. Reste à savoir si ces changements s’ancreront dans la durée. Il pourrait alors se produire un changement majeur dans le modèle alimentaire : sur les plans écologique, de la santé, de l’humain. 

Publiée le 5 mai, l’étude menée par Max Haavealar indique une réelle envie de changement de consommation : « Les Français-e-s se montrent pleins de bonnes intentions pour l’après crise, puisque plus de 80% d’entre eux estiment qu’après le confinement, ils privilégieront une consommation responsable avec précisément une attention portée sur : des achats alimentaires qui permettent une juste rémunération des agriculteurs (82%), qui respectent les conditions de travail dignes pour les travailleurs-euses agricoles (82%), qui apportent une meilleure qualité nutritionnelle (81%), et respectueux de l’environnement (81%). » 

Alors que restera-t-il de ces changements dans cette période d’après-confinement ? Tout cela n’aura-t-il été qu’un feu de paille ou peut-on espérer un changement profond en perspective ?

Un article paru dans Le Monde le 27 mai 2020 laisse penser que la tendance se confirme : « la crise sanitaire et les deux mois de confinement semblent avoir installé chez une partie des consommateurs, mais aussi chez les producteurs, des habitudes durables. Malgré le déconfinement, l’alimentation en circuit court reste plébiscitée. »

Pour cela, l’élan collectif devra se maintenir, et le choix des consommateurs-rices sera déterminant pour la suite. Il y a dans la période actuelle un réel enjeu, une chance à saisir pour changer en profondeur le modèle. Mais le changement ne se fera pas sans une politique de soutien au niveau national. Finissons donc sur une citation du Ministre de l’Agriculture : « Cette crise nous démontre la nécessité d’accélérer la transition écologique et de relocaliser les productions pour garantir la sécurité alimentaire européenne. » Chiche ?

Consommer responsable, en pratique
En zone rurale ou urbaine, des initiatives fleurissent partout en France pour vous proposer une alimentation durable. N’hésitez pas à vous rapprocher des structures et associations de votre région pour en savoir plus : la Confédération Paysanne, les CIVAM, Terre de Liens, réseau des AMAP, la FNAB, Bienvenue à la ferme… Il existe une multitude de modèles d’approvisionnement en dehors des grandes surfaces, dont nous vous livrons ici un aperçu.
Les marchés de producteurs-rices : on en trouve partout en France, une à deux fois par semaine. L’occasion de rencontrer les producteurs-rices.
Les magasins bio : l’équivalent d’un supermarché en 100% bio, vous y trouverez de tout, de l’alimentaire à l’hygiène, en passant par les produits d’entretien.
Les AMAP : une Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne (AMAP) est un partenariat entre un groupe de consommateurs-rices et une ferme, basé sur un système de distribution de « paniers » composés des produits de la ferme de saison. L’abonnement à l’année permet d’assurer la trésorerie des paysan-ne-s.
Les supermarchés coopératifs : les client-e-s sont coopérateurs-rices du supermarché, et se répartissent les tâches de gestion et de maintenance quotidiennes du magasin (engagement sur quelques heures de bénévolat mensuelles). Un fonctionnement qui permet entre autres de réduire les coûts et de rendre les prix plus accessibles.
La vente à la ferme : de nombreux-euses agriculteurs-rices vous proposent la production de leur exploitation en vente directe à la ferme. Renseignez-vous sur les horaires !
La cueillette : c’est le plus court des circuits courts : allez directement cueillir vos fruits et légumes à la ferme.
Les drives fermiers : un système proposant la vente sur internet de produits locaux, fermiers, artisanaux et de saison. Réalisées sur internet, les commandes sont préparées à l’avance et mises à disposition des consommateurs-rices au lieu, jour et créneau horaire convenus au moment de la commande.
Les circuits-courts en ligne : de nombreuses plateformes permettent de mettre en lien producteurs-rices et consommateurs-rices. Attention toutefois : toutes n’ont pas la même éthique ! (par exemple en ce qui concerne la marge réalisée par la plateforme, le revenu qui revient réellement aux producteurs, l’impact de la livraison ou les suremballages…)

Retrouvez cet article en version papier dans la revue Biocontact, dès le mois de juillet 

Pour aller plus loin :
    • Notre livret « La bio en questions : 20 bonnes raisons de devenir bio consom’acteur »
    • CONSOMMER-CONFINÉ.ES : Comment avons-nous consommé pendant le confinement ?, le sondage de FAIR[e] un monde équitable (15 mai 2020) : 
    • Impact du confinement sur les tendances de consommation alimentaire des Français, le sondage de Max Haavear France mené par OpinionWay (5 mai 2020)  

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