Transition écologique : comment pousser au changement

Pour beaucoup, la crise écologique n’est pas le critère numéro 1 à prendre en compte dans les choix du quotidien. Pourtant, beaucoup savent qu’il est question de la vie des générations futures. A part la sensibilisation et les taxes, comment faire pour que les gens changent?

Mangez cinq fruits et légumes par jour, qui jette un œuf jette un bœuf, donnez 20 euros pour sauver Théo le bébé tigre, roulez à vélo plutôt qu’en voiture, recyclez, échangez, donnez au lieu d’acheter… Les appels à adopter des pratiques vertueuses pour la planète sont infinis. Qu’elles soient d’origine institutionnelle, médiatique, associative ou venant de collègues bien intentionnés – « on ferme la porte quand on chauffe ! », nous ouïssons ces injonctions tous les jours ou presque. Seulement, nous sommes loin d’être la majorité à, par exemple, mettre en veille notre ordi lorsque nous partons déjeuner ;  à couper le robinet pendant qu’on se lave les dents ;  ou encore à changer profondément nos habitudes alimentaires.

L’humain, un être pas si rationnel
Moins de la moitié des Français auraient déclaré privilégier des produits durables en 2012, selon le cabinet d’étude Ethicity sur les comportements de consommation. Et la maîtrise systématique de la consommation d’eau et d’énergie ne concernerait, respectivement, que 44% et 47% des Français interrogés. Pourtant, la crise écologique nous préoccupe. Selon un sondage Axa-Ipsos mené en 2012 sur 13 000 habitants de 13 pays, 88% des personnes se disent inquiètes par le réchauffement climatique. Mieux : 83% pensent qu’elles ont leur part de responsabilité dans la lutte contre le changement climatique. On saurait donc ce qu’il faut faire. Mais on ne le ferait pas, ou peu. Pourquoi ?

Parce que l’humain n’est pas un être aussi rationnel qu’on pourrait le croire : il ne suffit pas de lui dire que laisser couler l’eau du robinet pendant le brossage consomme 20 litres d’eau par jour, pour que la personne coupe du jour au lendemain son robinet pendant le brossage. « L’être humain a des instincts basiques, des défauts et des habitudes, qu’il faut prendre en compte pour l’inciter à modifier son comportement », affirme Sille Krukow, designer danoise spécialisée dans les changements de comportement, dans une conférence de TedX Copenhagen. Et c’est ici que les sciences comportementales peuvent être utiles, notamment via les nudges, ou coups de pouce, expérimentés surtout dans les pays anglo-saxons.

Focaliser l’attention
L’être humain n’étant pas doué pour focaliser son attention sur plusieurs choses à la fois, il faut lui donner un coup de pouce, explique Sille Krukow. Dans sa conférence, elle raconte comment elle a contribué à ce que les gens fassent le tri sélectif sur une plage où ils laissaient leurs déchets n’importe où. Chercher à comprendre: telle fut sa première étape. « Nous avons commencé par étudier la configuration de la plage et ce que faisaient les gens. C’est comme ça qu’on a compris que ces derniers abandonnaient leurs déchets – non pas parce qu’ils étaient mauvais, paresseux, ou s’en fichaient. Mais parce qu’au moment de quitter la plage, leur attention est focalisée sur les enfants, fatigués ; sur l’objectif de vite les ramener à la maison ; et sur les serviettes, maillots et autres jouets pleins de sable à nettoyer ; tout ça, rapidement. Or, si aucune poubelle n’est en vue à ce moment-là, ils oublient leurs déchets, tout simplement». Sille Krukow a donc réfléchi à un emplacement pour que les poubelles soient visibles de tous les plagistes, où qu’ils soient. Ensuite, elle a donné des couleurs différentes aux poubelles « parce que lorsqu’on voit des couleurs différentes, on cherche intuitivement à comprendre leur signification ». Enfin, elle a dessiné sur chaque poubelle quelle sorte de déchets celle-ci accueillait, car elle estime « qu’il faut dire aux gens ce qu’ils doivent faire, plutôt que de leur dire tout le temps ce qu’il ne faut pas faire ». Résultat : au bout d’une semaine, tous les plagistes faisaient le tri correctement. Comme quoi il suffit parfois de pas grand-chose pour inciter les gens à adopter un comportement plus vert.

S’amuser à se comparer
Autre caractéristique humaine à laquelle on peut donner un coup de pouce : l’effet miroir, c’est-à-dire le fait de vouloir faire pareil que son voisin. C’est ainsi que lorsqu’on rejoint une file de gens bien alignés, on continue la ligne. Ou que l’on chuchote si une personne se met à chuchoter. « Dans une cuisine commune par exemple, argumente Sille Krukow, si je lave ma vaisselle et essuie la table, j’inciterai les autres à faire de même ». La force de l’imitation de ses pairs a son pendant : l’esprit de compétition. « Dites aux gens qu’il faut réduire leur consommation d’électricité pour sauver le climat, et pas grand chose ne changera, affirme Olivier Oullier, chercheur en neurosciences à Aix-en-Provence, dans un débat sur la transition écologique et la démocratie organisé par le Monde le 9 décembre 2013. Mais écrivez sur leur facture la consommation en électricité de leurs voisins…Là, tout le monde souhaitera réduire sa consommation, pour faire mieux que son voisin ». Informer sur ce que consomme le quidam d’à côté, c’est ce que fait  Opower, une start-up étatsunienne qui travaille avec des fournisseurs d’électricité pour « inciter les citoyens à devenir éco-citoyens », lit-on sur leur site web. Opower a d’ailleurs lancé l’an dernier une appli, en partenariat avec Facebook : les consommateurs peuvent s’amuser à comparer leur consommation avec les autres facebookiens. En France, le compteur Linky, un système de comptage de la consommation d’électricité au sein de chaque foyer testé par ERDF, pourrait également faire office de coup de pouce. En étant informé de sa consommation d’électricité en temps réel, via un sms, le citoyen pourrait mieux se l’approprier.

En plus de l’informer, de le sensibiliser et de l’inciter financièrement via des taxes, les politiques pourraient utiliser des outils basés sur les sciences comportementales tels que les nudges. Bien qu’ils aient leurs limites – par exemple, le fait de voir ses voisins consommer plus d’énergie que nous, peut nous amener à nous relâcher -, les nudges sont un moyen d’inciter à changer, sans forcer. Une façon de nous responsabiliser.
 

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