Comment préserver les terres nourricières ?

Nos terres agricoles s’artificialisent au rythme de l’équivalent d’un département tous les sept ans. Le risque de cette tendance : aboutir à un monde sans agriculteurs et nous nourrir en tube. A moins que nous changions de paradigme.

Les terres. Un enjeu crucial de la loi d’avenir sur l’alimentation, l’agriculture et la forêt, qui sera débattue par les parlementaires dès janvier 2014. Car dans notre pays, comme partout dans le monde, les terres agricoles sont limitées. Or, l’urbanisation, la construction de lotissements, d’aéroports et autres parcs des expositions gagnent toujours plus de terrain. Environ 840 000 hectares (et 190 000 emplois agricoles) ont disparu entre 2000 et 2010, souligne Philippe Pointereau de l’association Solagro, lors d’un colloque organisé à l’Assemblée nationale le 19 décembre. Il faudra pourtant nourrir une population française qui atteindra 72 millions d’ici 2050, c’est-à-dire 9 millions de plus qu’aujourd’hui. En augmentant simplement les rendements ? Impossible, affirme Philippe Pointereau, auteur d’un scénario sur l’agriculture  nommé Afterres 2050 (voir articles de Bio Consom’acteurs Usage soutenable des terres: la transition aura lieu dans nos assiettes et Afterres 2050: le scénario qui imagine l’autre modèle agricole de demain): les rendements stagnent en Europe depuis les années 90, «et on peut supposer raisonnablement qu’ils diminueront à l’avenir». En cause : la baisse de la fertilité des sols, l’impact du changement climatique et l’arrêt du développement de l’irrigation. Mais moi, banale citoyenne,  que puis-je faire?

Vive le comté et le beaufort!
Déjà, côté assiette: si l’on veut nourrir la France avec ses terres agricoles, tout en répondant aux enjeux environnementaux (restaurer la biodiversité, la santé de nos eaux, de nos sols, combattre l’érosion et préserver les ressources de la mer, qui s’effondrent actuellement), il faudra manger moins que la moyenne actuelle. Et différemment. Pas de panique, c’est largement faisable : «nous mangeons trop en France : trop de calories, trop de protéines – en particulier trop de protéines animales», nous rassure Philippe Pointereau. Or, comme par hasard, l’essentiel des protéines animales que nous mangeons, c’est-à-dire venant d’animaux élevés en batterie, consomment beaucoup d’espace, même si on ne le voit pas: c’est en Amérique du Sud que sont cultivées l’immense majorité des plantes –du soja- qui constituent leur nourriture.  La boucle est bouclée : si nous mangeons beaucoup moins de protéines animales, nous réduirons d’autant notre consommation de terres outre-Atlantique et pourrions consacrer les bâtiments d’élevage industriel en France à autre chose (des cultures de légumineuses ou maraîchage, par exemple). Pour favoriser cela, les pouvoirs publics doivent accompagner la transition de notre patrimoine culinaire : celui-ci devra être, en 2050, deux fois moins carné, deux fois moins lacté, dix fois moins riche en poissons et crustacés, et plus riches en légumineuses…Un régime à mille lieues du plan national nutrition santé ! Attention, pas question pour autant de renoncer à notre patrimoine fromager : comté, tommes de Savoie et autres beauforts sont issus du pastoralisme. Un type d’élevage qui fournit «à peine 10% de notre consommation de produits animaux», fait remarquer Philippe Pointereau, c’est-à-dire bien peu par rapport à l’élevage industriel.

Squatter une friche et créer un jardin partagé
Côté logement, en tant qu’amatrice de jardinage avec le chant des petits oiseaux en bruit de fond, il va falloir que j’apprenne à être bien, dans un immeuble. Et renoncer au rêve de la maison individuelle, «un des moteurs principaux de l’artificialisation des terres», selon Philippe Pointereau.  Et pour que les gens aient envie de vivre en appart’, les pouvoirs publics n’ont pas le choix. Il faut qu’ils donnent un statut juridique à l’habitat participatif et coopératif (très développé dans les pays nordiques comme la Suède et le Danemark), qu’ils construisent des logements peu consommateurs d’énergie, bien isolés et bien agencés, sains. Ils devront aussi faire pousser des jardins partagés, des ceintures vertes et autres espaces verts dans les villes. «Une densification confortable est possible, mais nous devons faire un travail de pédagogie là-dessus», a reconnu la ministre de l’égalité des territoires et du logement Cécile Duflot, qui a présenté la semaine dernière son projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (Alur). Cette loi doit être présentée en deuxième lecture aux parlementaires fin janvier 2014. En attendant, rien ne m’empêche de squatter une friche avec mes voisins pour en faire un jardin partagé. Ou de monter tant bien que mal un habitat groupé avec d’autres comparses motivés.

Vide juridique
Outre le contenu de mon frigidaire et mon logement, je peux participer à la lutte contre la financiarisation des terres. Un phénomène «exponentiel aujourd’hui, très important et très rapide», alerte Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle, membre de la commission des affaires économiques. Si je donne une part de mon argent à Terre de liens, via sa foncière (pour l’épargne) ou sa fondation (pour un don), celle-ci va, via sa foncière éponyme, acheter des terres et les louer à des petits agriculteurs bio. De leur côté les pouvoirs publics doivent reprendre la main sur un foncier qui leur échappe. «Aujourd’hui  les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) ne peuvent pas intervenir dans le cadre des sociétés et des démembrements juridiques». Traduction? En gros, il existe une faille juridique, qui permet aux personnes souhaitant agrandir leur ferme – ou simplement spéculer sur le prix des terres-, de le faire quand même. C’est-à-dire sans être contrôlées ni inquiétées par la Safer. Pas de chance, plus les fermes s’agrandissent, moins les petits agriculteurs ont de chances de pouvoir s’installer. Ce vide juridique devrait être comblé par la future loi d’avenir, si l’on en croit le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll, assénant que «la nouvelle loi redonnera un cadre pour les Safer».

Préserver les terres doit donc passer par une nouvelle loi sur l’agriculture qui bouscule l’ordre établi, notamment concernant la gestion du foncier. Mais aussi, comme toujours, par nos actions citoyennes. Si l’on veut que la France soit autonome en nourriture en 2050, on devra vivre différemment, en acceptant les limites de la planète. Car «l’humanité sera sauvée, selon Pierre Rabhi, lorsque l’homme lui-même changera».
 

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