Cluny: un festival citoyen si pluvieux, si heureux

La 2ème édition du festival de la transition a eu lieu à Cluny du 24 au 26 mai 2013. Bref aperçu d’un mouvement qui a fleuri malgré une météo pourrie.

Fin mai 2013, le ciel bourguignon ne semble pas savoir qu’on est au printemps. Soleil introuvable, sensation quasi-permanente de prendre une douche tout habillée. Dans les jardins de l’école nationale supérieure des arts et métiers, qui se trouve dans l’abbaye de Cluny, on se passe les éternuements comme les poignées de main. Ici se tient la deuxième édition du Festival de la transition, auquel Bio Consom’acteurs participe. Les six membres présents de l’association, qu’ils soient administrateurs, salariées ou volontaires en service civique- ont trois jours pour informer, sur un stand, les visiteurs sur la bio. Et aussi pour se nourrir des conférences, ateliers et autres projections en lien avec la transition écologique. Trois jours à frissonner. De froid…mais pas que.

Malgré les 10 degrés ressentis, ce festival réchauffe le coeur. D’abord parce qu’il réunit tous ces gens qui, à leur petite échelle de citoyen, agissent concrètement pour rendre le monde plus soutenable, plus juste écologiquement et humainement.
Minuscules par rapport à l’abbaye face à laquelle ils se dressent, cinq barnums accueillent une vingtaine d’organisations engagées dans la transition vers un monde plus soutenable, plus équitable, moins dépendant du pétrole. Plus beau aussi, soyons fou. Bio Consom’acteurs partage un barnum avec Terre de liens, Réseau Cocagne, Incroyables comestibles, Miramap… Nous sommes tous réunis autour de la réappropriation citoyenne de la nourriture et de l’agriculture. Le barnum qui jouxte le nôtre parle d’argent et de solidarité: on y trouve la Nef et la Coopérative de finance éthique. A quelques mètres, Enercoop, Energie partagée, Rescoop et la Varne expliquent les énergies renouvelables aux quidams qui se lassent d’EDF. Plus loin volettent les Colibris, Territoires et villes en transition, le plan Esse, Attac. Il y est question de démocratie, d’éducation, d’engagement. On peut nourrir son intellect en passant par l’espace publications, où se côtoient Kaizen, l’Age de faire, la Revue durable… mais aussi des livres aux titres invitant aussi bien à vivre en yourte, qu’à créer ses cosmétiques bio ou encore monter un habitat coopératif. Bref, tout et tout le monde est alter, ici. Mais ouvert.

Comme ce couple de jeunes instits. Mangeurs de produits bio, ils nous demandent des posters de la ferme bio pour en parler en classe. Mais ils sont aussi à la pêche aux idées nouvelles, et pas qu’au sujet de nos assiettes.  C’est pourquoi ils filent au stand énergie, un plant de tomate sous le bras: ils viennent de le gagner à un jeu sur les fruits et légumes de nos régions -fraîchement conçu par Bio Consom’acteurs. Tout près, des visiteurs qui pratiquent l’épargne solidaire mais n’y connaissent rien en gratouille de la terre s’approchent du stand des Incroyables comestibles. Après le partage d’argent, le partage de légumes ! Un peu plus loin, des petites mains s’attellent, gelées, à la construction d’une mini-éolienne en papier avec Enercoop. Photo, avec une trentaine d’autres amateurs. A 3 ans, on peut déjà être dans le vent. Moi qui n’y connais rien en matière de sous, j’assiste à une conférence sur la conscience de l’argent.  Dans le chapiteau tremblotant sous la pluie, j’apprends qu’il faudrait que tout le monde donne plus que ce qu’il prend, pour que la société ne soit pas « malade », explique Philippe Leconte, membre du comité d’éthique de la Nef. Bref, tout le monde s’intéresse à tout. Que l’on soit membre d’un Sel (système d’échanges locaux), d’une amap, d’une banque solidaire, d’une Biocoop, d’un groupe Colibris, ou qu’on ait juste vu de la lumière : ça grouille de citoyens brûlant d’inventer un nouveau monde, ensemble.

On s’interroge: quelle place pour l’agriculture en ville ? Comment nourrir le monde en 2050 tout en acquérant une souveraineté alimentaire ? Quelle place pour les citoyens dans la transition énergétique, à l’heure où le pétrole n’a plus sa place ? En quoi avons-nous besoin de monnaie et quel intérêt des monnaies complémentaires ? Quel est le rôle d’une banque et comment être acteur de la circulation de l’argent ? Il y a des conférences, des ateliers, une visite d’une zone Natura 2000, du bricolage de vélos. On ne peut pas participer à tout, ce n’est pas grave. Petit à petit, les oiseaux font leur nid. Et le vendredi soir, les cerveaux refroidissent tandis que les corps s’échauffent. Sur l’estrade du chapiteau, la transition humaine a lieu en musique : timidité mise au placard, on sourit et on danse avec n’importe quel gai luron. Le rythme d’une mazurka s’enchaîne avec celui d’une tarentelle et autres cercles circassiens.  Pas un dixième des danseurs ne connait les pas, mais on s’en fout, on enlève son pull et chauffe, vielle à roue. On se donne la « permission d’être humains », comme le dira Cyril Dion, directeur des Colibris, le lendemain. Le bal folk de Gailairme nous fait nous secouer jusqu’à 2h passés.

La réconfortante sensation de faire partie d’un même mouvement continue le samedi, lors des « petites expériences irréversibles de transition ». L’écoute et la conscience, de l’autre et de soi, sont au cœur de cet atelier organisé par les Colibris, Université du Nous et Attac. Et la joie est à son comble lors du lancement du Collectif pour une transition citoyenne, le soir. Alors que la grêle s’abat sur l’abbaye, quelque 300 curieux se massent sous le chapiteau pour entendre la déclaration commune des 12 structures ayant initié ce collectif. Le but de celui-ci: « permettre à de plus en plus de citoyens de se relier à cette énergie de la transition, passer de plusieurs centaines de milliers de personnes impliquées à des millions ». En somme, les 12 structures initiatrices (Enercoop, Colibris, Biocoop, Energie Partagée, Miramap, plan Esse, Terre de liens, la Nef, Villes en transition, Réseau Cocagne, la Coopérative de finance éthique et Attac) s’allient pour inciter les citoyens à s’engager dans le mouvement de transition. Que ce soit par l’énergie, la finance, l’alimentation, la démocratie ou l’éducation. Je comprends qu’en mangeant bio et local, je file dans cette tendance. Comme mon voisin Colibri, ou encore ce bout de chou à l’éolienne, dont les parents se fournissent chez Enercoop, et aussi cette mamie chapeautée que j’aperçois à toutes les manifestations alter. Je ne suis donc pas seule. Soulagement.  La conclusion arrive avec l’allocution de deux philosophes: Patrick Viveret, économiste, et l’agriculteur-penseur Pierre Rabhi. Pour eux, le mouvement de la transition est indissociable de l’acceptation de la sobriété. En cela, ils encouragent le Collectif nouveau-né. Avec un doigt levé : Pierre Rabhi prévient que la transition doit rester humaine. « On peut très bien manger bio, avoir des panneaux photovoltaïques et exploiter son prochain : cela ne suffit pas pour être dans la transition ». Paraphrasant Stéphane Hessel avec son « créer, c’est résister », Patrick Viveret nous lance qu’« être heureux, c’est résister ». Excitant. Et c’est au tour de la fanfare des Krapos de nous faire valser dans la boue de la buvette.

Dimanche voit le soleil montrer une oreille. Avant de partir, je repense aux mots qu’avait prononcés une dame la veille, juste après le lancement du Collectif pour une transition citoyenne, et les exhortations de Patrick Viveret et Pierre Rabhi.  Cette dame m’avait paru exprimer ce que tout le monde ressentait sur le moment. « J’ai 50 ans et là, je n’ai plus peur de vieillir ». Le ciel se découvre.

 

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