Un rapport de la Cour des comptes montre que l’essentiel des subventions accordées aux filières agrocarburants depuis 2005 a reposé sur les consommateurs.
Qui utilise une voiture a dû le constater : le prix du carburant augmente. Pourquoi ? En partie parce que nous subventionnons, à notre insu le plus souvent, la filière française des agrocarburants : c’est-à-dire les producteurs de bioéthanol et de biodiésel. Au final, les consommateurs ont payé près de 3 milliards d’euros entre 2005 et 2010 pour les agrocarburants. D’après le rapport de la Cour des comptes sur la politique d’aide aux biocarburants, publié fin janvier 2012, un plein de 50 L d’un mélange essence-bioéthanol coûte 2,30 euros de plus qu’un plein d’essence seule. Quant à un plein de biodiésel-gazole, il implique un surcoût de 60 centimes. D’où vient ce surcoût ?
Rente de 2,65 milliards d’euros pour les producteurs
Nous devons consommer 34% de carburant supplémentaire pour parcourir un même distance lorsque du bioéthanol est dans notre réservoir. Et 8,5% dans le cas d’un mélange biodiésel-gazole. Nous payons donc davantage de taxes : TVA, taxe intérieure sur la consommation (TIC)… et taxe générale sur les activités polluantes (TGAP). Créée en 2005 pour inciter les distributeurs d’hydrocarbures à atteindre des taux précis d’incorporation d’agrocarburants, la TGAP s’est répercutée fissa sur les prix à la pompe. Pourquoi ? Parce que les objectifs d’incorporation d’agrocarburants fixés par la France sont «irréalistes», soutient la Cour des comptes. Allant au-delà des normes européennes, nécessitant des moteurs techniquement difficiles à mettre au point, ces objectifs sont rarement atteints par les distributeurs. Ils paient alors automatiquement la TGAP, qui rebondit sur le porte-monnaie du consommateur: entre 2005 et 2010, celui-ci a payé 2,77 milliards d’euros via la fiscalité des agrocarburants. Dont 2,65 milliards ont atterri dans la poche des producteurs de bioéthanol et de biodiésel.
Car ce sont d’abord les industriels, tels Sofiprotéol, avec son quasi-monopole sur le marché du biodiésel, qui ont bénéficié de la politique pro-agrocarburants. Quant au secteur des grandes cultures (colza, tournesol, betterave en particulier), il aurait profité de nouveaux débouchés offerts par le développement des agrocarburants. Lequel aurait par ailleurs créé, toujours d’après la Cour des comptes, 18 000 emplois depuis 2005. Il est pourtant permis de douter de l’utilité à long terme d’une telle politique pour la France. D’abord pour les travailleurs de la terre, dans la mesure où la Cour des comptes estime que «l’effet de cette politique sur le revenu des agriculteurs est difficile à mesurer». Surtout, le développement des agrocarburants à brûlé la politesse à l’agriculture biologique. Tournesol, colza, betteraves, blé, maïs destinés aux véhicules occupent aujourd’hui 6% de la surface agricole utile (SAU) de la France. Soit précisément l’objectif pour 2012 fixé par le Grenelle de l’environnement pour l’agriculture biologique, qui peine à dépasser les 4% aujourd’hui. «L’Etat a montré qu’il pouvait réorienter un pan entier de l’agriculture française en investissant des centaines de millions d’euros, payés par le contribuable et le consommateur», pointe la Fédération nationale de l’agriculture biologique (Fnab). Si les agriculteurs bio bénéficient eux aussi de subventions, ils contribuent de manière évidente à la protection de l’environnement. Ce qui n’est pas le cas des agrocarburants.
De la pulpe pour le bétail, rien pour l’environnement
A cause de leur pouvoir calorifique inférieur à celui des carburants fossiles, les agrocarburants encouragent la surconsommation. Or, «les objectifs environnementaux visent à rendre les comportements plus sobres en énergie, en particulier en matière de transport», note la Cour des comptes, «ce que les biocarburants ne permettent pas». Par ailleurs, les émissions de gaz à effet de serre dues à la production, à l’usage et aux déchets des agrocarburants sont «difficiles à mesurer». Surtout, les associations environnementalistes pointent du doigt leur impact sur le changement de l’usage des terres. Une culture d’agrocarburants peut en effet remplacer par exemple une culture alimentaire. Laquelle remplacera à son tour une parcelle de forêt. C’est notamment ce qui se passe en Indonésie et en Malaisie, où les cultures de palmiers à huile ont remplacé des millions d’hectares de forêt en quelques dizaines d’années. Palmier dont la France importe de l’huile. Devinez pour fabriquer quoi…
Enfin, les agrocarburants «n’ont pas d’intérêt avéré pour l’indépendance énergétique de la France», relève la Cour des comptes. Indépendance aux agrocarburants, indépendance rêvée qui obligerait à substituer entièrement les carburants fossiles par du bioéthanol et du biodiésel – et donc à mobiliser toute la surface agricole française.
Certes, grâce à la politique biocarburants, le bétail français peut brouter de la pulpe de betterave, des tourteaux de colza et de tournesol, au lieu d’une partie du soja importé du Brésil. Le citoyen lambda a-t-il été prévenu qu’il allait payer cela ? Que nenni. Amené, par manque de transparence de la part des dirigeants, à croire qu’agrocarburant rimait avec environnement, il s’est retrouvé devant le fait accompli, «financeur de cette politique sans qu’on le lui dise», tance la Cour des comptes. Il est temps de remettre l’intérêt général au cœur de la politique agricole. La bio en fait partie.