Entretien avec Vincent ROUSSELET, Directeur de l’Association Bio Équitable en France

Bio Equitable en France est une association dont la mission est de promouvoir des échanges commerciaux qui bénéficient à tous dans le secteur de la bio en France. Elle est majoritairement gérée par des organisations de producteurs associées à des entreprises engagées. Le cahier des charges porte sur le prix payé aux producteurs, le respect des engagements dans la durée, le paiement d’une prime de développement et la mise en place de mesures agroécologiques en faveur d’une agriculture paysanne.

•    Qui es-tu et quel est ton rôle dans l’association ?

Je suis directeur de l’association Bio Equitable en France depuis novembre 2020.

C’est pour moi une grande satisfaction de m’impliquer dans cette mission. Je suis fils d’agriculteur et témoin des ravages causés par la mondialisation dans le monde agricole depuis les années 90. J’ai d’abord travaillé dans des projets de développement en Afrique, puis à diverses fonctions chez Biocoop.

En tant que directeur de Bio Equitable en France, mon rôle est assez classique : la gestion de l’association et son développement. 

Nous sommes pour l’instant deux salariés permanents. Amandine Laurent est chargée de la labellisation. Elle pilote les audits de contrôle du label. Nous avons aussi une stagiaire qui se charge du volet communication, Louise Galipaud qui a succédé à Camille Changeon. Nos moyens sont modestes, mais nous sommes tous motivés par le même esprit qui est de faire progresser une bio paysanne en France.

•    Comment et pourquoi s’est créée l’association Bio Equitable en France ? Quel est son historique ?

L’association est née en mai 2020 pour promouvoir un commerce équitable exigeant. Pour nous, le commerce équitable, c’est améliorer le revenu des producteurs mais pas seulement. C’est aussi soutenir les organisations qui leur permettent d’assurer leur autonomie de décision. De plus, le commerce équitable est indissociable de pratiques respectueuses de l’environnement, au-delà même de l’agriculture biologique. Pour cela, le rôle des groupements de producteurs est la forme d’organisation qui, selon nous, est la plus adaptée. Cette conception est héritée de deux démarches très riches : 
–    La marque « ENSEMBLE, solidaires du producteur au consommateur » de Biocoop
–    La charte « PAYSANS d’ICI » de la SCOP* Ethiquable
Ces deux démarches complémentaires ont abouti à l’élaboration d’un cahier des charges très pertinent pour atteindre le modèle d’agriculture que nous voulons pour l’avenir.

•    Quelles valeurs véhicule l’association ?

Je ne vais pas vous étonner en vous affirmant que notre valeur principale est l’EQUITE. Nous œuvrons pour une répartition plus juste de la valeur. Nous demandons l’établissement de prix équitables basés sur les coûts de production et non sur les cours erratiques du marché. Nous œuvrons aussi pour l’amélioration du revenu des salariés. L’objectif est qu’ils soient au moins à 10% au-dessus du SMIC. Notre démarche doit être la plus cohérente possible sur l’ensemble de la chaine. La TRANSPARENCE est aussi une valeur forte chez nous. Transparence entre les différents acteurs qui composent les filières : groupements de producteurs, transformateurs, distributeurs. Et bien sûr transparence vis-à-vis des consommateurs. Par exemple, sur notre site internet, notre cahier des charges est consultable dans son intégralité.

 

•    Comment est composée l’association et comment fonctionnez-vous ?

L’association est composée de 30 groupements de producteurs et de 40 entreprises de la bio, transformateurs et distributeurs. Leurs représentants votent en Assemblée Générale et élisent le Conseil d’administration. Celui-ci est composé de 12 membres, dont 6 producteurs, 5 entreprises et un consommateur. Notre président, Cyrille Moulin, est un producteur. Les grandes décisions, notamment les évolutions de notre cahier des charges, sont prises de façon démocratique en passant d’abord par une étape de débats puis par vote en assemblée générale.

En ce qui concerne l’admission et la labellisation de nouveaux membres, nous avons un fonctionnement qui commence à être bien rôdé. L’entreprise ou le groupement de producteurs nous contacte. Il remplit une autoévaluation qu’il renvoie à l’association. Un organisme de contrôle se déplace chez lui pour vérifier la conformité réelle avec notre cahier des charges. C’est Amandine qui pilote ce travail. Elle soumet alors les résultats de l’audit au COLAB (Comité de labellisation) qui accorde ou non l’attestation Bio Equitable en France. Après son attestation, l’acteur s’engage sur un plan de progrès et est admis comme membre de l’association. 

•    Vous souhaitez créer des liens avec les consommateurs et les citoyens. Bio Consom’acteurs et Bio Equitable en France ont pu échanger pour imaginer quelles passerelles communes nous pourrions identifier. Peux-tu nous en dire plus ?

L’un de nos principaux défis est de démocratiser cette idée nouvelle qu’est le commerce équitable origine France. Autant, il commence à être bien connu pour des produits exotiques comme le café, le cacao ou la banane. Autant, il est nouveau pour les productions françaises, comme les fruits, les légumes, les céréales, la viande, même le lait. Nous voulons dire à tous ceux qui veulent changer la société et défendre un modèle agricole durable sur nos territoires : soutenons les hommes et les femmes qui travaillent autant pour sauvegarder l’environnement que pour bien nous nourrir. 
Nous sommes convaincus qu’au-delà de l’acte d’achat individuel, il y aussi la force du collectif. C’est ce que nous recherchons dans notre lien avec l’association Bio Consom’acteurs : transformer les énergies individuelles en un mouvement qui pèse dans les orientations de notre société. 

•    Bio Consom’acteurs et Bio équitable en France sont membres de Commerce équitable France, dont vous êtes désormais membre du conseil d’administration. Peux-tu nous donner des détails sur cette organisation ?

Commerce Equitable France est un collectif qui réunit les acteurs du commerce équitable en France. Y sont présents de nombreux labels comme Max Havelaar ou Symbole des Petits Producteurs (SPP). Y sont également présentes des entreprises dont Ethiquable et Biocoop et des organisations de producteurs.
Le collectif a notamment pour mission de dialoguer avec les pouvoirs publics pour leur demander d’aider au développement de la consom’action. Nous avons beaucoup œuvré en ce sens récemment lors de la préparation de la Loi Climat. Celle-ci prévoit que les entreprises se réclamant du commerce équitable devront utiliser à partir de 2023 un label comme le nôtre et non pas se contenter d’auto-déclarations. C’est une avancée notable qui protège les consommateurs. D’autres propositions comme la TVA réduite sur les produits du commerce équitable n’ont pas été retenues. Il reste encore beaucoup à faire… 

•    Le changement d’échelle de la consommation de produits biologiques est une bonne nouvelle pour la planète et pour la santé de ses habitants et habitantes. Cet engouement induit des risques notamment sur  l’augmentation de l’importation ou sur la plus forte concentration des fermes existantes au profit d’un certain productivisme éloigné des valeurs initiales de l’agriculture biologique. Bio Equitable en France défend une agriculture paysanne et de proximité. Comment relever le défi ? Comment pouvons-nous nous organiser collectivement pour défendre une bio paysanne, locale et équitable ?

C’est effectivement un enjeu majeur qui est au centre de nos préoccupations. Si les producteurs servent de variables d’ajustement dans le processus qui consiste à tirer au maximum les coûts vers le bas, on aura nécessairement une disparition des exploitations paysannes, une industrialisation de la bio et le recours massif aux importations. Notre label veut justement dire aux consommateurs : avec ce produit, on ne rentre pas dans cette logique. Avec ce produit, le paysan gagne sa vie, peut maintenir son exploitation, mettre en place des mesures bonnes pour l’environnement mais pas forcément rentables. Dans notre référentiel, il y a une taille maximum d’exploitation compatible avec ce qu’on entend par exploitation familiale. Et surtout, les groupements agricoles s’engagent à mettre en place des actions en faveur de la biodiversité comme planter des haies, installer des ruches, maintenir des zones humides, développer des variétés anciennes, assurer le bien-être des animaux. Pour cela il faut des moyens que l’action des consommateurs citoyens permet de mettre à leur disposition.

*SCOP = Société COOpérative et Participatives (sociétés gérées par leurs salariés)

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