Éric Michel – INRAE Avignon

ÉTUDIER LE DEVENIR DES PFAS DANS NOS SOLS

Un chercheur au service de l’intérêt général

Lorsqu’on évoque les menaces qui pèsent sur notre alimentation, on pense immédiatement aux pesticides, aux engrais chimiques ou encore au changement climatique. Mais d’autres substances, plus invisibles et persistantes, inquiètent de plus en plus les scientifiques et les institutions publiques : les PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées). Ces molécules artificielles, surnommées polluants éternels en raison de leur extrême stabilité chimique, sont aujourd’hui partout : dans l’air, l’eau, les sols, les emballages, les ustensiles de cuisine et jusque dans certains aliments.

À l’INRAE d’Avignon, le physicien Éric Michel consacre ses recherches à comprendre le devenir de ces polluants dans les agrosystèmes. Son expertise a récemment trouvé un nouvel espace d’expression au sein du Conseil Scientifique et Citoyen de l’Agriculture et de l’Alimentation Durable de la Ville de Paris, auquel participe également Bio Consom’acteurs. Dans notre groupe de travail consacré au lien entre alimentation et santé, Éric Michel a su nous éclairer sur les mécanismes de contamination, en montrant combien les PFAS constituent une menace silencieuse pour la qualité de notre alimentation.

Ces échanges passionnants nous ont donné envie d’aller plus loin. Nous l’avons donc retrouvé le 3 juillet dernier pour un entretien approfondi, afin de mieux comprendre ses recherches et leur portée. C’est ce qui nous conduit aujourd’hui à en faire notre figure d’inspiration de septembre : car les scientifiques sont des alliés précieux de nos combats militants, en apportant nuance, profondeur et faits avérés là où le débat public en a cruellement besoin.

D’un post-doctorat sur le yaourt à l’étude des polluants

Rien ne destinait Éric Michel à devenir spécialiste des PFAS. Physicien de formation, il s’intéresse d’abord pendant sa thèse aux systèmes colloïdaux (ces particules de taille microscopique, présentes par exemple dans le lait). Son post-doctorat aux États-Unis porte ensuite sur la texture des yaourts et les propriétés qui déterminent leur tenue sans recourir à trop d’additifs.

De retour en France, il choisit de réorienter sa carrière en intégrant INRAE (Institut Nationale de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement) sur un poste dédié au transfert des polluants dans les sols. Un véritable virage scientifique, mais qui va ouvrir un champ de recherche décisif : comment expliquer que certains polluants, censés rester fixés au sol, se retrouvent dans les nappes phréatiques ou dans les plantes cultivées ?

Cette question devient alors le fil conducteur de son parcours : décrypter pas à pas le devenir des contaminants dans les sols. Cela implique d’analyser leur fixation sur les constituants minéraux et organiques, leur éventuelle migration vers les eaux souterraines, mais aussi leur capacité à être internalisé par les plantes ou les organismes du sol, comme les vers de terre.

Comprendre la mobilité des PFAS

Dans la grande famille des polluants, les PFAS occupent une place particulière. Massivement produits depuis les années 1950, ils sont utilisés dans l’industrie textile, pharmaceutique, agrochimique et domestique. Leur particularité est double :

  • ces substances sont extrêmement stables (ou peuvent se transformer en substances qui le sont), donc quasiment indestructibles dans l’environnement.
  • et certains sont hautement mobiles, capables de voyager dans l’eau et les sols sur de longues distances.

Cycle des PFAS – Valgo (Source)

Les recherches d’Éric Michel montrent que les colloïdes du sol jouent un rôle clé dans cette mobilité. Ces particules (organiques ou minérales), bien que naturellement présentes et souvent inoffensives, peuvent se comporter comme de véritables vecteurs : elles fixent des molécules de PFAS et facilitent leur transport.

Ainsi, les PFAS à chaîne courte (comme l’acide trifluoroacétique, ou TFA) se déplacent facilement dans l’eau, tandis que les PFAS à chaîne longue semblent rester bloqués dans le sol. Mais ces PFAS, qu’on aurait pu croire immobiles, circulent en réalité grâce à l’action de ces colloïdes. Cette découverte est essentielle : elle éclaire les conditions dans lesquelles les PFAS peuvent quitter les sols agricoles et rejoindre les nappes souterraines et peut-être les plantes cultivées.

Trois grandes sources de contamination des sols

Les travaux actuels identifient trois principales voies d’entrée des PFAS dans les champs agricoles :

  1. Les pesticides :
    de nombreux herbicides ou fongicides intègrent volontairement des groupements perfluorés dans leur molécule pour en accroître l’efficacité. À terme, ces produits se dégradent et libèrent du TFA, un polluant persistant que l’on retrouve désormais dans les eaux européennes, y compris dans l’eau potable.
  2. Les déchets organiques recyclés en agriculture :
    pratique vertueuse en principe, le retour au sol des déchets organiques peut aussi être une source de contamination. Des études montrent que certaines boues de station d’épuration ou composts municipaux contiennent des quantités non négligeables de PFAS.
  3. Les apports atmosphériques : intégrés au cycle de l’eau, les PFAS se retrouvent également dans la pluie et dans les dépôts secs.

Ces trois sources interrogent directement la durabilité de nos pratiques agricoles : comment concilier la valorisation des déchets, indispensable à la fertilité des sols, avec le risque de dissémination de polluants persistants ?

Un projet de recherche pour éclairer la réglementation

Pour répondre à ces enjeux, Éric Michel et ses collègues de l’INRAE et du CIRAD ont déposé le projet « FluorAgro » auprès de l’Agence Nationale de la Recherche. Leur objectif est ambitieux : quantifier la présence des PFAS dans les sols, mesurer leur absorption par les plantes et évaluer leur transfert vers les animaux et l’alimentation humaine.

L’équipe souhaite notamment adapter au cas des PFAS une méthode déjà éprouvée pour les métaux lourds, le RHIZOtest, permettant d’observer l’absorption de contaminants par les racines dans des conditions contrôlées. Ces données scientifiques sont indispensables pour appuyer une évolution de la législation. Car aujourd’hui, certains PFAS comme le TFA ne sont pas réglementés, alors même qu’ils sont détectés dans de nombreuses eaux de consommation.

Le rôle possible des pratiques agroécologiques

Peut-on compter sur l’agriculture biologique ou agroécologique pour limiter la contamination ? La réponse, selon Éric Michel, reste nuancée. La présence de matière organique dans les sols semble retenir une partie des PFAS et limiter leur transfert vers les plantes. Mais une fois que ces substances sont présentes dans l’environnement, il est difficile de les éliminer.

La véritable priorité est donc de réduire les flux entrants, en particulier en limitant l’usage de pesticides contenant des groupements fluorés et en surveillant de près la qualité des déchets organiques épandus dans les champs.

C’est précisément ce que documente l’observatoire SOERE PRO (Systèmes d’Observation et d’Expérimentation au long terme pour la Recherche en Environnement sur les Produits Résiduaires Organiques). Ce réseau de cinq sites expérimentaux (Île-de-France, Grand Est, Bretagne, Réunion et Sénégal) suit depuis plus de vingt ans les impacts des apports de déchets organiques sur la qualité des sols.

Dans le cadre de cet observatoire, la chercheuse Aurélia Michaud (INRAE) a analysé la présence de PFAS dans différents amendements organiques : fumiers, composts de déchets verts, boues de station d’épuration, etc. Son travail est notamment présenté dans un article dans Environnemental Science and Technology publié en 2021 sur Research Gate. Les résultats sont édifiants :

  • les amendements d’origine agricole (fumier de bovins, effluents de prairie) présentent très peu de PFAS,
  • les déchets verts compostés en contiennent davantage,
  • les boues issues de stations d’épuration en sont les plus chargées, avec des concentrations particulièrement élevées.

En reconstituant une chronoséquence d’échantillons (sols, eaux de percolation, graines de maïs cultivées sur ces parcelles), les chercheurs ont observé une tendance claire : au fil du temps, la concentration en PFAS augmente, avec une diversité croissante de molécules détectées.

Ces résultats posent une question centrale : que faire de ces déchets organiques contaminés ? Leur recyclage agricole est vertueux dans une logique d’économie circulaire, car il enrichit les sols et évite l’incinération. Mais il ne peut être durable que si l’on maîtrise le seuil au-delà duquel les apports deviennent problématiques pour la chaîne alimentaire.

L’enjeu est donc double :

  • réduire en amont la présence de PFAS dans les flux de déchets,
  • et déterminer des pratiques agricoles qui minimisent leur transfert vers les plantes et, in fine, vers l’alimentation humaine.

Cette remise en question de pratiques a priori vertueuses, comme le compost ou l’épandage des boues, illustre la complexité du problème. Elle appelle à des arbitrages éclairés entre gestion des déchets, fertilisation des sols et protection de la santé publique.

Pourquoi son travail nous inspire ?

À travers son parcours et ses recherches, Éric Michel démontre que la science peut jouer un rôle décisif pour l’intérêt général : produire des connaissances rigoureuses, identifier les risques invisibles et fournir des bases solides à la décision publique.

Dans nos combats pour une alimentation saine, locale et équitable, les chercheurs comme lui sont des partenaires essentiels. Ils donnent les clés pour comprendre des phénomènes complexes et plaider pour des politiques plus protectrices.

Les PFAS sont peut-être des polluants éternels, mais la prise de conscience collective qu’ils suscitent, grâce au travail de scientifiques engagés, peut ouvrir la voie à des décisions durables et porteuses d’espoir !

Quelques ressources supplémentaires pour aller plus loin :

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