Portrait : Gilles Daveau

> Qu’est-ce que la consommation responsable selon vous ?
     « Consommation » est un mot avec lequel j’ai des difficultés, même si on l’assortit de la notion d’être «  acteur  ». Il sous-entend des segments, des frontières entre ceux qui produisent, ceux qui distribuent, ceux qui utilisent, absorbent, boivent, mangent des biens matériels ou immatériels (culturels). On est ainsi défini par ce qu’on fait -plutôt que ce que l’on est- dans une chaîne très matérialiste et à finalité marchande entre fournisseurs et clients, où chacun se débat dans ses propres logiques. Les producteurs produisent, les distributeurs distribuent, les mangeurs mangent et chacun essaie, d’optimiser sa santé économique, physique et morale.
     Vouloir mettre de la responsabilité dans un contexte aussi cloisonné, revient à faire de l’injonction morale, peu efficace en général : seuls les plus convaincus vont essayer dans leur sphère d’être vertueux, certains que le monde changerait si les autres en faisaient autant.
     Nous l’oublions, mais nous sommes tous des mangeurs solidaires, de la même équipe, et sur le même vaisseau spatial. Les ressources sont communes et chacun est co-responsable de la réussite de la mission.
     Producteurs et distributeurs sont aussi des mangeurs, et les autres mangeurs ne peuvent être responsables s’ils n’ont pas vu, entendu, visité ou aidé l’agriculteur ou l’éleveur qui témoignent de ce que c’est que de travailler avec le vivant.
     Dans la confrontation commune aux défis climatiques, sanitaires, démographiques, une alimentation durable, de fait responsable, repose sur cette éducation permanente qui met tout le monde autour de la casserole et de la table  : alors les comportements de tous changent réellement.

> Comment devient-on un consom’acteur ? Racontez-nous votre histoire, votre engagement personnel ?
     Vouloir être acteur pour un monde résilient, ça a commencé dans mon enfance dans les années 60. Bouleversé par les images de guerre au Vietnam et de malnutrition en Afrique, je sentais que, d’une manière ou d’une autre, j’y consacrerai ma vie d’adulte.
     Après des études de sociologie, j’ai effectué  de 1984 à 1986 un service civil dans une association «  les amis de la Terre  » et participé à la création d’un magasin coopératif bio (devenu le Biocoop de Châteaubriant). Nous savions que c’était une voie utile pour favoriser un changement dans les pratiques agricoles devenues intensives, dont on mesurait déjà les dégâts sur l’eau, les sols et les agriculteurs eux-mêmes.
     Avec un regard sociologique, je voyais que les produits de base des magasins bio, notamment végétaux, ne collaient pas avec les habitudes alimentaires du plus grand nombre, qu’ils s’agissent des graines (céréales, légumineuses), des oléagineux, des légumes d’hiver, etc.
     Je me suis emparé de mes quelques connaissances en cuisine végétarienne pour commencer des ateliers de cuisine, puis en ouvrant, dans le même objectif pédagogique, un resto bio-végétarien de 20 puis 50 places, qui ont tout de suite bien fonctionné dès la fin des années 80. En parallèle et au-delà de mes 22 années comme restaurateur et traiteur, je n’ai cessé d’animer des cours de cuisine jusqu’à aujourd’hui.
     Une grande part de mon activité pédagogique est désormais consacrée à la formation des cuisinier.ères de restauration collective, dans le cadre de programmes initiés avec les réseaux Un Plus Bio, la FNAB, la ligue de l’enseignement, ou aujourd’hui avec Eco2 initiative et Bio consom’acteurs. Dans les cantines, on parle vraiment du bio pour tous et au quotidien, avec un vrai rôle éducatif auprès des enfants, mais aussi auprès des cadres, des élus et toute la transversalité des acteurs alimentaires d’un territoire. A travers des livres, des conférences, et avec un réseau de collègues formateurs, mon travail est notamment axé sur le partage d’une culture des cuisines « nourricières »  : simples, bonnes, économiques, accessibles.
 

> Selon vous, quels sont les enjeux d’une transition écologique aujourd’hui ?
    Eduquer, éduquer, éduquer.
     Les transitions inévitables se traduiront par des changements importants pour tous dans la vie quotidienne ; elles exigent des apprentissages. Qu’il s’agisse d’énergie, de déplacement, d’économie domestique, de nourritures nous devons (re)conquérir une autonomie qui découle d’expériences et de compréhensions que chacun est en mesure d’adapter à son contexte.
    En matière d’alimentation, ce n’est pas le prix des produits bio qu’il faut baisser. Nous avons démontré que des cantines, dont les budgets sont très serrés, peuvent passer à d’importants pourcentages de produits de qualité, locaux, bio et à faible impact environnemental en jouant sur tous les leviers de la qualité alimentaire : cuisine maison et de saison, meilleurs modes de cuisson diminution forte des gaspillages ou des achats inutiles, diversification des sources de protéines dans les menus. Mais tout cela ne marche que si l’on accompagne tous les maillons, élus, producteurs, cuisiniers, enseignants, agents de service, convives à évoluer dans leurs habitudes et croyances alimentaires.
     Nous mangeons avec notre culture et pas avec notre raison. Partout il nous faut aller vers Moins mais Mieux, et pour en avoir envie, il faut passer de l’injonction alarmiste à l’éducation. Qu’il s’agisse de diminuer la viande, les produits industriels ou les aliments qui nuisent à la santé et à l’environnement, cela fonctionne lorsqu’on propose des expériences éducatives pour donner plus de sens, de richesse, de saveurs, de découvertes étonnantes.
     Ainsi des cuisiniers diminuent leurs achats de viande jusqu’à 20% lorsqu’on leur apprend à mieux la cuire, sans perte, et avec beaucoup plus de qualités organoleptiques. Après cette étape qui redonne de la valeur et de l’intelligence à leur métier, ils s’ouvrent et peuvent aller plus loin dans le rééquilibrage végétal/animal : découvrant avec étonnement tout ce que permettent les légumineuses, céréales pour simplifier leur travail, enrichir les menus des convives, tout en progressant dans la qualité de leur approvisionnement.

> Quels conseils donneriez-vous à un.e novice qui veut se lancer dans la consommation responsable et/ou végétaliser son assiette?
     Cuisiner avec d’autres, enrichir ses savoir-faire, pour la petite cuisine de tous les jours plutôt que pour la cuisine de prestige. Mais aussi chercher des occasions de participer à un potager associatif pour mieux retrouver et apprécier la valeur des aliments.

> Parle-nous de ton actualité et de tes publications.

     Nous initions actuellement, avec d’autres cuisiniers, formateurs, éducateurs, un mouvement des «  cuisines nourricières  ». Il a vocation à faciliter les transitions alimentaires, et les interactions entre les différentes dimensions de l’alimentation durable en rendant accessibles des méthodes, des savoir-faire, des connaissances dédiées à l’alimentation et la cuisine du quotidien.
    Avec mon collègue cuisinier formateur Bruno Couderc, nous venons de publier « Cuisiner simple et bon », (collection « Je passe à l’acte » – Actes sud) : un guide pratique dédié à tous ceux qui ont du mal à se mettre à cuisiner, faute de transmission, de connaissances, de confiance en soi.
     Il aborde de façon directe et très pratique certaines techniques que j’ai déjà développées plus amplement, pour le côté végétal, dans « le Manuel de cuisine alternative » (Actes Sud 2014) : une véritable méthode pour évoluer dans son alimentation où j’ai déposé le fruit de 25 années de cours de cuisine.
     Nous avons aussi, avec Bruno, contribué à la partie cuisine d’un ouvrage collectif très novateur sur les légumineuses : « Savez-vous goûter… les légumes secs ? » (Presses de l’EHESP 2014), montrant l’incroyable plasticité des pois, haricots, lentilles en cuisine.
     Deux très courtes vidéos récentes permettent de découvrir mon approche de la végétalisation, ou également le travail avec les cuisines de collectivité.

> Qu’est-ce que tu apprécies particulièrement lorsque tu animes des formations ?

     Les ateliers de cuisine sont des temps de grande convivialité où la glace est très vite brisée. J’en ai fait des milliers… mais ce que j’apprécie toujours c’est de voir les participants, souvent déstabilisés, s’ouvrir, découvrir une infinité de possibles là où ils ne voyaient au départ que de la contrainte, de la complexité ou de la privation. Les formations et conférences génèrent partout beaucoup d’enthousiasme et c’est très nourrissant !

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