Les coûts des pesticides sont deux fois plus élevés que les bénéfices
Les impacts systémiques des pesticides sur l’environnement et la santé humaine sont connus. On sait désormais qu’ils coûtent deux fois plus qu’ils ne bénéficient au secteur. C’est ce que révèle un rapport publié par quatre ONG et associations en novembre 2021.
Fin novembre, les ONG Pollinis, CCFD-Terre Solidaire et le bureau d’experts en analyse des coûts sociétaux de la consommation (Le Basic) ont publié un rapport sur les coûts sociétaux des pesticides. Les pesticides rassemblent des produits pour lutter contre divers organismes nuisibles : herbicides, insecticides, parasiticides, fongicides (champignons parasites des végétaux) et biocides (organismes nuisibles). Ils sont utilisés dans l’agriculture, l’horticulture (jardins), la sylviculture (forêts), l’hygiène (cafards, puces) ou encore le BTP (aéroport, chemins de fer, routes). Ce rapport intitulé « Pesticides : un modèle qui nous est cher » dévoile le ratio coûts/bénéfices des pesticides et le constat est alarmant : « Le secteur des pesticides coûte deux fois plus cher aux citoyens qu’il ne rapporte aux firmes qui les fabriquent et les commercialisent. » (p.16).
« En quelques décennies, et au nom de l’intérêt général, le monde agricole a été intégré dans un système agroindustriel et, plus largement, dans un système économique régi par les impératifs de concurrence, de maximisation des profits, d’accumulation du capital et de réduction des coûts du travail » (p.8). En effet, le marché international des pesticides est en pleine croissance avec des ventes multipliées par deux ces 20 dernières années, atteignant près de 53 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2020. Quatre entreprises leader du secteur des semences agricoles détiennent environ 60% de parts de marché, suite à une succession de fusions-acquisitions : Bayer, Basf, Syngenta/Chemchina et Corteva. On compte aussi l’émergence de nouveaux acteurs, présents essentiellement en Chine et en Inde, qui sont les principaux fournisseurs des acteurs cités plus haut et les plus gros fabricants de pesticides génériques. Les pesticides génériques sont 4 fois moins cher que les produits brevetés, d’où leur succès croissant.
Si les pesticides ont d’abord permis de contenir, réduire les risques de pertes agricoles (en raison d’une pression accrue des maladies et ravageurs liée à la spécialisation agricole) et de baisser les prix pour les consommateurs, l’utilité des pesticides est actuellement remise en question. Depuis plusieurs années, il y a une baisse des rendements agricoles dans les zones de culture spécialisées (24 à 39% pour le maïs, riz, blé et soja au niveau mondial), des résistances croissantes aux pesticides, ainsi que des impacts négatifs majeurs de plus en plus avérés sur l’environnement et la santé, liés à la fabrication et l’utilisation de pesticides, comme l’indique le schéma ci-dessous réalisé par Le Basic, qui a co-réalisé cette étude.
En effet, les impacts sur l’environnement concernent la pollution (air, sol, eau), la biodiversité (insectes, oiseaux, faune, flore), le réchauffement climatique (consommation de pétrole, émissions de CO2) et des services écosystèmes de manière plus générale (pollinisation, régulation de la qualité des sols et du climat, etc). L’impact environnemental est d’autant plus grave que « leur présence s’avère le plus souvent persistante puisque de nombreux pesticides interdits depuis plusieurs décennies en raison de leur toxicité continuent d’être détectés dans les cours d’eau, les nappes phréatiques, les sols et plus largement les écosystèmes » (p.11).
Les impacts sanitaires concernent à la fois les travailleurs, les riverains et les consommateurs. Des études scientifiques pointent le fait qu’une faible exposition de pesticides sur un période de longue durée augmente notamment le risque de développer des cancers, des problèmes neurologiques, d’infertilité ou immunitaires. De plus, l’objectif initial des pesticides qui était de nourrir le monde à travers une productivité constante, n’a pas su résoudre les problèmes d’insécurité alimentaire.
« La controverse autour des pesticides se nourrit depuis des années de l’opposition entre les impacts négatifs liés à leur production et à leur utilisation et le poids économique du secteur, régulièrement mis en avant par les principaux fabricants et utilisateurs » (p.14). Ce rapport est une analyse coûts-bénéfices du secteur à l’échelle européenne, incluant les coûts réels. Il intervient après la parution d’un article sur les coûts cachés des pesticides, publié par les chercheurs Denis Bourguet et Thomas Guillemaud en août 2020. Il mettait en avant les externalités non payées par les utilisateurs des pesticides et les coûts cachés indirectement payés par les utilisateurs sans qu’ils s’en rendent forcément compte. L’article élabore une typologie des coûts cachés : coûts de régulation, coûts pour la santé humaine, coûts liés aux effets sur l’environnement, coûts incluant les dépenses de protection liées à l’exposition aux pesticides.
Du côté des bénéfices, ce rapport prend en compte les profits comptables des fabricants et des autres acteurs du système générés par les pesticides. Du côté des coûts, il y a les dépenses publiques liées à l’utilisation des pesticides (fonctionnement de la réglementation, dépollution de l’eau, prise en charge des maladies liées au travail) qui ne prennent habituellement pas en compte d’autres aspects tels que la protection et l’érosion de la biodiversité, ou encore le traitement des maladies. Le schéma récapitulatif ci-dessous indique les coûts sociétaux non estimables induits par les pesticides au sein de l’Union européenne.
Avant impôts, amortissement et remboursement de la dette, ces bénéfices reviennent à 940 millions d’euros en 2017, soit environ 0,9 milliards d’euros. Les coûts induits sont de 0,4 milliard pour les aides publiques allouées au secteur et de 1,9 milliards pour les impacts négatifs, soit 2,3 milliards d’euros annuels en 2017. De fait, cette analyse coûts-bénéfice est en défaveur des citoyens.
« Ainsi, à l’échelle de la France, les coûts directement attribuables aux pesticides sont près de deux fois plus élevés que les bénéfices du secteur, et dans le cas de l’Union européenne, ils sont 2,5 fois plus importants » (p.16), tout comme le montre le schéma ci-dessous.
Face aux leaders mondiaux du marché des pesticides, la France n’est pas exempte de responsabilité en étant le premier marché pour les pesticides à usage agricole avec un quart des ventes totales (3 milliards d’euros en 2017), équivalent presque aux subventions publiques touchées par les agriculteurs pour protéger l’environnement (environ 2,7 milliards d’euros).
Du côté de la législation française, la Loi Egalim sur l’agriculture et l’alimentation promulguée en 2018, n’a pas tenu ses promesses. Si l’objectif était un équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable, le constat est un échec, comme le souligne une trentaine d’organisations (dont Greenpeace, Confédération paysanne, UFC Que Choisir, etc) dans un article du Figaro de 2020. En effet, le constat est alarmant : revenu paysan non valorisé, hausse du taux d’endettement, tensions commerciales, insécurité alimentaire, effondrement de la biodiversité, retour des insecticides néonicotinoïdes (dont les impacts sanitaires sont divers : toxicité neurologique, perturbation endocrinienne, génotoxicité et cancérogénicité).
Aussi, la nouvelle Politique agricole commune (PAC) adoptée en novembre ne permet pas de respecter le Green New Deal Europe (le « Pacte vert » de mille milliards d’euros sur toute la décennie 2020 dont l’objectif est de supprimer les émissions de gaz à effet de serre en Europe d’ici 2050) et la stratégie « Farm to fork » (visant à réduire de 50% l’usage des pesticides en 2030).
Le rapport met en avant 5 recommandations :
Aligner les objectifs de la stratégie « Farm to fork (F2F) » avec la nouvelle Directive Pesticides et la réforme de la PAC : cette stratégie devait être alignée avec la nouvelle Directive Pesticides (« Révision Sud ») et la réforme de la PAC
Stopper immédiatement les pesticides interdits : l’UE concrétiserait l’interdiction des exports de pesticides par une loi (incluant les exceptions dans les accords de libre-échange) et développerait un outil de régulation à l’échelle internationale
Renforcer la directive « Devoir de vigilance » : La Directive prendrait en compte les coûts socio-économiques dans leurs impacts négatifs (en plus des aspects sanitaires, sociaux et environnementaux) pour notamment mieux répartir la valeur tout au long de la chaîne
Adopter une fiscalité en lien avec les enjeux de sortie des pesticides : l’UE devrait arrêter de soutenir la production et l’achat de pesticides en mettant fin aux subventions et exonérations fiscales
Réorienter les fonds publics vers un soutien massif à l’agroécologie : L’aide budgétaire européenne pour l’agriculture devrait être tournée vers la transition agroécologique, par exemple avec un soutien de la recherche publique sur les coûts socio-économiques associés, ainsi que sur la durabilité des modèles agroécologiques.
Article écrit par Aymee Nakasato, bénévole de l’association