Vallée du Tescou : besoin d’eau, pas de barrage

Le projet de barrage de Sivens, dans le Tarn, est surdimensionné d’au moins 35% et n’est pas assuré de recevoir des finances de l’Europe, d’après un rapport de deux experts indépendants. Contesté depuis 2011 par des citoyens locaux soucieux de préserver une zone humide, le projet ne bénéficierait qu’à seulement 30 à 40 agriculteurs. Il a été suspendu depuis mercredi par le président du conseil général du Tarn.

Démesuré. C’est le mot qui vient à l’esprit lorsqu’on lit le rapport d’experts paru lundi dernier sur le projet de barrage de Sivens, dans le Tarn. La retenue d’eau serait surdimensionnée « d’au moins 35 % », d’après Nicolas Forray et Pierre Rathouis, ingénieurs des ponts, eaux et forêts et auteurs du rapport mandé fin septembre par la ministre de l’écologie. Sur le papier, ce barrage doit servir principalement à irriguer les agriculteurs de la vallée du Tescou. Si les besoins en eau sont « réels », selon les deux ingénieurs, ils sont « évalués de manière contestable ». Car le projet a été dimensionné à partir de besoins forfaitaires, d’après une vieille méthode datant de 1997. Et non sur les besoins réels des agriculteurs.  Résultat : les volumes d’eau estimés nécessaires pour l’irrigation sont plus d’un tiers trop élevés.

Aucune alternative n’a été étudiée
Une trentaine d’agriculteurs seulement bénéficieraient de l’irrigation via le barrage construit sur la rivière Tescou (commune de l’Isle-sur-Tarn). C’est un peu plus que la vingtaine évoquée par le collectif du Testet, qui clame l’absurdité de ce projet depuis 2011. Mais c’est beaucoup moins que les 80 exploitants bénéficiaires estimés par le Conseil général du Tarn, maître d’ouvrage du projet.

Et leurs besoins en eau, sont-ils réels ? D’après le rapport des ingénieurs, oui. « La pénurie d’eau est une réalité incontestable, vécue comme une contrainte à prendre en compte et vis-à-vis de laquelle des solutions sont recherchées afin de pouvoir maintenir une activité satisfaisante sur le territoire ». Quelles sont les cultures concernées ? On ne sait pas précisément. Pour Audrey Massié, directrice  de la fédération régionale des agriculteurs biologiques de Midi-Pyrénées, ce sont surtout des cultivateurs de maïs. Destiné principalement à l’alimentation animale, le maïs concentre à lui seul 48% de l’irrigation dans le Tarn, d’après la chambre d’agriculture.

D’autres avis existent. Pour Jean-Luc Vézinet, viticulteur tarnais retraité et membre de l’association Nature & Progrès, ce serait surtout les maraîchers et éleveurs qui auraient besoin d’irrigation dans la vallée du Tescou., puisqu’ « il n’y a pas tant de maïs que ça ici. Ce n’est pas une culture traditionnelle de ce côté du Sud-Ouest. Le maïs, il pousse plutôt en Dordogne, dans le Béarn, l’Aveyron, là où c’est plus inondé ». La question n’est pas, ni pour Nature & Progrès ni pour la Frab Midi-Pyérénées, tous deux contre ce projet de barrage, de nier les besoins en eau de certains exploitants. Mais de trouver des moyens pour  répondre à ces besoins. « Il faut trouver des solutions pour ces gens, on ne peut être en soi contre l’irrigation. Mais il faut trouver des alternatives au barrage », affirme Jean-Luc.

Des alternatives, il y en a. Mais elles n’ont pas été étudiées par le Conseil général, ni par son maître d’œuvre la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne. Messieurs Forray et Rathouis évoquent plusieurs de ces alternatives dans leur expertise. Par exemple,  la création de « 3 ou 4 réserves d’eau par endiguement, alimentées par pompage dans le Tescou ». Un aménagement qui aurait été « moins cher, aurait eu peu d’impacts qualitatifs et modifié beaucoup moins le régime hydrologique du cours d’eau », lit-on. Le document fait aussi état des quelque 185 retenues collinaires – des lacs artificiels qui recueillent les eaux de ruissellement -, construites dans la vallée par les agriculteurs et qui sont « largement sous-utilisées » aujourd’hui. Le collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet conseille, lui, de privilégier les cultures économes en eau (blé, sorgho, tournesol…), d’adopter des pratiques agronomiques permettant la rétention d’eau (couverture végétale, agroforesterie, semis direct…).

Une étude d’impact très moyenne, un financement fragile
Le collectif Testet dénonce quant à lui le gaspillage d’argent public. Le coût de fonctionnement total du barrage, de l’ordre de 600 000 euros par an pendant 20 ans, seraient réglés principalement par les contribuables. Ces derniers devraient mettre de leur poche 2250 euros par hectare chaque année, « soit plus que ce que la culture rapporterait à l’irrigant sur ce même hectare ».

Les experts aussi jugent le financement « fragile ». En théorie, les 8,4 millions d’euros de coût global doivent être mis sur le tapis pour moitié par l’Agence de l’eau Adour-Garonne, pour un tiers par l’Europe et le reste par les départements du Tarn et du Tarn-et-Garonne. Sauf que le rapport indique que la nature même du  projet serait incompatible avec les conditions d’attribution du fonds européen agricole pour le développement rural (Feader). Si l’Europe ne paie pas, qui paiera la part de celle-ci ? Le contribuable, encore une fois ? Dommage que le maître d’ouvrage ne se soit pas posé la question plus tôt : 35 hectares ont déjà été défrichés durant le mois de septembre, dont 13 hectares de zone humide. Celle-ci était riche de 94 espèces animales protégées.

Grenouille agile, triton palmé, couleuvre verte et jaune, campagnol amphibie, genette commune… La biodiversité de cette zone humide – désormais détruite -, le projet prévoit de la compenser en recréant une dizaine de sites, dont l’ensemble ferait 19,5 ha. Problème : cette compensation se fera contre les avis, rendus respectivement en 2012 et 2013, du conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN) et du conseil national de protection de la nature (CNPN). « Passer d’une grande surface d’un seul tenant à une dizaine de parcelles nous paraît affaiblir la valeur de la compensation, trop exclusivement centrée sur la surface », notent Nicolas Forray et Pierre Rathouis. Qui jugent de toute façon l’étude d’impact du projet « très moyenne », abordant « trop superficiellement le régime du cours d’eau à l’aval ni les effets sur la faune aquatique et piscicole ».

Trois recours en justice sont en cours. Aucun vrai débat public sur le sujet n’a eu lieu jusqu’à présent, selon le collectif Testet. La zone humide est détruite, mais le conseil général peut encore faire marche arrière, même si ça lui coûtera cher. Et miser sur un changement de modèle agricole. A moyen terme, on pourrait penser que les grandes cultures sèchent l’emporteront dans la vallée du Tescou, avec le changement climatique. Audrey Massié, de la Frab Midi-Pyrénées, le reconnaît : « on a conscience que ça va demander des efforts, de l’accompagnement technique, des investissements, mais il faut penser plus large». Et long terme.
 

Crédit photo: Guy Masavi

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