Interpellés par Julien Kien, président de Bio Consom’acteurs et habitant de Lorient ainsi que par l’article de Reporterre sur les importations futures de poissons volants issus de la pêche intensive en provenance d’Oman et à destination de Lorient, nous avons décidé d’ouvrir une série d’articles sur la pêche
En bref Santé humaine Environnement, conditions de travail et climat Focus sur le projet d’export du port de Lorient : un scandale à tous les niveaux ! À quoi se fier en tant que consom’acteur.rices ? |
Consommer du poisson, c’est bon pour la santé, mais à quel prix ?
Les bienfaits nutritionnels du poisson et des produits de la pêche sont indéniables, selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses). Cependant, la modération s’impose, avec une recommandation de limiter sa consommation à deux fois par semaine. Il est également conseillé de diversifier entre poissons gras et maigres. Les poissons, bien que riches en nutriments, peuvent devenir un risque pour la santé en raison de la présence de polluants tels que les dioxines, les PCB, et le méthylmercure. Une surexposition à ces substances peut avoir des effets néfastes, surtout pour les poissons les plus consommées, comme le thon et le cabillaud, exposant directement les consommateur.rices aux conséquences de la pollution croissante des océans. Si les sardines et les poissons maigres sont moins concernés, les poissons les plus consommés sont en première ligne. L’augmentation exponentielle de la pollution des océans nuit aux poissons et à ceux qui les consomment !
Destruction des fonds marins, menace sur la biodiversité et surpêche : les dessous de votre assiette de poisson.
Selon l’association Bloom, la réalité de la pêche moderne est alarmante. Seulement 1 % de la flotte de pêche européenne capture la moitié des poissons en Europe, une image bien éloignée du cliché du petit bateau de pêcheur bravant la tempête. Ces navires-usines, pouvant mesurer jusqu’à 144 mètres de long, capturent jusqu’à 400 000 kilos de poissons par jour, soit autant que 1000 navires de pêche artisanale en une journée en mer. Les chiffres révèlent une surpêche sévère, avec 34,2 % des stocks mondiaux surexploités, trois fois plus qu’il y a quelques décennies. En Europe, la pression de pêche persiste et même s’aggrave dans certaines régions. L’Union européenne n’a pas réussi à tenir ses engagements de mettre fin à la perte de biodiversité marine avant 2020.
Le réchauffement climatique et l’acidification des océans ont également un impact considérable, menaçant près de 10 % des espèces marines et terrestres au cours de la prochaine décennie, avec un risque de perte de biodiversité atteignant 80 % d’ici la fin du siècle, selon le dernier rapport du GIEC.
Par ailleurs, la pêche « durable » a pour définition aujourd’hui la capacité a avoir un rendement de pêche maximisé, l’inverse du sens commun qui voudrait penser des pratiques protégeant l’environnement et la ressource, autrement dit ! A moins de connaître votre pécheur artisanal ou d’avoir une vue sur votre approvisionnement, il est fort à parier que vous consommez des poissons issus de ces pratiques.
Focus sur le port de Lorient et le scandale d’Oman : une aberration environnementale et économique.
L’idée, c’est d’approvisionner le port de Lorient avec le poisson pêché en mer d’Oman. Les poissons prendront l’avion. Avec un bilan carbone défiant toute concurrence. Vous avez dit réchauffement climatique ? La construction hors norme du port à Oman menace les fonds marins, suscitant des inquiétudes légitimes quant à la préservation de la ressource. Les conditions de travail insoutenables liées à ce projet ont été dénoncées par Amnesty International dès 2022, soulignant un aspect social problématique. De plus, la vente de poissons importés depuis Oman risque de nuire davantage à la pêche locale et artisanale, comme l’a souligné David Le Quintrec, patron du navire Izel Vor II.
Ce projet titanesque du port, financé en partie par l’argent public de l’agglomération lorientaise, suscite des interrogations sur le conflit d’intérêts entre les sociétés et les actionnaires cherchant à maximiser leurs profits au détriment des habitant·e·s de Lorient et des pêcheur·euse·s locaux.
Dans l’article du Ouest France, on peut lire : « le premier port français à structurer un port de pêche à l’étranger . Non seulement, il le conçoit, mais le gérera avec les Omanais pendant vingt-huit ans ! À la manœuvre, un consortium franco-omanais dont fait partie la SAS nommée Ker’Oman, détenue à 80 % par la Sem Keroman. Les 20 % restants sont répartis entre Maurice Benoish (ancien président de la Sem), Louis le Bourlout et Freddie Follezou (ancien vice-président de l’agglo), qui a rejoint récemment l’aventure démarrée il y a quatre ans.
Attaqué par l’élu écologiste Damien Girard sur son entrée au capital de la SAS trois mois après sa démission de la vice-présidence de l’agglomération, Freddie Follezou contextualise : « Après m’être préoccupé de la légalité de mon intervention auprès des services juridiques de Lorient Agglomération, j’ai accepté d’accompagner les actionnaires fondateurs dans ce projet. Mon rôle est de servir de facilitateur pour que les entreprises de notre territoire puissent se développer. »
En résumé, le projet du port de Lorient illustre les défis majeurs de la pêche en France, avec d’importants volumes échangés à l’exportation et à l’importation, dépourvus de considérations écologiques et sociales, mais motivés par une quête démesurée de méga-profits – jusqu’à quand ?
Quelles alternatives à la pêche industrielle ?
Si les alternatives à la pêche industrielle sont recherchées, des associations telles que Bloom luttent activement contre la destruction des océans et des pêcheur·euse·s. Cependant, la complexité des labels et le manque de sérieux dans de nombreuses initiatives rendent difficile pour les consommateur·rice·s de faire des choix éclairés. Actuellement, même les poissons labellisés comme durables proviennent souvent de la pêche industrielle, soulignant les lacunes dans la crédibilité de ces labels.
Les initiatives comme le MSC (Marine Stewardship Council) sont critiquées pour leur quasi-monopole et leurs partenariats avec des géants de la consommation, ce qui entrave l’émergence de labels plus vertueux. Le label bio, bien que fiable, est limité aux poissons d’élevage, laissant peu de choix aux consommateur·rice·s soucieux·se·s de l’impact de la pêche en mer.
Alors à quels labels se fier pour consommer un poisson (vraiment) durable ?
Nous constations déjà que la question des labels était complexe et le lieu idéal pour tromper les consommateurs-trice (voir notre boussole des labels), c’était sans compter sur la pêche… c’est pire.
Toujours selon l’association Bloom : « Au-delà de la confusion créée par le grand nombre de labels, le problème vient surtout du manque de sérieux de la plupart de ces initiatives qui induit le consommateur en erreur en attribuant à certains produits des qualités qu’ils n’ont pas : certains logos — souvent créés par les marques elles-mêmes — sont totalement opaques. Il est donc impossible d’en évaluer la fiabilité.
Même lorsque le label fait preuve d’un minimum de transparence et de rigueur, celui-ci n’est pas forcément garant d’une «pêche durable».
A savoir également, 80 % des poissons labellisés sont issus de la pêche industrielle !
- MSC et la pêche dites durable : de (vraiment) faux-amis !
« En situation de quasi-monopole, il a déjà certifié comme «durables» de nombreuses pêcheries en dépit de la science. Aujourd’hui, le MSC signe des partenariats avec des géants de la consommation comme Carrefour et McDonald’s, qui s’engagent à un approvisionnement «100% durable». Ces objectifs de parts de marché rendent impossible l’identification d’alternatives réellement durables et ne laissent pas la place à de nouveaux labels plus vertueux. »
« Qualité responsable », « Respect des ressources marines », « Pêche durable MSC », « Engagement ressources » autant de labels dit durables mais qui confortent surtout le marketing. Ils sont rarement mieux-disants pour l’environnement.
- Le Label Bio : fiable, mais limité !
Une alimentation saine, des conditions d’élevage plus respectueuses… Oui, mais par définition, il ne pourra s’agir que de poissons d’élevage, ce qui limite assez largement vos choix et s’écarte du sujet de la pêche en mer.
En conclusion, il n’existe pas encore de solutions idéales, mais l’association Bloom offre des analyses approfondies pour aider les consommateur·rice·s à s’orienter. Nous poursuivrons l’enquête sur la pêche prochainement pour fournir des repères plus clairs. En attendant, n’hésitez pas à contribuer à ce dossier en partageant vos expériences et préoccupations concernant la pêche.
Pour aller plus loin
Sur le port d’Oman :
Sur la pêche (vraiment) durable et son opposé :
La pêche aux labels – France Inter
Enquête sur les poissons d’élevage – CIWF