Depuis plus de 45 ans, des scientifiques alertent la sphère publique sur l’urgence climatique au niveau mondial. L’étude du changement climatique s’appuie non pas sur une démarche expérimentale mais sur des travaux de modélisation, prônant des précautions. Cela finit parfois par alimenter la méfiance et les fake news, qui freinent, voire contestent la protection de l’environnement
Les prémices d’une réflexion autour de l’impact de l’action humaine sur l’environnement apparaissent dans les années 70 suite aux crises économique et environnementale (premier choc pétrolier) qui ébranlent les croyances envers le progrès. Plusieurs événements amènent l’écologie sur les scènes politique et publique : création du GIEC en 1988, la Planète Terre fait la Une du Time en tant qu’ « Homme de l’année » en 1989, et le Sommet de la Terre à Rio en 1992 avec la création du concept de « développement durable ». Cependant, les études scientifiques sur le réchauffement climatique restent encore difficilement mesurables, car elles se basent sur une modélisation numérique et ses effets sont beaucoup moins visibles qu’aujourd’hui. Ces études ne sont pas assez prises au sérieux, voire même remises en cause par l’émergence d’une tendance climatosceptique. Les climatosceptiques remettent en cause l’existence, les causes et les conséquences du réchauffement climatique. S’ils sont accusés de diffuser des fake news, ils continuent d’imprégner le débat public (médias, politique, éducation…) et influencent le traitement de la crise écologique.
Les fake news désignent une intox, une information fallacieuse ou mensongère. Elles ont pour objectif de manipuler leur public et peuvent être émises par différentes personnes ou instances (individus, médias, entreprises, Etat, organisations). Il existe plusieurs types de fake news sur le thème de l’environnement :
– celles visant à disqualifier la crédibilité de l’interlocuteur ou du média (exemple : Trump qualifiant les grands médias critiques envers lui d’ « ennemis du peuple »)
– celles qui tentent de désinformer, en cachant ou réinterprétant le contexte de l’événement (exemple : minimiser le traitement médiatique de l’évènement des manifestants écologistes gazés à Paris en juin 2019)
– celles voulues délibérément pour sous-estimer un danger (exemple : l’explosion de l’usine Lubrizol à Rouen)
– celles consistant à cadrer un fait de manière réductrice (exemple : parler de la crise environnementale en ne prenant qu’un critère, par exemple uniquement du point du vue du réchauffement climatique, sans parler de la biodiversité et des interdépendances (océans, atmosphère, biodiversité, climat, eau…)
Comment en est-on arrivé là ?
Les fake news sont néfastes et constituent un enjeu pour les médias, la démocratie et l’esprit critique. Elles facilitent la diffusion d’idéologies extrémistes. Comment en arrive-t-on à la propagation de fake-news relatives à l’environnement ?
Plusieurs causes expliquent cela :
1. L’usage social d’internet : les réseaux sociaux sont une alternative pratique, ouverte et gratuite en opposition aux médias traditionnels. L’information est plus rapide. On assiste à un élargissement des formes du débat public qui contourne les garde-fous du débat public. De plus, une fake news se propage six fois plus vite qu’une information vérifiée
2. Une faible culture scientifique en France : si les sciences sont considérées comme « nobles » en France, la majorité de la population est peu savante en la matière et a un regard distancié. Au vu de la complexité de la science du climat, cela ne permet pas de saisir la dimension systémique, globale et interdépendante de la crise écologique, que cela concerne l’émetteur (médias, politiciens) ou le récepteur (citoyens, associations)
3. Des intérêts économiques prédominants : comme la crise environnementale remet en cause le système capitaliste et productiviste, des conflits d’intérêts émergent. Ainsi, les lobbies (pétrole, automobile, agroindustrie) tentent par des stratégies douteuses de faire taire le discours écologique
4. Des techniques de désinformation : pour décrédibiliser le discours scientifique, les lobbies ont fabriqué du doute sur des analyses scientifiques (doute sur l’ampleur des dégâts sur la santé et les écosystèmes, part de responsabilité de l’action humaine). Certains ont payé des chercheurs à la commande pour qu’ils rédigent de faux articles (notamment sur l’impact des hydrocarbures dans la pollution de l’eau).
5. Des intérêts politiques : à partir du moment où l’alerte scientifique sur la crise écologique implique la responsabilité de différents acteurs, des enjeux de pouvoir émergent. Si l’on prend l’exemple de la gestion des incendies en Amazonie, le président brésilien Bolsonaro tente de servir les intérêts d’une minorité par le nationalisme. Il critique le souhait d’intervention de l’Occident sur l’Amazonie en l’assimilant au rapport de domination entre les pays du Nord et du Sud. Son analyse est réductrice car il délaisse les interdépendances mondiales et les inégalités au sein même du Brésil qu’engendre la déforestation de l’Amazonie (dont les autochtones)
6. Un levier juridique trop lent : la prolifération des fake news va de pair avec un levier juridique inefficace : les temps de lancement d’une procédure et de verdict sont trop longs, surtout face à une accélération du temps médiatique.
Comment y faire face ?
Face à ce fléau médiatique qui menace la démocratie, que peut-on faire ?
Tout d’abord, il est primordial de vérifier les sources et se fier davantage aux sites institutionnels (CNRS, Institut océanographique, CNES, IPBES, NASA). On peut parfois se sentir démuni.e. face au trop plein d’informations, d’où l’importance de multiplier les sources de confiance en s’entourant d’experts du domaine via des conférences-débats, des ouvrages ou des supports vidéos (exemples : climatologue, écologue, océanographe).
Une autre stratégie pour contrer les fake news environnementales est d’améliorer notre capacité critique face à l’information. Pour cela, il est nécessaire de connaître les stratégies de la désinformation. L’ouvrage « Le montage » de Vladimir Volkov met en avant 12 recettes pour manipuler l’information, telles que le font les fake news. L’auteur cite par exemple la tactique de la généralisation (prendre le comportement de la personne incriminée et le monter en généralité pour toucher l’ensemble des publics) ou encore celle de la polémique.
Enfin, pour contrebalancer une trop faible culture scientifique en France, il est important de former les scientifiques aux techniques de communication (éloquence, diffusion de l’information) de manière à les rendre plus aptes à parler de leur travail au sein du débat public.