Les résultats explosifs de l’étude de Gilles-Eric Séralini sur la toxicité d’un maïs génétiquement modifié et d’un herbicide posent de nombreuses questions. Que les conclusions de cette étude soient scientifiquement valables ou non, la polémique ne doit pas faire oublier le nécessaire débat public sur la place des plantes génétiquement modifiés dans notre société.
Mauvaise science, canular, mensonges, opération de com’… Difficile de ne pas avoir vu la pluie de critiques tomber ces dernières semaines sur les travaux de l’équipe de Gilles-Eric Séralini, de l’université de Caen – et membre du comité de soutien de l’association Bio Consom’acteurs. L’étude a conclu qu’un herbicide, le Roundup, et que le maïs génétiquement modifié pour résister à ce dernier, le NK603, tous deux fabriqués par la firme Monsanto, étaient toxiques et provoquaient tumeurs et nécroses chez des rats. Publiée le 19 septembre dans la revue scientifique Food and chemical toxicology en même temps que dans le Nouvel Obs, l’étude a déclenché émotion et doute au sein des médias et de la communauté scientifique.
D’un côté, on peut comprendre l’amertume de certains: le coup médiatique a été bien pensé. Le Nouvel Obs avait l’exclusivité de l’étude, signant une clause de confidentialité avec l’équipe de Gilles-Eric Séralini, laquelle contraignait les journalistes à ne pas solliciter d’avis extérieur (ceci dit, c’est le choix du Nouvel Obs d’avoir accepté de signer cette clause); en même temps, le livre « Tous cobayes » de Séralini sortait, ainsi qu’un ouvrage sur le même thème de Corinne Lepage, présidente d’honneur du comité de recherche et d’information indépendante sur les organismes génétiquement modifiés (Criigen, dont Séralini et d’autres chercheurs de son équipe sont membres) ; et puis, il y a eu la sortie du film de Jean-Paul Jaud, « Tous cobayes ? » ainsi qu’un documentaire télévisé qui ont repris ces travaux. Bref, les rats déformés ont inondé nos écrans. L’angoisse s’est répandue parmi les citoyens, avant même qu’il y ait eu contre-expertise et critique par les pairs.
Mais. De là à remiser sous le tapis le travail de 2 ans réalisé par cette équipe, sans même le refaire ? De là à refuser de remettre en cause les protocoles d’évaluation des plantes génétiquement modifiées (PGM) ? C’est précisément ce que fait l’autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA), qui a jugé il y a quelques jours que les conclusions des auteurs n’étaient pas « scientifiquement valables ». Et qu’il n’était « pas nécessaire de réexaminer l’évaluation précédente réalisée sur la sécurité du maïs NK603 », ni de « tenir compte de ces résultats dans le cadre de l’évaluation actuelle qu’elle effectue sur le glyphosate [le principe actif de l’herbicide Roundup]». L’EFSA réclame par contre les données brutes de Séralini, pour juger de la pertinence de ses travaux. Tout ça est un peu fort de café, nous semble-t-il à Bio Consom’acteurs.
1) L’EFSA doit se remettre en question
L’étude de Séralini a le mérite d’éclairer la zone d’ombre qui entoure l’évaluation des plantes génétiquement modifiées au niveau institutionnel. Cette agence doit être plus transparente quant aux conflits d’intérêt possibles parmi ses experts. Aujourd’hui, on peut douter de son indépendance, quand on constate la façon dont elle traite différemment les études de Monsanto et celle de Séralini. Les critiques faites à ce dernier portent essentiellement sur ses méthodes expérimentales. Or, ces méthodes auraient été aussi employées par Monsanto. Et celles-ci ont été tranquillement acceptées par l’EFSA, notamment pour autoriser la mise sur le marché du NK603 en Europe. Bizarre. Pourquoi, si la race de rats choisie par Séralini est sujette aux tumeurs et a une trop faible espérance de vie, si cette race n’est réellement pas idoine pour des tests de toxicité, est-elle ad hoc pour celles que réalise Monsanto? Pourquoi le nombre de cobayes (10 groupes de 10 rats pour chaque sexe) est-il jugé trop faible chez Séralini, pas chez l’industriel ? S’il s’agit vraiment d’erreurs, pourquoi ne sont-elles pas reprochées aux autres commanditaires?
Pour rappel, l’EFSA a régulièrement été soupçonnée d’entretenir des liens avec les industriels de l’agroalimentaire (voir l’étude du groupe de recherche sur les lobbies en Europe, le Corporate Europe Observatory, parue en juillet 2011, ici ). Par ailleurs, les grands médias se sont aussi fait l’écho de scientifiques liés à cette industrie, lesquels n’ont pas manqué de jeter l’étude de Séralini à la poubelle. C’est le cas de Gérard Pascal, ingénieur biochimiste de formation, membre du panel d’experts OGM de l’EFSA et d’autres groupes. Notamment de l’Institut français pour la nutrition (une association de chercheurs et d’entreprises, parmi lesquelles Danone, Nestlé, Unilever, etc.). Lire les réponses de Séralini aux critiques sur ses expériences sur le site Reporterre.
L’EFSA doit rendre publiques toutes les données brutes fournies par les demandeurs d’autorisation de commercialisation d’OGM, validées ou en cours d’évaluation. Il est inacceptable que ces études soient actuellement impossibles à critiquer, notamment par l’ensemble de la communauté scientifique. A elle de juger de leur valeur scientifique. Au cas où cela aurait échappé à quelqu’un, la majeure partie des tests réalisés par les industriels sur les rats ne durent que 3 mois. Un peu court, quand on sait que l’espérance de vie de ces animaux est d’environ 2 ans.
2) La toxicité des OGM doit être étudiée sérieusement
Etude critiquable ou non, les différences entre rats témoins et les autres (ceux qui ont ingéré RoudUp et/ou maïs NK603) sont bel et bien là. Séralini et son équipe constatent une mortalité prématurée chez 50% des rats mâles et 70% des femelles ayant ingéré le maïs GM, contre 30% des mâles et 20% des femelles témoins. Et que 40 à 80% des femelles ont développé des tumeurs parmi les mangeuses de maïs GM, contre seulement 30% chez les témoins. En moyenne, les rats traités au NK603 ou au Roundup donné dans l’eau de boisson, auraient développé de 2 à 3 fois plus de tumeurs. Pourquoi ces écarts? Qu’ils soient dus à la présence de mycotoxines dans le maïs, à la malchance ou à la race des rats, il faut en être sûr. Donc, d’autres recherches de toxicologie sont nécessaires. Au moins aussi longues que les 2 ans de Séralini, et plus approfondies. Surtout, il faut qu’elles soient menées par des chercheurs indépendants de l’industrie agroalimentaire. C’est une question de santé publique, le NK603 étant actuellement commercialisé en Europe.
3) Pourquoi cultiver des PGM, au fait ?
Finalement, la vraie question que l’on doit se poser est : a-t-on vraiment besoin des OGM pour nourrir le monde? Quels sont leurs bénéfices et leurs inconvénients? Et surtout, à qui profitent-ils réellement ? Si le débat technico-scientifique échappe aux citoyens non chercheurs, cette étude ne doit pas nous faire oublier que cultiver des PGM est un choix de société, non une obligation. L’argument principal des défenseurs des PGM est que celles-ci permettraient de nourrir le monde, notamment en résistant aux pesticides (ce qui est le cas de l’immense majorité des PGM actuellement cultivées sur la planète). Souhaitons-nous vraiment nous rendre encore plus dépendants des pesticides que nous ne le sommes déjà? Citons pour exemple une étude sortie le 1er octobre dernier, sur l’utilisation des pesticides sur les cultures OGM étatsuniennes. L’auteur, Charles Benbrook, du Washington State University, a calculé que les cultivateurs de coton, de soja et de maïs génétiquement modifiés pour résister aux pesticides à base de glyphosate, (tels que le Roundup), avaient augmenté leur utilisation de pesticides de 7% depuis les années 90 (analyse des données du département de l’agriculture des Etats-Unis, parue dans Environmental Science Europe). La cause de cette bizarrerie? Une plus grande résistance des mauvaises herbes, celles-ci s’adaptant à l’herbicide et devenant ainsi de super-mauvaises herbes. Si les OGM nous amènent à balancer de plus en plus de produits chimiques dans la nature, n’est-il pas absurde de vouloir à tout prix les cultiver ?
Un petit scoop, pour la route: on peut faire de l’agriculture sans pesticides. L’Institut national de la recherche agronomique (Inra) l’a lui-même affirmé la semaine dernière, suite à une expérimentation qu’une de ses équipes a menée durant 10 ans en Côte-d’Or. Dans un article paru dans Libération, l’agronome Nicolas Munier-Jolain déclare qu’ «il est techniquement possible de cultiver à grande échelle nos céréales sans herbicides, ou du moins en réduisant drastiquement leur usage, avec une faible diminution des rendements à l’hectare». Sur le champ expérimental, il y a bien chardons, vulpins et autres coquelicots, mais «pas en quantités suffisantes pour affecter réellement le rendement». Les produits chimiques de synthèse n’ont pas le monopole de la protection des plantes. Les techniques de la bio, par exemple, ont fait leurs preuves, notamment dans les pays du Sud où elles augmentent les rendements et préservent l’environnement.
Pour mémoire, les conséquences pour l’environnement de l’épandage des pesticides sont désastreuses: pollution des eaux, épuisement des sols, empoisonnement de la biodiversité, impact sur la santé des producteurs et des consommateurs…Quant aux plantes génétiquement modifiées pour résister à des pesticides ou en fabriquer, on n’en connaît nullement les risques de dispersion des gènes dans la nature.
En revanche, on constate depuis plusieurs années que dans les pays du Sud où les PGM sont cultivées, celles-ci ne sont d’aucune aide pour les petits paysans. La dépendance de ces derniers vis-à-vis d’une technologie brevetée par une multinationale rogne encore un peu plus sur leur autonomie. Les paysans indiens se sont ainsi endettés pour acheter des semences de coton GM, au point d’en conduire plusieurs milliers au suicide (voir notre article). Monsanto a d’ailleurs reconnu lui-même que son coton Bt, qui fabrique un insecticide, était inefficace, les insectes ayant développé des résistances. Et les observations de ce genre se multiplient.
Risques pour l’environnement, la santé, l’autonomie des paysans…Les plantes génétiquement modifiées valent-elles le coup de prendre tous ces risques ? La société doit y réfléchir sérieusement avant d’autoriser la commercialisation des OGM.
Une lettre ouverte aux ministres portée par 130 ONG (dont Bio Consom’acteurs) demande au gouvernement davantage de transparence sur l’évaluation des OGM, ainsi que la suspension de la commercialisation du maïs NK603 et du Roundup. Vous aussi, en tant que citoyen, vous pouvez élever la voix en signant cette pétition ici.
Quelques liens utiles pour éviter les OGM dans votre panier: le guide La bio en questions de Bio Consom’acteurs à télécharger ICI, le guide des produits sans OGM de Greenpeace et le guide Avec ou sans OGM, l’étiquetage décrypté d’inf’OGM
Voir la réponse de Joël Spiroux et Corinne Lepage à 13 questions sur l’étude.