Dans un rapport publié fin 2012 par Greenpeace, l’agronome et économiste Charles Benbrook estime qu’une autorisation sans restrictions de cultures de maïs, betterave à sucre et soja génétiquement modifiés pour résister au glyphosate en Europe augmenterait systématiquement l’usage des herbicides.
L’Union européenne s’apprête à autoriser 26 cultures transgéniques, parmi lesquelles 13 génétiquement modifiées (GM) pour tolérer le glyphosate, principe actif de l’herbicide Roundup notamment. Glyphosate, dont l’utilisation augmentera inéluctablement. Jusqu’à 10 fois plus qu’aujourd’hui pour être exact, prévient Charles Benbrook, professeur d’économie au centre de l’agriculture soutenable de l’université du Washington.
Dans un rapport qui lui a été mandé par Greenpeace, le chercheur a modélisé l’évolution de l’usage des herbicides en Union européenne, selon 3 modèles d’adoption de cultures de maïs, soja et betterave sucrière ayant subi une modification génétique pour tolérer le glyphosate, dite Roundup Ready (RR). Pour ce faire, il a utilisé les données disponibles sur l’usage des herbicides aux Etats-Unis, qui cultive des plantes RR depuis 1996 et utilise du glyphosate comme pesticide depuis les années 70.
Tolérer un herbicide a un prix
Premier scénario, la technologie RR est autorisée par l’UE et adoptée par les agriculteurs avec autant d’enthousiasme qu’elle le fut aux Etats-Unis, sans restriction d’usage. L’épandage de l’ensemble des herbicides augmenterait alors de 72% pour l’ensemble des cultures de maïs, soja et betterave, selon le rapport de Benbrook. Une croissance due quasi-uniquement à l’explosion de l’épandage de glyphosate qui serait 800% supérieur à aujourd’hui.
Deuxième scénario, plus modéré que le précédent : l’UE impose des restrictions à l’utilisation de la technologie Roundup Ready. Par exemple, l’interdiction de planter des cultures deux ans d’affilée sur un champ donné, dans l’espoir de prévenir l’émergence de mauvaises herbes résistantes. L’utilisation totale d’herbicides augmenterait alors « seulement » de 25%, et celle du glyphosate seulement, de 400%.
Enfin, dernière possibilité : ces OGM ne sont pas autorisés en UE et l’agriculture conventionnelle reste dominante. Alors, que l’usage de l’ensemble des herbicides pour les 3 cultures diminuerait de 1% dans l’Union d’ici 2025, celui du glyphosate augmenterait de 88%.
Pourquoi cette surenchère en herbicides dans les deux premiers scénarios ? Parce que tolérer un herbicide a un prix : la dépendance vis-à-vis de ce même herbicide. Les paysans épandent plus souvent et en plus grandes quantités du glyphosate sur leurs champs supportant le glyphosate. «Clairement, quand des agriculteurs paient plus cher pour des semences tolérant un herbicide, ils souhaitent en profiter en épandant au maximum l’herbicide associé». Or, cette dépendance entraîne l’apparition de résistances parmi les mauvaises herbes.
Echec du système Roundup Ready
Car les chères indésirables s’adaptent à leur milieu, comme le prouve l’expérience américaine. Amarante, vergerette du Canada, ambroisie… elles sont 24 à avoir évolué pour résister au glyphosate épandu aux Etats-Unis. «En 2012, entre un tiers et la moitié des cultures de coton, maïs et soja du pays étaient infestées par au moins une espèce résistante au glyphosate», lit-on dans le rapport de Greenpeace. Résultat : les agriculteurs étatsuniens utilisent jusqu’à 3 herbicides, en plus du glyphosate, pour se débarrasser de ces indésirables. Les quantités épandues par hectare seraient deux fois plus importantes dans les champs infestés par des mauvaises herbes résistantes au glyphosate, que dans les autres. «Le système Roundup Ready échoue là-bas au même rythme qu’il a été adopté», conclut Charles Benbrook dans son rapport.
Et l’apparition de résistances peut être très rapide. Aux Etats-Unis, 4 ans ont suffi pour que soit recensée une super-mauvaise herbe après le déploiement de la technologie RR. Cette vitesse pourrait être supérieure en Europe, terreau fertile puisque le glyphosate y est utilisé depuis plusieurs années. «L’approbation et la plantation à large échelle de variétés culturales RR créeront les conditions idéales pour accélérer à la fois la propagation des herbes résistantes, et l’émergence de nouvelles». Il y aurait déjà 12 mauvaises herbes résistantes au glyphosate en UE.
Aujourd’hui, le modèle agricole américain se dirige vers les cultures résistantes non plus à un herbicide, mais plusieurs, dans l’espoir de faire la peau aux mauvaises herbes résistantes au glyphosate. Une stratégie «aussi sensée que déverser de l’essence sur un incendie pour l’éteindre», prévient Greenpeace. L’avertissement vaut pour l’Europe.