Manger bio, ça veut dire quoi ?

Alors que la consommation de produits biologiques croit de façon régulière depuis plusieurs années –  près de la moitié des consommateurs affirment ainsi  manger au moins un produit bio chaque mois –  la production bio française reste  fragile et très nettement insuffisante. Une situation inquiétante qui ouvre la porte à de possibles dérives, en contradiction avec les principes fondamentaux de la bio.

En début d’année, un agriculteur est décédé d’une leucémie. Si cette information n’est hélas pas exceptionnelle, ce qui est l’est davantage est que la maladie de ce viticulteur, Yannick Chénet, qui avait pulvérisé des pesticides sur ses vignes pendant de nombreuses années,  a été reconnue par la Mutualité sociale agricole (MSA) comme professionnelle. Cas rare, une vingtaine seulement l’ont été, alors que les enquêtes de santé menées par la MSA et par des chercheurs indépendants prouvent [2] les graves conséquences sanitaires liées à l’utilisation des pesticides : maladie de Parkinson -d’après l’INSERM le risque de contracter cette maladie est multiplié par deux chez les agriculteurs- cancers, troubles des systèmes digestifs et respiratoires etc…
 
Les pesticides altèrent la santé et tuent, nul ne l’ignore plus. D’après l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) il y aurait chaque année dans le monde plus d’un million de graves empoisonnements par les pesticides et plus de 200 000 décès !  Et la récente enquête menée par l’association Générations Futures prouvant la présence de dizaine de pesticides dans le repas quotidien d’un enfant de 10 ans confirme que la dangerosité des pesticides ne se limite pas à ceux qui les manipulent.  Si la responsabilité des firmes agrochimiques qui les fabriquent est incontestable, celle des pouvoirs publics qui en autorisent la production et l’utilisation l’est tout autant. Les multiples scandales, de l’amiante au Médiator en passant par les farines animales et la dioxine, ébranlent chaque fois un peu plus  un système basé sur le seul profit financier immédiat pour une minorité. Il est a espéré qu’à l’image de la dictature tunisienne les citoyens mettent fin, un jour prochain, à la collusion financière publique-privé qui autorise de tels scandales.
 
Pour favoriser une régulation qui supprime ces pratiques et protège les citoyens de leurs conséquences les consommateurs  ont un rôle éminent à jouer. Ils peuvent, entre autres actions, privilégier les entreprises et les agriculteurs qui produisent dans le respect de l’environnement et en particulier ceux qui font le choix de l’agriculture biologique. 
 

Produire bio pour manger bio

 
Produire et transformer en bio exclut toute utilisation d’engrais, de pesticides, d’additifs chimiques et d’OGM. S’il n’y en avait qu’un, cet avantage de l’agriculture biologique, curieusement absent des conclusions de certaines recherches[3] tendant à nier tout bénéfice pour  la santé humaine de la consommation des produits bio, devrait être déterminant pour la promouvoir et lui faire bénéficier des moyens maximums, en termes de recherches, de formation et d’information, nécessaires à son développement. Manger bio c’est donc bien. Encore faut-il que les produits bio soient disponibles et accessibles. Or,  malgré les promesses incantatoires des pouvoirs publics, à la suite de l’opération de communication électorale baptisée « Grenelle de l’environnement »,  c’est exactement l’inverse qui se produit en France. Alors qu’a été renouvelée l’autorisation du Cruiser, insecticide neurotoxique enrobant les semences de maïs suspecté d’anéantir les abeilles, alors que près de 200 millions d’euros sont accordés à la filière des agro carburants utilisant des tonnes de pesticides, la loi de finances 2011 a considérablement réduit le crédit fiscal destiné aux agriculteurs bio au risque de décourager de nouvelles conversions. Sachant que plus de 40% des produits bio consommés en France sont importés, (plus de 60% des fruits et légumes bio) cette réduction, négligeable en termes d’économies pour les finances publiques et stupide par le message de mépris de l’environnement et de la santé des populations qu’elle adresse aux citoyens,  va favoriser plus encore les importations de produits bio pour satisfaire la demande croissante des consommateurs.  Car importer a bien évidemment des conséquences regrettables tant sur l’environnement, du fait des kilomètres supplémentaires parcourus pour que les produits arrivent dans nos assiettes, que sur l’emploi agro alimentaire bio en France. Sans oublier les pratiques sociales dans certains pays peu compatibles avec les principes d’équité  de l’agriculture biologique et le risque de garanties moindres en termes de qualité de contrôle et de certification. 
 
Si les consommateurs, les transformateurs et les distributeurs ont un rôle essentiel à tenir en privilégiant les productions locales puis nationales, force est d’admettre que la condition essentielle réside dans l’existence de volumes de production française suffisants.  En la matière, des progrès considérables sont donc encore à faire. Les prochaines élections nationales de 2012 seront l’occasion d’exiger des réponses claires des candidats en matière de politique agricole et quant à leurs engagements pour la bio. Les prises de positions, mais surtout les actes et les votes au cours de la législature en cours, de ceux qui souhaiteront le renouvellement de leur mandat seront assurément déterminants dans nos choix. 
 

Consommer bio local [4] : un choix éthique et solidaire

 
Adhérer à une AMAP (association pour le maintien de l’agriculture paysanne) ou s’approvisionner à la ferme, sur les étals au marché, ou dans une coopérative de petits producteurs sont les circuits les plus courts pour consommer local. A condition d’exiger la labellisation bio, où pour le moins, de bien connaître l’agriculteur, s’il n’est pas certifié, et de lui rendre visite de temps à autre.  Mais les files d’attente dans les AMAP, quand elles existent, sont longues et la production locale n’est pas toujours suffisante pour répondre à la demande. En outre l’offre y est limitée ou inexistante en produits transformés. Certains réseaux de distribution spécialisés et magasins indépendants mettent l’accent sur leurs choix d’approvisionnements prioritairement auprès des producteurs et petits transformateurs locaux et il en est qui identifient très clairement cette provenance sur leurs rayons. A chacun d’entre  nous d’être vigilants et de vérifier l’origine des produits que nous consommons. En évitant les magasins ou les commerçants en ligne qui privilégient les produits importés, hors saison et/ou forcés sous serres chauffées, hormis éventuellement certains, indisponibles sous nos latitudes, à la condition expresse qu’ils soient issus d’un  commerce plus équitable.
 
Pour les consommateurs, la qualité gustative, le moindre impact sur l’environnement, le maintien des agriculteurs bio, le soutien à l’emploi local correctement rémunéré, la diversité des paysages, la typicité des terroirs, sont autant de raisons de soutenir les professionnels qui ont une démarche responsable. Bien sur, cela a un prix. Mais comme l’écrivaient en février 2010 au ministre de l’agriculture plusieurs groupements de producteurs bio français[5], « l’été dernier, en pleine saison de production française, la majorité des fruits et légumes biologiques présents dans certaines enseignes de grande distribution étaient importés. Cet état de fait répond aux engagements pris par ces enseignes de fournir à leurs consommateurs des produits bio à bas prix. Le soin que nous apportons à nos cultures et notre volonté de pratiquer une agriculture durablement biologique ne nous permettent pas d’être compétitifs pour répondre à ces demandes.» A nous de traduire dans nos actes d’achats, quand nous le pouvons,   l’agriculture et l’alimentation que nous souhaitons et à imposer à l’Etat de soutenir ces choix pour que tous puissent y avoir accès.
 

Manger bio c’est mieux pour la santé… à condition de manger équilibré

 
Manger bio local et de saison (les « locavores » se nourrissent exclusivement de produits issus d’un rayon d’environ 200km autour de chez eux) en privilégiant les produits vendus en vrac et excluant ceux qui sont suremballés est une démarche citoyenne et économe qui favorise l’autonomie alimentaire de nos régions et atténue le surcoût bio sur le budget familial. Si elle est cohérente avec les valeurs prônées par la bio, elle est évidemment insuffisante pour bien manger. 
 
Car s’il est aujourd’hui avéré, de nouvelles études le confirment régulièrement rendant cette affirmation quasi incontestable, que les qualités nutritionnelles des produits bio sont supérieures à celles des produits conventionnels, encore faut-il bien manger bio [6].  Et mal manger bio est à la portée de tous. Ainsi l’insuffisance de fruits et légumes tout comme de céréales associées à des légumineuses, mais aussi l’excès de sucre, de sel, de viande, de graisses, de sodas ou d’alcools, fussent-ils  bio et d’origine locale, atténuent sérieusement l’intérêt de manger bio. Pas toujours facile pour les nouveaux consommateurs bio de s’y retrouver pour faire évoluer leurs comportements alimentaires. Cours de cuisine, visites de producteurs, réunions d’informations, magazines spécialisés le plus souvent gratuits, recettes en ligne, conseils pertinents de vendeurs en magasins spécialisés et salons ou foires bio organisés annuellement  dans la plupart des villes de France sont autant d’outils leur permettant de progresser. Sans oublier ces échanges conviviaux entre « bio consom’acteurs », source inépuisable de découverte de savoirs originaux, d’expériences vécues et d’astuces personnelles. 
 

La bio en recherche de cohérence

 
Lorsque, il y a trente ans, l’IFOAM (association internationale des mouvements de l’agriculture biologique) fut créée, sa charte fondatrice de la bio prônait le respect de la vie sous toutes ses formes par une agriculture écologique économiquement rentable et socialement acceptable. En 1991 la première réglementation européenne bio dut composer avec des exigences parfois contradictoires des pays membres, retenant principalement des principes fondamentaux les pratiques culturales et d’élevage. Si cela représentait déjà un progrès considérable par rapport à une agriculture intensive dominante, nombre des acteurs historiques de la bio regrettait l’abandon de principes humanistes et environnementaux qui en faisaient la cohérence.  La nouvelle réglementation européenne qui s’applique depuis le 1er janvier 2009 n’a pas amélioré la situation, au contraire, en atténuant les exigences en matière d’élevage et en tolérant, du fait d’une contamination environnementale ou accidentelle qui risque d’aller  croissante, une pollution transgénique des produits bio à hauteur de 0,9%[7].  
 
Mais le pire serait la reproduction des techniques conventionnelles qui ont permis la concentration des terres et des entreprises de transformations et de distribution et aboutirait à une bio intensive et industrielle. Des prémisses de cette bio sont déjà apparentes. Lorsqu’un éleveur décide l’installation d’un poulailler bio intégré de 9000 volailles en France ou qu’une exploitation agricole pratique une monoculture intensive  de fraises bio en Espagne basant son activité sur l’exportation de ses produits (mais l’importation de sa main d’œuvre), toutes pratiques hélas autorisées par la réglementation, est ce vraiment de la bio ?  Lorsque des groupes agroalimentaires, sans renier leurs mauvaises habitudes conventionnelles, développent de grandes exploitations de céréales bio dans une logique purement productiviste, en particulier dans les pays de l’Est, au détriment, entre autres conséquences, de l’installation de jeunes agriculteurs, nous sommes dans le droit fil d’une politique agricole qui a provoqué la disparition des paysans et généré une alimentation sans saveur et carencée. 
 

Une nouvelle marque

 
Exigences de qualité et quantité ne sont pas opposables. Le développement de la bio n’est pas corrélé avec une dégradation de ses pratiques et revendiquer son excellence ne participe pas d’un sectarisme opposé à toute évolution. C’est dans cette intention que des acteurs majeurs de la bio [8] française ont lancé une nouvelle marque, Bio Cohérence[9], dans le but d’identifier des exigences éthiques plus fortes (parmi lesquelles des fermes, collectes et produits 100 % bio, un lien fort de la production au sol, la réalisation d’autodiagnostics des pratiques des agriculteurs et des entreprises sur le plan agro environnemental, social et économique dans les deux ans suivant l’adhésion, la garantie rigoureuse de non contamination OGM, une meilleure prise en compte des animaux en matière de bâtiments, de soins vétérinaires, d’âge d’abattage etc)  rigoureusement compatibles avec l’idée d’une bio cohérente et respectueuse de tous.  Les débuts de cette nouvelle marque, que l’on ne trouve pas encore sur les produits distribués, sont difficiles, la conjoncture et la concurrence ne favorisant pas de nouvelles contraintes pour des paysans souvent en difficulté. Mais la volonté est forte et l’attente des consommateurs à la mesure de l’enjeu sociétal. Comme l’affirmaient les groupements d’agriculteurs cités plus haut  « La transposition pure et simple du système agronomique conventionnel en bio n’est pas viable, encore moins durable ; la diversification des cultures fait partie intégrante du mode de culture biologique. Ignorer ces principes conduira l’agriculture biologique à l’échec. ». Ce n’est évidemment pas ce que les consommateurs bio souhaitent. 
 
 
 
Hugues TOUSSAINT
Administrateur de Bio Consom’acteurs
 
                                              
 
 * Hugues Toussaint est l’auteur de Manger bio, c’est bien si… paru en juin 2010 aux éditions Vuibert. 13€50. Disponible en librairie, auprès de l’association Bio Consom’acteurs et dans les magasins spécialisés bio. Ce livre dresse un état des lieux de la bio aujourd’hui et fournit l’essentiel des arguments en faveur d’une consommation responsable des produits de l’agriculture biologique. Il donne également la parole à huit acteurs experts de la bio qui apportent un éclairage complémentaire aux propos de l’auteur.
 
 
 
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[2] Les premiers résultats d’une grande enquête «Agrican» (Agriculture et cancer)  lancée par la MSA en 2005 et concernant 120.000 agriculteurs auraient du être disponibles en 2008. Sauf erreur, il n’y à ce jour aucune publication. Les résultats seraient-ils si catastrophiques ?  
 
[3] Celle de l’Ecole d’hygiène et de médecine tropicale de Londres, placée sous la direction du Dr Alan Dangour, parue en juillet 2009, est assez révélatrice de cette omission volontaire. Analysant plus de 50 000 articles publiés en 50 ans sur la bio, elle concluait à l’absence d’avantages nutritionnels de la bio par rapport au conventionnel. 
 
[4] Consommer local n’est pas en soi un gage de qualité et de citoyenneté. Il est toujours préférable de consommer un produit bio, quelque soit sa provenance, qu’un produit issu de filières de production, de transformation et de distribution  totalement industrielles et/ou conventionnelles polluantes locales faisant appel à la pétrochimie.
 
[5] APFLBB, Bio Loire Océan, Mediterrabio, Solébio, Verte Provence
 
[6] Plus riches en anti-oxydants naturels, dont le professeur Luc Montagner, découvreur du virus du sida, a souligné l’importance dans la prévention du cancer, les produits bio présentent un meilleur profil nutritionnel pour de nombreux micro nutriments.
 
[7] Il est important de préciser que l’utilisation d’ OGM reste totalement  interdite en bio. Une contamination d’un produit en dessous du seuil de 0,9% peut aussi entraîner son déclassement sur décision de l’organisme de certification.
 
[8] On y retrouve des producteurs, parmi lesquels la Fnab, Bio Bourgogn e … des distributeurs tels que Biocoop, Pro Natura et des consommateurs représentés par l’association Bio Consom’acteurs.
 
[9] www.biocoherence.fr 
 
 
Par Hugues TOUSSAINT
Article paru dans le mensuel gratuit  Bio Contact, n°211, mars 2011

 

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