Le site internet du Parlement européen a lancé un questionnaire en ligne: « De l’agriculteur au consommateur, quelle politique agricole et alimentaire choisir ? ». Orientées, ces questions peuvent confondre le lecteur non averti en matière d’écologie et d’agriculture. Quelques remarques sur ce questionnaire, avant que vous y répondiez.
En quinze questions, les internautes des 27 Etats membres de l’Europe sont censés donner leur avis éclairé sur la politique agricole qu’ils voudraient. Avis qui sera utilisé, si l’on en croit le site parlementaire, «pour élaborer un document de travail dont il sera tenu compte dans le processus de prise de décision». Bel effort de démocratie participative. Sauf que ce questionnaire comporte plusieurs failles, auxquelles nous vous conseillons de prêter attention avant de cocher vos réponses (failles qui nous font d’ailleurs fortement douter quant à la non-partialité des concepteurs de ce questionnaire, à savoir l’organe du parlement Agora) :
Des OGM « afin d’éviter les maladies »
Plusieurs questions sont clairement orientées en faveur d’une politique agricole productiviste et industrielle. «Les cultures devraient être génétiquement modifiées afin d’éviter les maladies et d’accroître la production : d’accord ou pas d’accord ?» (cf question 5). A moins de savoir ce que sont les OGM, en quoi ils ne permettent ni d’éviter les maladies, ni d’accroître la production sans effets délétères (entre autres, sur les écosystèmes, les paysans, qui s’endettent, etc.) ; à moins de savoir que l’impact des OGM sur la santé humaine et sur la nature est inconnu ; à moins de savoir que les OGM ne sont pas une solution miracle ; enfin, à moins de savoir que le problème de la faim dans le monde n’est pas une question de quantité de nourriture disponible, mais de répartition de celle-ci (30% de la nourriture produite est aujourd’hui jetée à la poubelle). Bref, à moins d’être un peu éclairé sur la question des OGM, on a envie de répondre «bah oui». Alors qu’il existe une foultitude d’autres moyens que les OGM, pour éviter les maladies et maintenir une production apte à nourrir le monde: c’est le cas des pratiques testées, retestées et mille fois approuvées par l’agriculture bio : rotation des cultures, utilisation du fumier, des légumineuses et du compost pour nourrir le sol, désherbage mécanique, usage des auxiliaires (animaux ou plantes régulant les adventices ou les ravageurs des cultures), etc. Avec la question 5, le lecteur naïf peut avoir l’impression que les OGM sont la seule solution pour se passer des engrais et pesticides chimiques. C’est faux. A croire que les concepteurs du questionnaire n’ont pas entendu parler du rapport de l’organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) de 2011. Lequel affirme, entre autres, que l’agriculture biologique peut doubler la production agricole mondiale en 10 ans.
Les vraies problématiques de l’agriculture éludées
Même orientation claire en faveur de l’agriculture productiviste pour la question 6 : «Les animaux d’élevage devraient être traités avec des hormones pour rendre leur viande abondante et juteuse». Ah bon ? La viande aux hormones est meilleure ? Pourquoi dire non, alors ? Le questionnaire semble oublier que plusieurs hormones de croissance (testostérone, progestérone, œstradiol 17-beta…) sont tout bonnement interdites en Europe, car elles présenteraient des risques sanitaires pour la santé humaine (de cancers, neurotoxicité, etc.). Sans parler de leur impact sur les écosystèmes aquatiques, où elles échoient inéluctablement.
Le lien entre l’humain et le réchauffement climatique est aussi remis en cause, via une fausse question : «Je pense que le changement climatique est provoqué par l’homme: oui ou non ?». Mais non, bien sûr, c’est un processus planétaire normal du même acabit que les réchauffements qui ont eu lieu sur Terre lors des périodes inter-glaciaires, pourrait-on répondre…sauf si on connaît l’existence – ce qui ne semble pas être le cas des créateurs de ce questionnaire, du groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (Giec). Pour rappel, le Giec rassemble et synthétise depuis 1998 les données sur le climat de plusieurs milliers de scientifiques dans le monde. Une de ses conclusions est que le changement climatique en cours est «très probablement d’origine anthropique». L’agriculture contribuerait pour un cinquième des émissions totales de gaz à effet de serre et pour la majorité des émissions de méthane (un gaz à effet de serre 25 fois plus puissant que le CO2 en termes de réchauffement). Notamment via l’élevage et l’emploi de pesticides et d’engrais chimiques (source : rapport du Giec 2007).
Remarquons également que les citoyens ne peuvent pas librement s’exprimer sur la politique agricole européenne, le questionnaire ne contenant aucune question ouverte. Que les citoyens veuillent faire interdire les pesticides? Inenvisageable, au vu du questionnaire du Parlement (cf question 8). Quant à l’agriculture biologique, elle est à peine mentionnée, alors que les Européens sont de plus en plus demandeurs de produits bio.
Surtout, ce questionnaire élude les vraies demandes faites par la société civile : aides en faveur des performances écologiques des agriculteurs, arrêt des subventions aux exportations, développement des cultures de légumineuses, aides aux agriculteurs proportionnelles aux emplois créés, etc. Répondre aux –vraies – problématiques de l’alimentation sur notre planète nécessite un revirement complet de la politique agricole européenne. N’hésitez pas à aller voir les réclamations faites par le collectif Pac 2013 (qui regroupe LPO, Miramap, la Fnab, Terre de Liens et 19 autres organisations), et à vous joindre au mouvement citoyen de la Good Food March (qui regroupe des dizaines d’organisations, dont Bio Consom’acteurs).
A lire sur Bio Consom’acteurs: Mieux comprendre le fonctionnement de la Pac
Marche de la bonne nourriture vers Bruxelles
Good Food March à Paris le 16 septembre 2012