IA et GAFAM, pourquoi et comment (s’) en sortir ?
Une révolution industrielle à haut risque écologique et démocratique
En février dernier, Paris accueillait un sommet international sur l’intelligence artificielle (IA). En toile de fond : une course technologique mondiale, des investissements colossaux (plusieurs centaines de milliards de dollars) et une question fondamentale posée par Frédéric Marty (économiste au CNRS) : « Qui va posséder les machines-outils du XXIe siècle ? ».
>> D’après la série d’articles d’Alternatives Économiques que nous vous conseillons si vous souhaitez en savoir plus : https://www.alternatives-economiques.fr/ia-bataille-economique-derriere-revolution-technologique/00114009
Un capitalisme du cloud dominé par les géants du numérique
Déployer une IA générative comme ChatGPT ou DeepSeek nécessite une infrastructure massive : des serveurs puissants, des entraînements coûteux ( 6 millions de dollars pour DeepSeek, 100 millions de dollars pour ChatGPT), et une consommation d’énergie considérable. Ce modèle économique, que Frédéric Marty appelle « capitalisme du cloud », renforce la domination des GAFAM : Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft captent aujourd’hui 71 % des dépenses en service cloud des entreprises et consommateur·rices français·es.
L’Europe, et notamment la France, tente de rattraper son retard. Emmanuel Macron a récemment annoncé 109 milliards d’euros d’investissements privés dans l’IA, mais le continent reste absent du marché stratégique de fabrication de puces et de la location de capacités de calcul. Des acteurs comme OVHcloud ou MistralAI peinent à rivaliser avec les géants américains et chinois. Selon l’université Stanford, 61 superordinateurs sont basés aux États-Unis, contre 25 seulement en Europe.
Une dette écologique de plus en plus lourde
Les impacts environnementaux de l’IA sont souvent minimisés, alors qu’il y a là un réel danger. Pour le moment, les data centers, les cryptomonnaies et l’IA représentent 2% de la consommation mondiale d’électricité, et cette part grimpe avec les entraînements massifs. Entre 2020 et 2023, Microsoft a ainsi vu ses émissions de gaz à effet de serre augmenter de 29 %.
Le modèle GPT-3 d’OpenAI aurait émis environ 550 tonnes équivalent CO₂, soit autant que 500 allers-retours New York–San Francisco. Et l’impact ne s’arrête pas là. La fabrication des puces électroniques mobilise des ressources rares comme le silicium. En Chine, premier producteur mondial, le raffinage nécessite des quantités importantes d’énergie carbonée, de chlore, d’acides et de solvants, avec des conséquences graves pour l’environnement et la santé, notamment dans la région du Xinjiang.
À Taïwan, le fabricant TSMC, qui domine plus de la moitié du marché mondial des puces, consomme 156 000 tonnes d’eau par jour, soit plus de 10 % de toute l’eau utilisée sur l’île.
Pour Théo Alves Da Costa, cofondateur de Data for Good, « l’objectif des GAFAM n’est pas de protéger l’environnement, mais d’optimiser leurs coûts ». La mutualisation de la puissance de calcul ne permet pas, selon lui, de compenser les hausses d’énergie liées à la course à la puissance.
Des promesses d’efficacité… aux réalités du travail
Le FMI estime que 60 % des emplois dans les pays développés sont exposés à l’IA générative, et que la moitié pourrait être remplacée. Les témoignages de terrain révèlent toutefois une réalité plus nuancée : certains travailleurs utilisent l’IA pour gagner du temps, améliorer leurs décisions ou résoudre des problèmes.
Selon le sociologue Yann Ferguson, les dirigeants mettent surtout en avant la productivité, alors que les salarié·es cherchent souvent un appui plutôt qu’un remplaçant. L’analyse de Laure Baquero dans le panorama de l’Unédic souligne que toutes les études s’accordent sur une réalité : l’IA détruira certains emplois, en transformera d’autres, et en créera éventuellement de nouveaux – mais sans garantie que le solde soit positif.
Une autre IA est-elle possible ?
Irénée Régnauld, cofondateur du site Les Communs d’Abord, plaide pour une IA contributive, éthique et émancipatrice, loin du modèle extractiviste des big tech. Il cite la plateforme Decidim à Barcelone comme exemple d’un outil numérique participatif basé sur l’open source. Des projets comme Wikipedia, Open Food Facts ou OpenStreetMap montrent que des alternatives existent, plus sobres, transparentes et démocratiques.
Pour Karl Pineau, fondateur de l’association Les Designers Éthiques, il est techniquement possible de concevoir des réseaux sociaux plus respectueux des utilisateur·ices, aidant à « faire groupe » et/ou à s’organiser. Le problème reste le manque de financement et l’enfermement dans les grandes plateformes commerciales, faute de portabilité des données.
Reprendre la main sur nos outils numériques
Aujourd’hui, l’IA alimente un modèle d’hyperconsommation énergétique et de concentration des richesses. Réserver l’IA à des usages réellement prioritaires, comme le soin, l’éducation ou la transition écologique, suppose de repenser nos infrastructures et nos choix politiques.
L’IA est une révolution, mais elle n’est pas neutre. Si nous laissons les géants du numérique en dicter seuls les règles, nous risquons de renforcer un modèle écocide et antidémocratique. À nous, citoyen·nes, associations et collectivités, de revendiquer des outils numériques au service du vivant, sobres, ouverts et réellement utiles !