Il sera fumé ou non, rose à l’arête, parfois associé à l’oseille. Mais dans tous les cas, il sera génétiquement différent de ses congénères: le saumon transgénique —d’origine américaine— est annoncé sur les étals planétaires.
La Food and Drug Administration (FDA) américaine devrait, sous peu, donner son feu vert à la consommation —par l’homme— d’un saumon dont le patrimoine génétique a —par l’homme— été modifié. Si l’on excepte le cas très particulier des huîtres dont on a augmenté le nombre des chromosomes (huitres triploïdes), ce poisson sera le premier animal transgénique proposé à la consommation humaine.
Les différents animaux transgéniques qui avaient jusqu’ici été créés l’étaient à des fins de recherche scientifiques ou de production de médicaments; jamais à des fins alimentaires. Et tout laisse penser que la commercialisation de ce saumon d’un nouveau genre relancera la polémique récurrente sur les risques sanitaires et environnementaux inhérents à la consommation d’organismes végétaux génétiquement modifiés ou d’animaux obtenus à partir de la technique du clonage.
De qui s’agit-il ? Ce nouvel animal, protégé par brevet depuis 1996, a été créé par des généticiens d’AquaBounty Technologies. Cette société américaine s’est fixé comme objectif de participer au mieux à la «Révolution bleue», et ce en utilisant toute la gamme des biotechnologies pour augmenter la production et la rentabilité de l’industrie aquacole.
Ce poisson qui a déjà un nom de marque (AquAdvantage® Salmon) était au départ un saumon Atlantique (Salmo salar), une espèce présente dans les zones tempérées et arctiques de l’océan du même nom; un poisson aujourd’hui élevé de façon intensive, pour l’essentiel en Norvège (production annuelle de près d’un million de tonnes).
Un saumon qui grandit deux fois plus vite que son congénère non OGM
Les spécialistes d’AquaBounty ont réussi à greffer deux gènes étrangers au sein de son patrimoine génétique. Tout d’abord le gène qui assure la production de l’hormone de croissance chez le saumon Chinook (ou saumon royal, le plus grand des cinq espèces de saumons). Ensuite un gène assurant la production d’une protéine «anti-gel». Résultat: un saumon transgénique doté d’une puissante hormone de croissance et ce tout au long de l’année alors que l’expression naturelle du gène de l’hormone de croissance du saumon atlantique est réduite dans les périodes froides.
AquAdvantage® Salmon atteint une taille de commercialisation en un an et demi soit près de deux fois plus vite que son congénère «naturel». S’inquiéter? Nullement, à en croire Ronald Stotish, l’un des responsables d’AquaBounty, pour qui il ne faut voir là qu’une «d’une construction stable et sans danger».
Tout le monde, loin s’en faut, ne partage pas l’avis de Ronald Stotish. Plus que l’aspect sanitaire c’est la question environnementale qui semble poser les plus grandes difficultés. Comme dans le cas des organismes végétaux génétiquement modifiés, la crainte principale est celle de la dissémination de l’individu génétiquement modifié dans la nature. Que se passerait-il si AquAdvantage® Salmon parvenait à s’échapper des parcs où il serait élevé comme ses cousins génétiquement non modifiés. L’expérience montre qu’il est en effet pratiquement impossible d’élever des poissons dans des fermes aquacoles sans que certains parviennent à s’en échapper.
Quelles seraient, alors, les éventuelles conséquences? Les transgéniques auraient-ils, comme on peut le craindre, un avantage reproductif sur leurs congénères «sauvages»? Seraient-ils plus voraces? Peut-on imaginer au contraire qu’ils seraient une proie facile pour des prédateurs? AquAdvantage® Salmon est-il un monstre? Les responsables sanitaires américains ne le pensent pas. Bien au contraire. Après une série d’analyses (toxicologiques, moléculaires, endocriniennes etc.) approfondies le comité vétérinaire de la FDA conclut sans aucune hésitation: AquAdvantage® Salmon n’est rien d’autre qu’un saumon Atlantique. La preuve : aucune différence n’est retrouvée dans leur composition la plus intime; y compris dans leur concentration en oméga 3.
La libre circulation des aliments
Ainsi donc on pourrait introduire au sein du patrimoine génétique d’un organisme animal des éléments étrangers, en modifier les horloges internes de la croissance, le stériliser par voie génétique sans provoquer de modifications biologiques et a fortiori gustatives? Aux Etats-Unis, plusieurs associations de défense des consommateurs et de l’environnement dénoncent l’insuffisance des données scientifiques disponibles et leur partialité.
L’autorisation donnée à la commercialisation d’un tel saumon soulèvera immanquablement une nouvelle fois la question de la libre circulation internationale des aliments issus de manipulations génétiques ainsi que son celle de leur possible identification par le consommateur, à savoir celle de leur étiquetage. Nous avions appris depuis peu à faire la distinction entre «saumon» et «saumon sauvage».
Faudra-t-il, demain, imaginer que tout «saumon» pourra (ou pas) être transgénique? Pour répondre aux possibles risques de dissémination, une solution a été retenue: emprisonner les reproducteurs dans des fermes isolées dans les terres (au Canada et à Panama) et puis traiter par une technique bien connue (un «choc hyperbare») les œufs obtenus, afin de rendre stériles les poissons (triploïdes) qui en seraient issus. Cette procédure ne semble toutefois pas efficace à 100%.
L’affaire semble hautement plus sensible sur le Vieux Continent qu’aux Etats-Unis où la transformation génétique des aliments ne semble guère émouvoir l’opinion. A l’inverse, plus de trois Européens sur quatre déclarent être radicalement opposés à de telles manipulations alimentaires. Les responsables de grandes fermes aquacoles de Norvège voient eux aussi d’un très mauvais œil l’arrivée sur le marché d’AquAdvantage® Salmon. «Nous n’avons ni cochons monstrueux ni vaches monstrueuses en Europe et nous n’avons nul besoin d’un tel saumon», a ainsi expliqué à Reuters Geir Isaksen, responsable de Cermaq, l’un des leaders dans ce domaine. Pour l’heure l’industrie aquacole norvégienne produit cinquante fois plus de saumons atlantiques d’élevage que les Etats-Unis.
Un saumonstre
Pour l’heure l’Agence européenne en charge de la sécurité sanitaire des aliments (EFSA) a, concernant les saumons, bien d’autres priorités. Elle s’intéresse notamment à «l’impact des différents systèmes d’élevage sur le bien-être du saumon Atlantique». Sur ce point les experts européens ont conclu que les principaux facteurs affectant le bien-être du saumon atlantique sont «la qualité de l’eau, la densité de peuplement, l’alimentation et le calibrage; processus par lequel les poissons sont sélectionnés en fonction de la taille».
L’EFSA enquête également sur les «aspects du bien-être spécifique à l’espèce relatifs aux principaux systèmes d’étourdissement et de mise à mort du saumon Atlantique d’élevage». Et elle ne manquera pas de poursuivre ses travaux sur les conditions de bien-être de la truite arc-en-ciel, de la daurade royale, du bar, de la carpe et de l’anguille européenne.
Outre-Atlantique AquaBounty annonce d’ores et déjà la suite du feuilleton: des tilapias (sorte de carpes exotiques) et de truites génétiquement modifiées. Le nom de la ligne de ces nouveaux produits d’appellation d’origine génétiquement contrôlée? Rien de sorcier : AquAdvantage® Fish.
Jean-Yves Nau