Le secteur de l‘agroalimentaire est fortement touché par la crise sanitaire de ce début d‘année 2020. Pour pallier les problèmes d‘écoulement des stocks ou d‘approvisionnement en matières premières, la DGCCRF a autorisé deux dérogations : un assouplissement de certaines chartes des labels AOP, IGP et Label Rouge et une modification des recettes sans que cela n‘apparaisse sur les étiquettes.
Le contexte de crise sanitaire de 2020 a largement impacté l‘industrie agroalimentaire, à tous les niveaux. Les agriculteurs n‘arrivent pas à distribuer leur stock, les industries ont des difficultés à se fournir et les distributeurs doivent faire face à des pénuries. Il fallait agir pour faciliter le retour à la vie post-confinement, et c‘est dans ce but qu‘est intervenue la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) en autorisant ces deux changements.
Dès le 3 avril, l‘Institut National de l‘Origine et le qualité (INAO) a commencé à modifier les chartes et c‘est suite à une décision de la Commission européenne du 31 mars que la DGCCRF a autorisé les fabricants à changer leurs recettes. Ces mesures sont censées être applicables seulement pendant la durée de l‘urgence sanitaire, mais la DGCCRF ne donne pas de réelle indication sur leur arrêt. Seules certaines dates de fin sont fixées, au cas par cas.
Un assouplissement des chartes passé inaperçu
Plus de 50 chartes AOP, IGP et Label Rouge ont été corrigées pour laisser plus de temps entre la transformation des produits et leur commercialisation, et de ce fait éviter de jeter des produits consommables. L‘activité réduite des commerçants, due à la fermeture des restaurants, est la première cause de pertes de débouchés. Les agriculteurs n‘arrivent plus à vendre leurs produits et certains ont même été obligés de jeter leurs marchandises.
« Si on ne sort pas du confinement, il faut espérer que la grande distribution les écoule. Sinon, on devra broyer 6 000 salades par semaine. » confie Adrian Mastain, agriculteur, au journal La Voix du Nord.
Les cahiers des charges changent pour limiter le gaspillage, parfois au détriment de la qualité. A titre d‘exemple :
• La charte Label Rouge “Viande fraîche de veau nourri au lait entier“ dont l‘âge à l‘abattage était compris entre 105 et 160 jours, est étendu à 212 jours.
• La charte IGP “Gruyère“, dont la collecte du lait est passé de quotidienne à toutes les 36 heures, condamnant les vaches à garder des pis pleins 12 heures de plus que d‘habitude. La durée entre la première collecte de lait et le dépotage à la fromagerie est également passé de 6 à 9 heures.
• La charte AOP “Bleu d‘Auvergne“ avec un emprésurage* qui se fait non plus 16 heures mais 26 heures après la dernière traite.
Cette baisse de qualité s‘explique, mais elle doit être temporaire et annoncée de façon de transparente. Dans un premier temps, les labels concernés se sont seulement prononcés via un communiqué de presse “Label Rouge, AOP et IGP gardent le cap de la qualité et se préparent à l‘après-crise !“, n‘expliquant pas précisément les changements effectués. Depuis, une liste exhaustive des chartes modifiées a été publiée mi-mai sur le site de l‘INAO.
A contrario, les modifications qui touchent directement les conditions d‘élevage sont moins acceptables. La charte Label Rouge “Viande et abats frais et surgelés d’agneau de 14 à 22 kg de carcasse, nourri par tétée au pis au moins 90 jours ou jusqu’à abattage si abattu entre 70 et 89 jours“, par exemple, double le délai de 4 jours entre l‘enlèvement sur l‘exploitation et l‘abattage.
Ces assouplissements de chartes entament la qualité des labels et le bien-être des animaux. Il est essentiel qu‘ils ne soient que temporaires et qu‘une fois la période de crise sanitaire terminée, les chartes reviennent à leurs critères de qualité d’origine. Pourtant, certains produits, comme ceux labellisés AOP “Charolais“, ont une date de fin des modifications fixée en janvier 2021.
Des recettes modifiées sans avertir les consommateurs
Le 12 mai, la DGCCRF annonce aux consommateurs, par un article sur son site, qu‘elle autorise “que certains produits puissent être formulés de façon légèrement différente qu’à l’accoutumée ou fabriqués dans un site de production différent du site habituel, sans que cela ne soit reflété avec exactitude sur leur étiquetage.“
Cette autorisation mène :
• à ce que des produits provenant d‘ailleurs se vendent avec l‘étiquette “origine France“, comme pour les haricots verts extra-fin de Notre Jardin.
• à ce que des œufs codifiés issus de poules élevées en plein air ne le soient pas, ce qui est le cas pour les œufs Aspics de la marque Pierre Schmidt
• et à d‘autres changements dénoncés par Foodwatch dans un communiqué de presse.
Cette dérogation à la règle de transparence des étiquettes est motivée par des problèmes d‘approvisionnement des grandes surfaces et l‘impossibilité de modifier les étiquettes dans un court laps de temps. Il y a quand même quelques limites, comme le fait qu‘“aucun écart susceptible d’induire un risque pour les consommateurs, notamment les consommateurs allergiques, ne saurait être accepté“ et que chaque adaptation des recettes doit être justifiée par la crise sanitaire.
Après 5 semaines de pression de la part de l’association Foodwatch, la DGCCRF a mis en place une liste, mise à jour fréquemment, des produits dont les recettes ont été adaptées. Mais cette liste reste incomplète et les justifications exposées laissent courir le doute d‘une supercherie.
Tout comme les modifications de chartes, la date de fin des adaptations de recettes n‘est pas claire, puisqu‘elle ne se fera qu‘une fois les stocks épuisés, ou quand le réapprovisionnement sera de nouveau possible. Ce qui donne des recettes modifiées jusqu‘en 2021, comme pour le mélange de 4 champignons de la marque Belle France, qui ne pourra pas se réapprovisionner avant mars 2021.
« La réponse mise en place pour éviter toute pénurie est évidemment la bonne. La question que l’on pose c’est : « pourrait-on aller plus loin en termes de transparence pour le consommateur ? ». Le consommateur doit être au courant de ces changements, qui d’habitude ne sont pas du tout tolérés, sont illégaux. » Camille Dorioz, directrice de campagne de Foodwatch.
Foodwatch est une organisation à but non lucratif qui se bat pour une alimentation sans risques, saine et abordable pour tous et toutes. Nous faisons entendre la voix des consommateurs∙rices, nous militons pour plus de transparence dans le secteur alimentaire, et défendons notre droit à une alimentation qui ne porte atteinte ni aux personnes, ni à l’environnement.