Pourquoi faut-il s’opposer aux méga-bassines ?

Les plantes, comme nous, ont besoin d’eau et la raréfaction de cette ressource implique des choix sociétaux et un changement des modèles agricoles.

C’est quoi les méga bassines ?

Ce sont des infrastructures semblables à des piscines mais pouvant s’étendre sur plusieurs hectares jusqu’à mesurer l’équivalent de dix terrains de football. Elles sont creusées en pleine nature, au milieu de terres agricoles et rendues étanches pour pouvoir contenir des tonnes de litres d’eau : 650 000 mètres cubes, ce qui correspond à 260 piscines olympiques.Ces bassines hors-normes sont censées servir à l’irrigation des terres agricoles environnantes durant l’été et en période de sécheresse. Pour le remplissage, ces bassines bénéficient en partie de la récupération de l’eau de pluie mais elles comptent surtout sur le pompage des nappes phréatiques en hiver. Sur ce point, le remplissage des bassines doit respecter des règles pour éviter d’assécher les réserves d’eau souterraines. Théoriquement les nappes phréatiques sont plus remplies l’hiver et pourraient donc, selon les promoteurs de ces initiatives, supporter les prélèvements nécessaires au stockage. L’eau stockée dans ces réserves peut ainsi être utilisée par les agriculteurs pour irriguer et abreuver leurs élevages l’été, lorsque l’eau est plus rare dans les nappes phréatiques ou dans les cours d’eau en raison de la sécheresse.

Les bassines soulèvent de nombreux sujets

  • Le pompage dans les nappes et les cours d’eau

Pour remplir ces bassines, des opérations de pompage des nappes phréatiques ou des cours d’eau sont nécessaires. Même si cette opération a lieu en hiver, les pompages accentuent la pression sur les ressources en eau, alors que les nappes phréatiques peinent à se reconstituer. En effet, La sécheresse exceptionnelle qui a frappé la France cette année se fait toujours ressentir.

La majorité des nappes phréatiques en France ont continué de se vider en septembre. D’après le Bureau de recherches géologiques et minières, « des pluies abondantes et longues seront nécessaires dans les prochains mois et jusqu’au printemps afin de reconstituer durablement les réserves« . Selon le même bureau, « l’unique solution pour préserver l’état des nappes (…) et préparer l’année 2023, est de limiter les prélèvements » .

  • Une solution temporaire pouvant aggraver la situation à moyen et long terme

Les bassines sont souvent présentées comme une solution, mais elles pourraient en réalité aggraver les difficultés. Elles participent à assécher les sols, et leur efficacité est limitée et temporaire sur les cultures.  Selon une étude parue en 2018, ces aménagements hydrauliques pourraient réduire de 10 % les besoins en irrigation, mais conduiraient à une augmentation à hauteur de 50 % de l’intensité des sécheresses sur l’ensemble du bassin. On maintiendrait donc sous perfusion un système réservé à un petit nombre et à un certain type de pratiques.

  • Un petit nombre de bénéficiaires

7,3 % des surfaces agricoles étaient irriguées en France en 2020. Vue la raréfaction de la ressource en eau, il paraît difficile aujourd’hui d’envisager un développement à large échelle de l’irrigation. Les bassines ne sont pas destinées à l’ensemble des paysans, mais à une petite part de bénéficiaires, qui ont majoritairement des pratiques intensives et industrielles. Ce modèle intensif implique des choix de semences gourmandes en eau (comme le maïs) et qui sont surtout destinées à l’alimentation du bétail. Nous sommes loin d’un service rendu à l’autonomie alimentaire et d’un soutien aux agriculteurs dans leur ensemble.

  • L’impact sur la biodiversité et la nature

En stockant une eau qui se serait infiltrée dans les sols, ou qui aurait ruisselé dans les cours d’eau, les bassines privent les écosystèmes environnants d’une ressource vitale, qui permet notamment aux zones humides et aux sols de se reconstituer pendant la période hivernale. Elles transforment également une ressource courante et vivante en eau stagnante, qui s’évapore et se dégrade. Les pertes liées à l’évaporation dans ce type d’ouvrages se situeraient entre 20% et 60%, selon Christian Amblard, directeur de recherche honoraire au CNRS et spécialiste de l’eau et des systèmes hydrobiologiques. La multiplication de ces méga-bassines est d’autant plus problématique qu’elles se retrouveront à partager une même ressource limitée.

  • Le soutien d’un modèle agro-industriel au détriment des autres solutions

Les méga-bassines servent essentiellement à alimenter des productions très gourmandes en eau, comme le maïs, majoritairement destiné à l’élevage industriel. Elles servent avant tout les intérêts des acteurs agro-industriels, au détriment de solutions locales et paysannes. En subventionnant ces ouvrages, les pouvoirs publics contribuent encore à l’industrialisation de l’agriculture et à un usage accru d’engrais chimiques et de pesticides... Autant de substances qu’on retrouve par la suite dans le milieu naturel. Le problème n’est donc pas simplement la bassine, mais le modèle agricole qu’elle sous-tend. Alors même que les conséquences du réchauffement climatiques s’accumulent, soutenir un modèle qui ne préserve ni le climat ni la biodiversité, en accaparant une ressource en eau qui se fait rare, mériterait un débat de société.

  • Une dépense publique majeure au service d’une minorité et au détriment de tous-tes

Ces bassines ont un coût exorbitant de plusieurs dizaines de millions d’euros. Financés à 60 % par l’état et les régions, les bénéfices vont aux intérêts privés d’une petite minorité d’agriculteurs (4 à 7 % en fonction des bassins).

Les éleveurs, les agriculteurs bio, les céréaliers non irrigués ou les exploitants engagés dans la protection des captages d’eau potable, ne bénéficient pas d’un tel soutien.
C’est aussi une double peine pour les citoyens, qui participeront d’abord à financer la construction des bassines, et ensuite le coût de la dépollution de l’eau par leurs impots et leurs factures.

  • Un dialogue de sourds avec les pro-bassines

Les « pro bassines », parmi lesquels la FNSEA, avancent l’idée que les bassines permettront d’aller vers une transition écologique des pratiques et mettent en avant que des exploitations bio bénéficient de ces réserves. De plus, ils soulignent l’urgence liée à la sécheresse, pour maintenir la production sur les territoires concernés. Ces deux arguments ne prennent pas en considération les études disponibles et les enjeux soulevés précédemment. La logique se part d’œillères et nous pourrions la résumer ainsi : « les exploitations ont besoin d’eau, avec ce soutien, elles pourront maintenir leur production et aller vers des pratiques plus vertueuses. »

L’idée qu’un modèle agricole viable comme l’agro-écologie existe et permette une autonomie alimentaire sur les territoires, tout en préservant les sols, le climat et la biodiversité n’est pas audible car ce modèle s’oppose intrinsèquement au fonctionnement d’un système agro-industriel, menacé par le réchauffement climatique et de plus en plus décrié par la société civile.

Le dialogue est donc complexe et peut faire penser à la contestation du projet d’aéroport de Notre Dame des Landes. D’un côté, les opposants défendaient la préservation des zones humides, l’arrêt de grands projets inutiles et coûteux, en faveur de projets collectifs et respectueux du vivant, lorsque les arguments des partisans se contentaient de dénoncer la supposée violence des militants, les intérêts privés pour quelques personnes et les retombées économiques du projet.

Face à la crise climatique et alimentaire, l’agro-écologie et la bio sont des solutions

Interview de Benoît Biteau, paysan bio et eurodéputé

Nous avons demandé à Benoît Biteau, paysan bio et euro-député de répondre à quelques questions, voici des extraits de son interview complète, à retrouver en intégralité en cliquant ici

  • Que penses-tu des arguments des pro-bassines sur l’opportunité d’aller vers des pratiques plus vertueuses grâce à ces infrastructures ?

Si on avait mis en place des pratiques vertueuses, on aurait fait le constat qu’on était moins dépendant de l’eau d’irrigation et sûrement plus opérationnel sur notre faculté à préserver la ressource en eau. Il faut donc faire l’inverse : mettre en place des pratiques plus vertueuses et on fera très vite le constat qu’on a besoin de beaucoup moins d’eau d’irrigation et moins besoin de stockage. S’ils sont dans une stratégie de vouloir stocker de l’eau, c’est précisément parce qu’ils ne veulent pas avancer vers des pratiques plus vertueusesIls veulent continuer, ne rien changer, en faisant de ces équipements une fuite en avant, qui va permettre de prolonger des logiques qui ne sont pas vertueuses.

  • Comment les nappes phréatiques sont-elles impactées ?

[…] On est allés très loin dans la mobilisation de l’eau souterraine, au point qu’à peu près à toutes les profondeurs (y compris les nappes très profondes), on a sévèrement impacté la ressource. Plutôt que de revisiter cette dépendance à l’eau, il y a cette stratégie de ne pas réduire les volumes, et préférer mettre de l’eau dans des retenues l’hiver, pour pouvoir la capter l’été. […] On va capter de l’eau souterraine pour remplir des réservoirs, qui vont stocker de l’eau que l’on va mettre à l’air libre, en surface, s’exposant à de l’évaporation, du réchauffement et donc au développement d’organismes potentiellement dangereux. Le stockage aérien par rapport à des stockages souterrains est complètement délirant. […]

En déclenchant le remplissage sur la base [des niveaux officiels], on impacte le volume qui, de fait, se réduit et n’est plus suffisant pour remplir les nappes.  […]On utilise ce volume, effectivement en quantité suffisante pour recharger les nappes, pour remplir les bassines. Ce volume n’est donc plus disponible pour remplir les nappes. On sort à la fin du mois d’avril, avec des bassines pleines et des nappes qui n’ont pas pu se remplir.

Nous ne sommes pas sur de la substitution à 100 %. Sur le bassin versant de la Sèvre Niortaise, il y 300 irriguants qui aujourd’hui s’inscrivent dans une démarche de solidarité, consistant à dire qu’ils sont 300 à participer au financement pour la part restant à leur charge, car 80% est financé par de l’argent public. Sur ces 300, seuls, 220 vont être directement connectés aux bassines. Cela signifie que 80 vont continuer de prélever dans la ressource naturelle, dans les nappes, pendant l’été. Ces nappes, qui vont sortir du printemps déjà impactées par le remplissage des bassines, vont continuer d’être impactées par les prélèvements d’été de ces 80 irriguants. Sous le motif qu’ils financent, ces irriguants auront les mêmes dispositifs et facilités que les autres, sous prétexte qu’ils participent financièrement aux bassines, sans y être pourtant connectés. L’impact que va avoir ces prélèvements va être terrible sur les nappes profondes. On risque d’avoir l’effet totalement inverse à celui qu’on nous promet : une dégradation de la situation et de la gestion de la ressource en eau sur le marais poitevins.

[Les responsables] sont ceux qui ont arraché des arbres, retourné les prairies humides, drainé les zones humides, drainé les zones d’épandage de crues, ce qui fait que sur les bassins-versants, on ne retient pas l’eau pour qu’elle ait le temps de satisfaire cette inertie de rechargement. Ces « pompiers pyromanes »[…] sont ceux-là même qui disent d’ailleurs que c’est scandaleux de laisser partir cette eau à la mer aussi vite sans la retenir, alors même qu’ils ont créé toutes les conditions pour arriver à cette situation. Ils nous disent maintenant, alors que l’eau part à la mer, qu’il faut la retenir, mais chiche ! Retenons-la, mais pas dans les bassines, sur les infrastructures, sur les bassins-versants, comme des prairies humides, comme des zones d’épandages de crues, comme des haies, comme des arbres en agroforesterie, qui font qu’on retient ces volumes sur les bassins-versants pour qu’ils aient le temps de satisfaire cette inertie de remplissage. Cette solution, elle existe et renvoie à la première question : c’est celles-là les pratiques plus vertueuses qu’on doit mettre en œuvre, plutôt que de s’obstiner dans des logiques de stockage qui ne règlent absolument rien. 

  • Quel discours tiens-tu auprès des bénéficiaires de ces projets ? Quel discours spécifique est tenu vis-à-vis de la petite minorité d’agriculteurs bio concernés ?

Je leur dis que ce sont des personnes qui refusent de se remettre en cause, qui refusent d’intégrer les grands défis pour lesquels on a rendez-vous avec l’histoire, que ce soit le dérèglement climatique, l’effondrement de la biodiversité, la santé ou le revenu des paysans eux-mêmes. Ce sont des personnes qui refusent de revisiter leurs pratiques agricoles et qui préfèrent mobiliser beaucoup d’argent public dans des réponses qui ne sont que des fuites en avant. La mobilisation contre les méga-basssines est essentielle et symbolise le choix du modèle agro-alimentaire que nous avons à faire collectivement.

Quand on mobilise autant d’argent public, on ne peut pas remettre le débat qu’entre les mains de quelques agriculteurs. C’est un débat de société.
Les bénéficiaires de ces bassines ne représentent que 6 % des surfaces agricoles. Quand j’entends un président de la République, un ministre de l’Agriculture et deux présidents de région nous dire qu’il n’y a pas d’agriculture sans irrigation, je trouve ça parfaitement insultant et injurieux pour les 94% des paysans qui réussissent à produire sans avoir recourt à l’eau d’irrigation.

Qu’est-ce qui autorise cette minorité à mobiliser autant d’argent public pour des équipements qui ne servent qu’une partie infime de la population agricole ? Qu’est-ce qui autorise une population aussi infime à mobiliser 80 % de la ressource en eau en été pendant que les 94 % des surfaces non irriguées sont victimes de cette mauvaise gestion de la ressource en eau ? Ce que je leurs dis, c’est que ce sont des égoïstes, qui ne pensent qu’à eux et qui piétinent les 94 % des autres agriculteurs. Quant aux quelques agriculteurs bio impliqués dans ces projets, ce sont juste des faire-valoir. Ce sont les idiots utiles de ces projets. […]

  • Comment les consommateurs et consommatrices qui nous lisent peuvent agir ?

En se manifestant ! Il y a plein de rendez-vous citoyens où on peut se manifester pour dénoncer tout ça et il y a les consultations régulières des agences de l’eau qui sont les principaux financeurs.

50 % du financement des bassines sont portés par ces mêmes agences de l’eau. Le principe fondateur des agences de l’eau, c’est le principe de pollueurs-payeurs. Aujourd’hui, quand on y regarde, le budget des agences de l’eau est constitué par les usagers de l’eau, c’est-à-dire ceux qui payent leurs factures d’eau … Ce sont les usagers-citoyens qui sont les principaux financeurs des agences de l’eau. Il ne faut pas se voiler la face, le modèle agricole adossé à ces bassines est un modèle gourmand en pesticides et en engrais chimiques, qui vont justifier qu’on mobilise beaucoup de moyens pour dépolluer la ressource, qui va être contaminée par ces pratiques agricoles. L’usager-payeur va donc voir le budget des agences de l’eau utilisé pour dépolluer l’eau. On est dans un principe où le payeur (l’usager) est pollué et où le pollueur est payé, soit l’inverse du principe fondateur des agences de l’eau. On continue donc à soutenir une agriculture qui pollue et qui nous éloigne du principe « pollueur-payeur ». Les citoyens doivent prendre conscience de ce mécanisme et alerter leurs agences de l’eau.
Quand il y a des rassemblements citoyens comme à Sainte-Soline, même quand ils sont interdits par la préfète, on doit être nombreuses et nombreux pour montrer notre détermination afin de montrer que la société civile n’adhère pas du tout à ces projets-là, qui sont réalisés avec de l’argent public.
[…] Puisqu’on a choisi de nourrir les animaux avec du maïs, on importe de la déforestation et du dérèglement climatique. Le consommateur peut exiger de manger des produits laitiers ou des produits carnés qui ne soient issus que de modèles herbagés, c’est-à-dire issus d’élevage où l’agriculteur a renoncé au maïs et donc au soja et ne s’appuie que sur des logiques herbagères. Coluche disait « si on en n’achetait plus, ça ne se vendrait pas », et c’était en 1978… si on s’appliquait ce principe en tant que consommateur, on aurait un levier pour faire entendre aux personnes qui veulent confisquer la ressource en eau, qu’on ne veut plus de maïs, pour nourrir des herbivores qui pourrait manger de l’herbe !

Dans ce cas, on allume un cercle vertueux : si on nourrit les herbivores avec de l’herbe, on recrée des prairies, donc on peut stocker de l’eau quand il y a des crues et puisqu’on aura stocké l’eau sur ces prairies, on pourra recharger les nappes souterraines, dont on a besoin pour satisfaire en eau potable les citoyens, mais également aussi satisfaire les faibles besoins d’irrigation, notamment des maraîchers bio.

  • Cette mobilisation, est-elle celle de l’agro-écologie face au modèle agro-industriel ?

C’est un marqueur fort en effet, car la première réponse pour avancer des alternatives aux bassines, c’est précisément l’agro-écologie. Changeons d’agriculture plutôt que d’investir dans ces fuites en avant. En Poitou-Charentes, il y a 400 millions d’euros réservés à la création des bassines. Imaginez si on mettait plutôt 400 millions sur la table pour accompagner la transition agro-écologique, on pourrait avancer de façon vraiment significative.
Il y a aussi une dimension qui est peu évoquée, c’est la problématique des estuaires, du littoral et de la ressource en eau dans le milieu marin. Ces pratiques agricoles, ces bassines, amplifient la dégradation des écosystèmes marins, estuariens et des littoraux. Donc c’est une mauvaise gestion de l’eau, de la source à la mer. Dans cette mobilisation à Sainte-Soline, il y avait aussi les paysans de la mer qui expriment leurs besoins, pour continuer à pratiquer leurs activités, afin que la ressource en eau soit mieux respectée.[…]

Nous remercions Benoit Biteau de nous avoir accordé cette interview.

Retrouvez l’interview complète ici

 

 

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