Tribune : Après le Covid-19, garantir le droit à une alimentation choisie

« La crise sanitaire fait ressurgir la peur ancestrale du manque de nourriture. Jusqu’à aujourd’hui, l’accès à l’alimentation est garanti pour la quasi-totalité de la population, grâce au formidable travail des paysans, des commerçants et des salariés de toute la chaîne agroalimentaire.

Mais n’oublions pas que, déjà avant cette crise, 7 millions de personnes étaient en situation de précarité alimentaire dans notre pays. Au-delà de la nécessaire solidarité actuelle, notre société devra travailler à garantir le droit à une alimentation choisie, diversifiée, de qualité, respectueuse de l’environnement et des animaux.

Reconquérir notre souveraineté alimentaire

La situation actuelle met en lumière notre profonde vulnérabilité : des campagnes vidées de leurs paysans et une alimentation dépendante de marchés mondiaux. Pourtant, ne pas produire notre alimentation est une folie. Comment comprendre qu’un pays comme le nôtre importe 50 % de sa consommation en fruits et légumes ? Que faute de saisonniers roumains ou marocains sous-payés, la paralysie guette quelques secteurs agricoles ? Que la France importe chaque année l’équivalent de la surface agricole de la Belgique en soja majoritairement OGM pour nourrir les animaux de certains élevages ? Cette crise démontre l’urgence de reconquérir notre souveraineté alimentaire et de placer les territoires au cœur de cette stratégie.

Parmi la population, la prise de conscience est réelle : les magasins de producteurs ne désemplissent pas, les élus locaux se battent pour rouvrir les marchés, les produits bio s’arrachent : les actes citoyens confirment un désir de denrées respectueuses de la santé publique et de revitalisation des zones rurales. Désormais, ce sont aux actes politiques de refonder nos systèmes agricoles et alimentaires, à l’instar des « décisions de rupture » pour l’après-crise promises par Emmanuel Macron. Le défi est ambitieux mais indispensable pour faire face en même temps au changement climatique et à l’effondrement de la biodiversité, combats qui ne conditionnent rien de moins que notre survie !

La période exige de changer de cap

L’Union européenne (UE) a évidemment un rôle central à jouer : à quoi sert l’Europe, si ce n’est à coordonner et impulser une nouvelle vision pour transformer nos modèles ? La crise vient percuter de plein fouet la négociation sur la future PAC (Politique agricole commune). Il serait incompréhensible et désastreux de ne pas tenir compte des enseignements de cette période pour la réformer en profondeur. La prochaine PAC doit impulser la diversification des territoires, la relocalisation (y compris de la vente) et la transition agroécologique. Consolider la résilience alimentaire de l’UE suppose de se tourner vers l’essentiel : produire de manière durable pour nourrir toute notre population.

Loin du repli sur soi, la voie de la souveraineté alimentaire est la seule capable de produire de la solidarité avec les pays du Sud. Cessons les accords de libre-échange, les exportations condamnant les paysans locaux à la misère et les importations de soja ou huile de palme détruisant leur environnement, mais développons le commerce équitable. Chez nous, la transition ne se fera pas sans des conditions de travail et de revenus décentes pour les paysans et les salariés de la transformation ou de la distribution.

La période exige de changer de cap. Sachons saisir cette opportunité pour mettre l’alimentation au cœur du monde d’après : noble projet qui fait sens pour rebâtir une société plus juste et plus vivable. »

 

Mathieu Courgeau, paysan en Vendée, Président de la plateforme Pour une autre PAC, qui rassemble 41 organisations paysannes, environnementales, de bien-être animal, de solidarité internationale et de citoyens consommateurs.

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