Interview – Les acteurs de l’agriculture bio entendent imposer le sujet au cœur des débats présidentiels. Rencontre avec Dominique Marion, président de la Fédération nationale de l’agriculture.« Osons la bio ! » C’est le titre d’une campagne lancée par la Fédération nationale de l’agriculture (Fnab), les associations Terre de lien (qui soutient l’installation de paysans bio) et Bio Consom’acteurs. Le but ? Que l’agriculture biologique et le changement de société qui va avec fassent partie des préoccupations des présidentiables.
Une pétition à signer en ligne leur est adressée : « Nous demandons aux candidats à l’élection présidentielle de 2012 de s’engager à soutenir avec force le développement de la bio par des mesures financières, fiscales et d’accompagnements techniques. » Les membres d’« Osons la bio ! » veulent 20% de terres bio en 2020, avec « relèvement de la TVA sur les pesticides (actuellement de 5,5 %) et suppression des fonds publics pour les technologies OGM en agriculture ».
Ils tenaient colloque ce vendredi 25 novembre, à Paris, à la Bibliothèque François Mitterrand. Et pour se faire entendre, avaient invité les représentants [1] des candidats. Bilan des courses avec Dominique Marion, président de la Fnab.
Terra Eco : Jusque là, le sujet de l’agriculture en général et de la bio en particulier est quasiment absent du débat présidentiel…
Dominique Marion : Quand on appelle les candidats, ils nous en parlent, mais à l’extérieur, ils n’en disent pas un mot. Ca n’est pas le sujet majeur des programmes, encore qu’il en soit question dans l’accord récent entre le Parti Socialiste (PS) et Europe Ecologie – Les Verts (EELV).
Oui, mais même entre le PS et EELV, c’est le nucléaire qui prend toute la place du débat public.
Il est certain que le nucléaire et la crise seront les thèmes majeurs de la campagne. Notre boulot va consister à faire parler aussi d’autre chose, de la bio et du changement de société qui va avec. N’oublions pas que derrière les mots « nucléaire » et « crise », il y a les mots « sécurité » et « peur ». Monopoliser le débat sur ces thèmes, on nous a déjà fait le coup plusieurs fois. C’est fatigant. On ne peut pas gouverner là-dessus. Il faut une dynamique.
Parmi les propositions faites par les représentants des candidats présents à votre colloque, lesquelles vous semblent intéressantes ?
Tout le monde a dit que l’agriculture était importante, que la réforme de la PAC européenne serait primordiale, qu’il y a une faillite à la fois environnementale, sociale, économique, que l’agriculture est dans une impasse, que la bio c’est bien… Ils sont tous quasi d’accord sur le constat, on n’entend plus dire que l’agriculture c’est la richesse, le pétrole vert de la France. Donc rien n’est perdu ! Mais tout reste à décider… Aucune des propositions n’est encore à la hauteur.
Y a-t-il tout de même des idées à sauver, parmi les discours des uns et des autres ?
Certes, Stéphane Le Foll (PS) a replacé toutes ces questions dans le contexte européen en crise, Laurent Levard (Front de Gauche) a bien dit qu’il ne fallait pas écarter la question des prix et du revenu des paysans, et ils ont raison. Mais il n’y a pas de propositions concrètes, certaines sont même complètement décalées. Antoine Herth, secrétaire national chargé de l’agriculture à l’UMP, qui représente le pouvoir en place, est presque celui qui a été le plus clair. Ceci dit, le gouvernement n’a pas fait son boulot. Les autres diffusent des grandes idées qu’on connaît, mais aucun n’explique ce qu’il va faire. Il va falloir qu’on se revoie !
Vous faites 20 propositions, lesquelles voudriez-vous mettre en avant ?
La priorité c’est de changer la gouvernance agricole, c’est une mesure transversale. Aujourd’hui et depuis cinquante ans, tout est verrouillé par une poignée de gens. Ce sont deux générations de paysans qui font fonctionner un système tel qu’il leur convient. Ensuite, il faut organiser des filières bio innovantes : nous ne devons pas rester sur les changements de pratiques, c’est toute l’économie de la filière bio qu’il faut travailler. En numéro trois, je mettrais la question du foncier. Beaucoup d’agriculteurs disparaissent et les terres sont rachetées par les grosses fermes existantes. Ce système ne profite pas aux paysans, ne fait pas vivre les territoires. Les dérives sont multiples : il faut aussi envoyer loin la production pour qu’elle soit transformée. Ce fonctionnement n’est pas rentable. Il est valable dans un système où le pétrole est abondant et bon marché. Comme ça n’est plus le cas, tout va s’écrouler.
[1] J’ai nommé : Marc Fesneau du Modem pour François Bayrou, Laurent Levard, représentant de Jean-Luc Mélenchon (Front de gauche), Pascal Durand pour Eva Joly (EELV), Stéphane Le Foll, chargé de l’organisation de la campagne de François Hollande (PS) et Antoine Herth, secrétaire national chargé de l’agriculture à l’UMP.