03/07/24 – Serge Rivet, un administrateur nous livre un témoignage émouvant de ses jeunes années, et d’un humanisme pour lequel il a fallu se battre – et que nous ne sommes pas prêt.es à perdre.
Lorsque j’étais enfant, autour des années 1970, à l’extrême nord de l’Occitanie limousine, je jouais dans la paille à l’étage de l’étable au-dessus des vaches. Je buvais le lait chaud que mon oncle venait de traire à la main. Avec 15-20 bêtes, il y avait de quoi vendre quelques veaux, en plus que de fournir du lait cru, bon pour nous et pour quelques familles du village. Il y avait aussi beaucoup de légumes secs et quelques variétés de céréales pour les animaux.
La foi que cela me procurait était celle du travail accompli pour entretenir la terre, pour se nourrir et pour organiser le village. Il y avait la force du groupe et l’obligation de la solidarité envers tous dès que besoin, bref, les valeurs de la République.
Dans les années 1930-1940, les métayers s’étaient révoltés pour accéder au statut de fermiers ou de petits propriétaires. Nous en étions les descendants. Nous représentions la majorité des travailleurs paysans de cette région, 200 ans après la Révolution française.
Dans mon enfance, l’ordre noir de l’État fasciste planait encore, lourdement, comme un orage que mes aïeux avaient su vaincre, parfois au prix de quelques vies de proches. Il avait fallu s’engager, résister, désobéir, refuser l’embrigadement, ne pas se suffire des discours prometteurs, trompeurs et, souvent, des menaces des personnalités ou des autorités locales ou plus lointaines.
Une bonne école pour se forger sa propre opinion, croire en soi, à partir de rien, chercher toujours pour améliorer sa condition. De bonnes bases pour se mobiliser sans relâche pour améliorer le quotidien de tous, des vieux, des enfants, des réfugiés.
C’est dans ce contexte que dans les années 1980-1990 je me suis engagé dans la filière de l’agriculture biologique. Il était impératif de rétablir la confiance avec la population, avec les consommateurs. Il était aussi impératif de nourrir la terre, de la regarder vivre. Et nous étions convaincus que la valorisation des produits allait améliorer la rémunération des paysans. Très vite nous nous sommes aperçus que pour que les consommateurs aiment nos produits, il était impératif de réduire les intermédiaires.
Ainsi, avec Nature et Progrès et avec une grande majorité de jeunes paysannes et paysans de la Confédération paysanne, nous avons démontré par la preuve que l’agriculture biologique tenait ses engagements : garantir la qualité des produits, assurer son modèle agronomique et rémunérer ses travailleurs.
Dans ces années 1990, en parallèle de la création du label AB et de ses modes de certification (contrôles et conseils), nous avons crée l’Alliance Paysans-Écologistes-Consommateurs.
De-là sont apparues les coopératives bio, les ventes à la ferme, puis les AMAP, etc…
Et puis l’association Bio Consom’acteurs est apparue. Elle rassemble depuis beaucoup de militants qui gravitent dans ces réseaux.
Mais si l’agriculture biologique a pu se développer, c’est évidemment aussi parce que le contexte politique du pays nous a permis de travailler.
Nous avons également développé des domaines de recherche agronomiques qui ont travaillé sur la diminution des intrants, sur la résistance parasitaire, mais aussi sur l’évolution du machinisme agricole, sur les grandes transitions énergétiques (la fin du pétrole par exemple).
Or, aujourd’hui, j’ai l’impression que toutes ces recherches, toutes ces expériences, toutes ces avancées au service des paysannes et des paysans, au service des consommateurs, au service de nos enfants, que toutes ces vies de passions risquent d’être gâchées par la bêtise humaine, par la victoire des thèses du rejet des consensus scientifiques sur les dégâts de l’agro-industrie et de la pétrochimie, sur les connaissances des grands cycles industriels, sur ce que l’on sait de la disponibilité des matières premières.
Ne laissons pas les passions identitaires et autoritaires réduire à néant toutes ces années de transition et toutes ces initiatives de développement.
Non, ce ne sont pas les écologistes de la terre qui contraignent les paysans, ce sont les exploitants agricoles qui sont submergés par l’écologie de la terre.
Ils en deviennent abrutis de frayeur, incapables de chercher à être innovants et de s’adapter collectivement.
La colère n’est-elle pas le premier symptôme de la peur ?
Non, je ne me résoudrai jamais à penser que l’agriculture puisse être le foyer de la haine et de la bêtise humaine de type fasciste, qui légitime la barbarie des pires systèmes politiques.
La bio est toujours la plus belle des agricultures lorsqu’elle est au service de la coopération entre les peuples et de l’humanité.
Aujourd’hui, je continue à boire du lait cru de vache, mon âme d’enfant républicain ne mourra jamais.
Serge Rivet, administrateur de Bio consom’acteurs