Quelques mots sur vous avant de commencer cet entretien ?
Bonjour, je m’appelle Nadine Lauverjat et je suis la Déléguée générale de l’association Générations Futures, association dans laquelle je suis investie depuis plus de 20 ans.
Avant cela, j’ai pu travailler au sein d’une association de recherche sur le cancer très active sur la dimension « santé environnementale » et qui a été à l’initiative en 2003 du premier colloque à l’UNESCO sur l’importance de mettre au cœur des politiques publiques cette dimension. L’objectif étant de travailler sur la prévention en limitant les expositions des populations à des substances nocives et donc d’agir sur l’aval plutôt que sur l’amont.
Mon cursus universitaire (DEA d’Histoire et DESS de Management) ne me prédestinait pas vraiment à me retrouver dans ce milieu, mais la question de l’environnement étant au cœur de mes préoccupations, j’ai pu mette à profit mes connaissances pour rendre concrets mes engagements.
Quelles sont vos actualités et les combats de Générations Futures pour 2022 ?
Générations Futures est une association loi 1901 reconnue d’intérêt général qui existe depuis plus de 25 ans maintenant et dont les missions principales sont de dénoncer l’impact des pesticides sur la santé et l’environnement et de promouvoir leurs alternatives. Elle a récemment élargi son combat a d’autres polluants chimiques comme les plastifiants ou encore les perfluorés, la demande d’informations et d’actions sur ces sujets se faisant de plus en plus pressante.
En 2022, Générations Futures va avoir de nombreux combats à mener notamment sur la question cruciale de l’évaluation et l’homologation des produits chimiques. Des réglementations très importantes vont être en discussion au niveau européen sur ces sujets. Ainsi, la Directive qui encadre l’utilisation des pesticides et le règlement REACH qui concerne la mise sur le marché des produits chimiques autre que pesticides sont en révision. Il va falloir durant toute cette année démontrer que les textes actuels et leur mise en application pose des problèmes. Nous devrons mettre en lumière les carences et les biais dans les évaluations qui engendrent des autorisations de mise sur le marché de substances pourtant considérées comme dangereuses pour la santé et/ou l’environnement. Le cas du glyphosate est particulièrement emblématique de cette situation et d’ailleurs ce dossier va grandement nous occuper en 2022 puisque l’autorisation de cet herbicide arrive à terme en décembre de cette année.
Nous allons aussi continuer d’agir sur la question des victimes des pesticides et essayer de faire en sorte que les textes qui encadrent l’utilisation de ces produits au niveau national soient rendus plus protecteurs. Nous avons déjà obtenu collectivement quelques victoires sur ce dossier mais le gouvernement actuel s’entête à ne pas vouloir faire évoluer la réglementation notamment en appliquant des zones non traitées réellement protectrices à proximité de habitations des riverains, et donc des populations vulnérables. Les humains sont victimes de ces produits, mais la biodiversité subit également de lourds impacts. Cette année encore nous resterons mobilisés pour préserver les pollinisateurs au travers de notre opposition au retour des néonicotinoïdes et d’actions de plaidoyers, juridiques ou médiatiques. D’autres dossiers sur les produits chimiques vont également être investigués comme la question des perturbateurs endocriniens engendrant une expositions des populations particulièrement vulnérables comme les enfants ou les femmes enceintes.
La dénonciation des effets ne peut se faire sans la promotion de leurs alternatives et bien sûr cette année encore nous allons animer et coordonner la Semaine pour les alternatives aux pesticides (SPAP) qui se tient maintenant depuis plus de 17 ans chaque année et qui a lieu du 20 au 30 mars période de reprise des épandages de pesticides. Près de 50 partenaires – dont Bio consom’acteurs qui a toujours fait preuve d’un super investissement durant cette Semaine – sont mobilisés au niveau national et international et de très nombreux acteurs locaux organiseront de nombreux événements partout sur le territoire, à la fois en présentiel et en distanciel. Notre objectif : permettre aux citoyens d’en savoir un peu plus sur les effets néfastes des pesticides et sur leurs alternatives. Il y aura donc, durant ces 10 jours, des conférences-débats, des concours, des projections de films, des visites de fermes, des ateliers pédagogiques etc.
Et bien sûr l’année 2022 est marquée par les échéances électorales. Générations Futures va rester mobilisée pour :
• Proposer des recommandations clefs en main de politiques à mettre en œuvre dans le domaine des produits chimiques dangereux aux candidats[1],
• Maintenir la pression sur les candidats en décryptant et vérifiant tous leurs propos sur ses thématiques[2],
• Sensibiliser le plus grand nombre et de manière continue, à la dangerosité des polluants chimiques et aux alternatives existantes.
Pourra-t-on un jour réussir à se passer des pesticides de synthèse?
Finalement la question n’est pas tant de pouvoir que de vouloir ! Des agriculteurs ont fait le choix depuis de nombreuses années de se passer de ces produits. Rappelons qu’en agriculture biologique les pesticides de synthèse sont proscrits.
En outre, si nous voulons envisager l’avenir sereinement, à la fois pour la préservation de notre santé et celle de notre environnement, nous n’aurons d’autres choix que de rendre majoritaire des systèmes agricoles qui s’appuient sur le vivant plus qu’ils ne le combattent comme c’est le cas actuellement.
Rappelons que la 6ème extinction de masse a déjà commencé et il n’est pas rare de pointer ici l’utilisation des pesticides. Un récent rapport s’en est encore fait l’écho[3]. 41% des espèces d’insectes seraient concernées par un déclin, 31% seraient menacées d’extinction dans le monde, avec une perte de l’ordre de 1% des espèces par an. En cause ? La perte d’habitats, la dégradation de la qualité des milieux (pollutions), le réchauffement climatique, l’invasion d’espèces exotiques. « ?’??????????? ???????̂? ????? ?’?? ??? ??????? ?????????? ?? ??́???? ??? ????????, ????????? ?̀ ????? ?? ?’????? ???????? ?? ?????????? » nous disent les auteurs de cette note émanant de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).
En outre, la promotion d’un nouveau modèle agricole, résilient et durable, est grandement souhaitée par les citoyens et citoyennes européens. Récemment, nous avons obtenu plus d’un million de signatures dans le cadre d’une Initiative Citoyenne Européenne[4] dont l’objectif est de demander :
1) une réduction de 80 % de l’utilisation des pesticides de synthèse d’ici 2030 et de 100 % d’ici 2035 dans l’UE,
2) des mesures visant à restaurer la biodiversité sur les terres agricoles et
3) un soutien massif aux agriculteurs pour qu’ils opèrent une transition vers l’agroécologie. Une ICE est acceptée par la Commission européenne si elle atteint plus d’un million de signatures validées, l’expérience montrant que le taux d’invalidité est de 10 à 15 %.
De nombreuses études montrent qu’au-delà de la nécessité de changer de système, la possibilité de le faire est réelle ! Une agriculture biologique pourrait nourrir l’Europe en 2050, et ce ne sont pas des militants écologistes qui le disent mais de nombreux chercheurs dont certains du CNRS[5]. Cela avait déjà fait l’objet de publication, notamment par l’IDDRI[6] dans le cadre du scénario TYFA.
Le scénario TYFA s’appuie sur la généralisation de l’agroécologie, l’abandon des importations de protéines végétales et l’adoption de régimes alimentaires plus sains à l’horizon 2050. Malgré́ une baisse induite de la production de 35 % par rapport à 2010 (en Kcal), ce scénario :
– nourrit sainement les Européens tout en conservant une capacité d’exportation ;
– réduit l’empreinte alimentaire mondiale de l’Europe ;
– conduit à une réduction des émissions de GES du secteur agricole de 40 % ;
– permet de reconquérir la biodiversité́ et de conserver les ressources naturelles.
Pouvez-vous nous présenter la thématique « One health : une seule santé pour nos territoires » qui sera mise à l’honneur pour la prochaine Semaine pour les alternatives aux pesticides ?
Cette année deux thématiques sont arrivées au coude à coude lors du vote des partenaires nationaux de la Semaine pour les alternatives aux pesticides (SPAP) pour déterminer le thème de l’édition 2022 de la SPAP : la santé et la biodiversité. Il est difficile d’en choisir une des deux d’autant plus que ces deux sujets sont en lien avec l’actualité (dossiers des néonicotinoïdes, du glyphosate, des paysages agricoles, de la PAC etc.).
Aussi nous avons opté pour une alternative en combinant la santé et la biodiversité sous la bannière « One Health : une seule santé pour nos territoires ». Cette thématique permet à la fois d’aborder la richesse de nos territoires tout en insistant sur le fait qu’abimer et maltraiter nos terres notamment en ayant recours aux pesticides c’est également porter atteinte à notre santé de manière directe mais aussi indirecte. Plus que jamais il est primordial de promouvoir les alternatives aux pesticides pour protéger la biodiversité ainsi que notre santé.
Il était d’autant plus important de promouvoir ce que nos ONG entendent réellement dans le cadre de ce concept de « One Health » quand on sait que ce dernier peut être récupéré et dévoyé par certains représentants de l’agro-industrie. Et Il est clair que nous n’en avons pas la même définition. Nous avons récemment dénoncé cela dans un article qui pointe nos différences[7]. Ainsi fin décembre 2021, nous avons découvert l’existence d’un livre blanc « One Health » présentant 36 actions à mettre en place pour une politique française ambitieuse « une seule santé ». Les recommandations de ce livre blanc sont destinées aux décideurs publics et au monde professionnel, en prévision de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE). Il faut noter que cette initiative financée par le syndicat de l’industrie du médicament et du diagnostic vétérinaire – SIMV) et de la liste des contributeurs parmi lesquels se trouvent des syndicats professionnels (FNSEA, SNVEL, SIMV), est également soutenue par des industriels, dont l’UIPP qui est le représentant en France des industriels des … pesticides ! Ce livre blanc a fait l’objet d’une présentation dans le cadre d’un groupe de travail officiel au sein du Plan national santé environnement ! Parmi les « grandes » recommandations que contient ce livre blanc (redéfinir le périmètre du concept One Health, mettre en place une gouvernance transversale, améliorer la prévention et la surveillance, investir dans la R&D, élargir et harmoniser la réglementation), aucune ne concerne la prise de mesures concrètes pour réduire l’exposition des population et l’environnement aux polluants chimiques (pesticides, polluants persistants, perturbateurs endocriniens, etc.), et aucune ne fait référence à l’explosion de maladies chroniques pourtant liée en grande partie à la dégradation et à la pollution de notre environnement.
La découverte de ce livre blanc conforte la nécessité pour nos ONG et pour les citoyens de se réapproprier ce concept visant normalement à la bonne santé de toutes et tous, planète, écosystèmes et ensemble des êtres vivants compris !
Petite précision, le thème de la SPAP reste un support et les actions organisées n’ont pas forcément besoin d’être liées au concept de One health. L’objectif de cette semaine organisée chaque année du 20 au 30 mars est avant tout d’informer sur les dangers des pesticides et de faire la promotion des alternatives à ces toxiques.
En tant que citoyen, comment participer à la SPAP ?
Cela peut se faire de plusieurs manières. Si vous avez envie de vous impliquer tout particulièrement, vous pouvez organiser un événement, seul ou avec votre réseau de partenaires locaux. Si vous avez besoin d’idées et de supports vous pouvez vous rendre sur le site de la SPAP et télécharger notre guide l’organisateur[8] ou encore notre guide de films[9]. D’autres outils comme l’affiche ou des bannières pour les réseaux sociaux sont disponibles également en ligne[10]. Vous pouvez d’ailleurs tout simplement nous suivre sur les réseaux sociaux[11] et poster des messages sur vos propres réseaux pour inciter à organiser ou participer à des événements ! Une fois votre événement organisé, il suffit au citoyen de l’inscrire en ligne sur notre site pour le faire apparaitre, après validation de nos équipes, sur la carte des événements[12].
Si vous avez juste envie de participer à des événements, il vous suffit de vous rendre sur la page d’accueil du site et de repérer sur la carte les événements proches de chez vous ou de chercher dans le moteur de recherche[13]. Des actions sont proposées en présentiel ou en distanciel !
Enfin vous pouvez aussi participer ou diffuser nos temps forts nationaux :
concours de dessins[14], challenge des lycées agricoles[15], défis en ligne[16]
La seule limite ? L’envie d’apprendre et de partager, mais nous savons que vos lecteurs et lectrices n’en manquent pas !
[1] https://www.generations-futures.fr/actualites/election-presidentielle-mesures/
[2] https://www.generations-futures.fr/actualites/alertemytho-denormandie/
[3] https://www.generations-futures.fr/actualites/insectes-pesticides/
[4] https://www.generations-futures.fr/actualites/un-mililon-ice-pesticides/
[5] https://www.generations-futures.fr/actualites/un-mililon-ice-pesticides/
[6] https://www.generations-futures.fr/actualites/europe-agroecologique-2050/
[7] https://www.generations-futures.fr/actualites/livre-blanc-one-health-agro-industrie-pfue/
[8] https://www.semaine-sans-pesticides.fr/guide-organisateur-2022-1/
[9] https://www.semaine-sans-pesticides.fr/guide-organisateur-2022-1/
[10] https://www.semaine-sans-pesticides.fr/organiser-un-evenement/outils/
[12] https://www.semaine-sans-pesticides.fr/
[13] https://www.semaine-sans-pesticides.fr/evenements/
[14] https://www.semaine-sans-pesticides.fr/concours/
[15] https://www.semaine-sans-pesticides.fr/le-concours-des-lycees-agricoles/